positions du mdc

Décentralisation
Projet d’intervention de Jean-Pierre Chevènement
Assemblée Nationale, le mercredi 17 janvier 2001

Monsieur le Président,
Monsieur le Premier ministre,
Mes chers collègues,

Je m’exprime en mon nom propre et au nom des députés du Mouvement des Citoyens.

En dépit de votre présence aujourd’hui, Monsieur le Premier ministre, je crains que le débat de fond sur la décentralisation ait commencé hier sur les bases funestes de la proposition de loi constitutionnelle déposée par le groupe UDF. Je sais que cette aventure ne pourra prospérer sans référendum, et je veux croire qu’il est encore temps, pour la représentation nationale et pour le Gouvernement, de faire un choix clair entre la décentralisation républicaine et la vision libérale qui aboutirait au délitement interne de la République.

 


Voltaire disait plaisamment qu’en traversant la France d’avant 1789 on y changeait plus souvent de lois que de cheval.

I– La décentralisation ne s’oppose pas à la République.

1. La République s’est construite contre la féodalité.

La France d’avant 1789 n’était, selon Mirabeau, qu’un « agrégat inconstitué de peuples désunis » et Voltaire disait plaisamment qu’en la traversant on y changeait plus souvent de lois que de cheval.

La République a marqué l’avènement du règne de la loi, expression de la volonté générale ; l’Etat républicain c’est l’Etat des citoyens grâce à la loi dont la primauté dans la hiérarchie des normes tient au fait qu’elle procède du souverain lui-même, le Peuple, à travers le Parlement. Le respect de la loi exprime au plus haut degré la reconnaissance de la règle sans laquelle aucune société démocratique et civilisée ne peut vivre. Comment faire respecter l’ordre public dans les quartiers si la loi cesse d’être révérée comme une norme intangible, supérieure à toute autre ?

l’exercice de la liberté locale s’exerce sous le contrôle du pouvoir souverain, celui du suffrage universel

L’article 72 de la Constitution a le mérite de la clarté : « les collectivités territoriales de la République s’administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi ». En peu de mots, tout est dit : l’exercice de la liberté locale s’exerce sous le contrôle du pouvoir souverain, celui du suffrage universel, -« en bas » dans les assemblées locales, et « en haut » au Parlement-. Selon l’article 34 de la Constitution, c’est en effet la loi qui « détermine les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources ».

Ainsi sous l’empire de la loi commune, la libre administration locale est parfaitement à l’aise dans une République une et indivisible.

La décentralisation de 1982 a maintenu l’unité du droit sur tout le territoire national.

La décentralisation de 1982 n’a pas remis en cause l’unité des règles et la hiérarchie des normes qui font la République.

Elle a maintenu l’unité du droit sur tout le territoire national. Elle a permis certes un foisonnement des initiatives locales et un développement sans précédent des services et des équipements mais non l’expression d’autonomies identitaires.

Elle a renforcé l’autonomie financière des collectivités territoriales sans porter atteinte au pouvoir fiscal du législateur. Elle a maintenu la cohésion nationale en assurant une péréquation indispensable entre les collectivités territoriales.

 

Le pays serait paralysé. C’est une contre-vérité. J’en veux au moins pour preuve le formidable développement de l’intercommunalité impulsé par la loi du 12 juillet 1999.

Ce système original de décentralisation, conforme à notre génie et à notre histoire, n’a nul besoin d’être remis en cause. Pourquoi dévier de la voie tracée en 1982 ? On nous dit que le pays serait paralysé, que l’initiative locale serait bloquée par un Etat omnipotent. C’est une contre-vérité. J’en veux au moins pour preuve le formidable développement de l’intercommunalité impulsé par la loi du 12 juillet 1999. Comme l’a qualifiée Pierre Mauroy, c’est une « révolution silencieuse » qui, grâce à la création de 90 communautés d’agglomération et à deux nouvelles communautés urbaines –Nantes et Marseille- venant s’ajouter à la douzaine existant déjà, fait émerger un pouvoir d’agglomération bien nécessaire et assure également la survie des communes rurales autour des bourgs ou des petites villes.

La modernisation des institutions locales est ainsi impulsée d’en haut par le législateur et bâtie par le bas, à l’initiative des élus locaux, en rapport avec les réalités qu’ils affrontent.

Cent quatre structures d’agglomération, dans plus des deux tiers des aires urbaines de plus de 50.000 habitants, avec une taxe professionnelle unique, qui met fin à des concurrences stériles et qui est à soi seule une véritable réforme fiscale ; des compétences stratégiques (développement économique, aménagement de l’espace, etc.) mises en commun, de façon à bâtir des solidarités et des stratégies à l’échelle pertinente, oui, cela constitue une réforme capitale dont les fruits sont prometteurs.

élire les conseillers départementaux sur la base des intercommunalités

Monsieur le Premier ministre, ce mouvement porté par votre Gouvernement a fait consensus au Parlement : notre système bi-séculaire, fort de ses 36.600 communes et de ses 100 départements, a fait ainsi la preuve qu’il peut s’auto-réformer.

Ce n’est pas tant l’existence de trois niveaux d’administration observable aussi dans les pays voisins que le nombre considérable de communes dans notre pays –autant que dans le reste de l’Union Européenne- qui constitue une exception.

Dès lors, il n’y a pas lieu de supprimer le département, mais simplement de le refonder. Il suffira pour cela, comme le recommande la Commission Mauroy, d’élire ses responsables sur la base des intercommunalités, pour maintenir un ancrage local des conseillers départementaux, mais en cessant d’injurier l’égalité du suffrage induite par le découpage actuel.

« Laissez-nous faire », tel est leur nouveau credo.

II – Prenons y garde : une vision libérale de la décentralisation peut conduire au délitement de l’Etat républicain et de la France elle-même.

1. Certains évoquent la République d’en bas, plurielle, décentralisée, territoriale, girondine

« Laissez-nous faire », tel est leur nouveau credo. Affranchissez-nous des règles de la Fonction Publique ! Allégez les contrôles ! Et tant pis pour les inégalités territoriales liées à la concentration de la richesse. Chacun chez soi, dans son territoire et la République sera bien gardée ! Mais surtout, pas de logements sociaux, pas de troisième aéroport, pas d’équipement polluant, toujours rejetés chez les autres.

Heureusement, la grande majorité de nos élus n’affiche pas de telles positions et sait que l’intérêt général est le contraire de la loi du plus fort. La République ne va pas sans mécanismes de péréquation et sans solidarité nationale.

Elle ne va pas non plus sans le respect d’une loi qui selon la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, doit être « la même pour tous ».

Qu’est-ce qu’une Fédération sinon l’agrégation de communautés organiques, détentrices de la souveraineté et régies par le principe de subsidiarité ?

2. Donner à une Assemblée territoriale, voire locale, le pouvoir d’adapter la loi, c’est-à-dire de la changer, c’est mettre le doigt dans l’engrenage du fédéralisme et prendre en fait le risque de rompre l’unité nationale.

C’est tout le sens de l’histoire de la France comme construction politique, comme communauté de citoyens que la dévolution du pouvoir législatif à des collectivités territoriales, si elle devait être confirmée, remettrait en cause.

Une France fédérale serait une régression. Qu’est-ce en effet qu’une Fédération sinon l’agrégation de communautés organiques, détentrices de la souveraineté et régies par le principe de subsidiarité ? Cette conception s’oppose à l’article 72 de la Constitution. Elle est contraire au principe de l’unité et de l’indivisibilité de la République.

Une France fédérale serait sous couleur de modernité, une régression moyen-âgeuse !

Une France fédérale serait sous couleur de modernité, une régression moyen-âgeuse, enfermant à nouveau les citoyens dans leurs particularismes !

L’économie de marché n’a aucune vision à long terme. L’Europe des régions supprimerait l’obstacle que constituent encore les Etats-nations face à la domination exclusive des marchés et à la mise en concurrence sauvage des territoires.

Comment dans ce cadre la République pourrait-elle relever les défis que sont le chômage de masse, la ghettoïsation, la désertification du monde rural ?

le gouvernement s’enfermerait encore plus profondément dans le "piège corse" si la proposition de loi constitutionnelle de M. Méhaignerie suivait son chemin

Quand l’idée d’une dévolution du pouvoir législatif a été pour la première fois avancée au bénéfice de l’Assemblée Territoriale de Corse dans le relevé de conclusions de Matignon du 20 juillet 2000, j’ai pensé que c’était une erreur, et vous le savez, une erreur grave.

Mais vous avez vous-même en 1997 plaisamment théorisé le droit à l’erreur.
Simplement-, Monsieur le Premier ministre, il y a deux manières de sortir d’une erreur : soit en la confessant, mais j’admets que ce n’est pas votre culture, soit en la généralisant afin de mieux la banaliser. C’est la crainte d’un effet de contagion de la Corse sur le reste de l’organisation territoriale de la France que j’avais exprimée en juillet 2000 en évoquant le virus « I love you ». Eh bien nous y sommes avec la proposition de loi de M. Méhaignerie, acceptée par vous-même, et que le groupe socialiste a votée hier matin. Selon M. Méhaignerie, son projet serait un moyen pour le gouvernement de « sortir du piège corse ». C’est le contraire qui est vrai : le gouvernement s’enfermerait encore plus profondément dans ce piège si la proposition de loi constitutionnelle de M. Méhaignerie suivait son chemin. Celle-ci, d’ailleurs, ruine votre argumentation selon laquelle le problème corse serait un problème politique spécifique, à traiter spécifiquement.

Comment expliquer que les socialistes apportent leur soutien à ces projets ?

Ou alors elle fait de la République une collection de spécificités !

Les libéraux –on le sait depuis deux siècles- agitent l’épouvantail de l’uniformité … pour remettre en cause le principe d’égalité.

On peut comprendre que ce soit là la thèse de Démocratie Libérale et de M. Rossi pour qui tout ce qui peut affaiblir l’Etat est bon, ou de l’UDF qui ne rêve que du Saint Empire et des franchises de nos anciennes paroisses. Mais comment expliquer que les socialistes apportent leur soutien à ces projets ? Se sont-ils convertis au libéralisme ? Ou se laissent-ils tout simplement porter par l’air du temps, par soumission à la mode ? Ou bien est-ce comme certains le murmurent pour renvoyer l’ascenseur : passe-moi la rhubarbe, je te passe le séné. C’est ce que laisse entendre M. Roman quand il déclare « qu’il n’est pas contre l’élégance en politique ». Mais il n’y a pas que l’UDF qui a voté pour l’inversion du calendrier électoral, Monsieur le Premier ministre ! Le MDC aussi !

Que signifie au fond le droit donné aux collectivités territoriales d’adapter la loi ? C’est un véritable suicide pour le Parlement !

Il y a une autre hypothèse qui serait plus grave encore. Que ce soit la réponse du berger à la bergère, c’est-à-dire une réplique habile au discours de Rennes prononcé il y a deux ans par le chef de l’Etat, une sorte de concours de décentralisation à l’adresse des élus locaux sur le thème : « plus décentralisateur que moi tu meurs ». Croyez-vous pouvoir vous attacher les élus locaux en leur laissant entrevoir des concessions toujours plus grandes allant jusqu’au pouvoir de réformer la loi au mépris des principes républicains les mieux établis ? Ce serait oublier le fond, que de traiter le problème des relations entre l’Etat et les collectivités territoriales à la seule aune de la cohabitation. Il faut résister à cette tentation, Monsieur le Premier ministre. Maintenir la République et le capital de principes et de règles qui la constituent a certes toujours été un exercice difficile mais c’est un exercice qui a sa grandeur.

Que signifie au fond le droit donné aux collectivités territoriales d’adapter la loi ? C’est un véritable suicide pour le Parlement ! Comment celui-ci pourrait-il définir avec un peu de précision le cadre dans lequel la loi pourrait être adaptée ? En définissant les exceptions comme dans le texte voté hier par l’Assemblée ? Mais j’observe qu’en oubliant de citer par exemple le domaine de la sécurité, il ouvre la voie à la municipalisation de la police ! Est-ce cela que nous voulons ?

Comment ne pas rapprocher la jurisprudence qui affirme la supériorité de la norme européenne sur la loi votée par le Parlement et l’autorisation donnée hier par notre Assemblée aux collectivités territoriales de déroger à cette même loi ?

En votant cette proposition, le Parlement ouvrirait le règne du n’importe quoi ! Les lobbies pourraient se frotter les mains !

En voulant mettre de la souplesse partout, on ne trouvera plus de fermeté nulle part. En votant cette proposition, le Parlement ouvrirait le règne du n’importe quoi ! Les lobbies pourraient se frotter les mains ! Que resterait-il de l’Etat ? Plus de loi, plus de repères ! A force de vouloir concilier les inconciliables, c’est l’édifice même de la République qui serait remis en cause, car il n’y a pas de République sans principes clairs, le premier d’entre eux étant la primauté de la loi et l’égalité de tous les citoyens devant elle.

Est-ce que j’exagère ? Madame Voynet elle-même, pourtant championne de l’autonomie de la Corse, et dont les représentants sur l’île –I Verdi Corsi- font partie de la Fédération « Unita » aux côtés de la Concolta indépentantista, faux nez du FLNC canal historique, Madame Voynet s’alarme publiquement à l’idée que « la loi littoral » et la « loi montagne » puissent être laissées à la discrétion de l’Assemblé de Corse.

Ceci manifeste l’absence profonde de logique, d’esprit de suite, de vue d’ensemble, avec lesquels ces sujets sont abordés et traités. Il est temps que le gouvernement, éclairé par des politiques avisés et des juristes qui n’ont pas tout à fait oublié les fondements du droit républicain, se reprenne. Il le peut !

poursuivre le mouvement d’intercommunalité

préserver en le refondant le département

III – Les propositions de la Commission Mauroy élaborées par de grands élus, remarquables connaisseurs d’un paysage complexe, dessinent des orientations cohérentes que je fais miennes.

Il s’agit d’abord de poursuivre le mouvement d’intercommunalité en prévoyant l’élection au suffrage universel en 2007 des délégués communautaires dans les CU et les CA.

1. Il s’agit ensuite de préserver en le refondant le département, échelon essentiel de l’organisation sociale et administrative française depuis deux siècles.

2. Il s’agit surtout d’améliorer la transparence et la démocratie dans le fonctionnement de la décentralisation.

a) En définissant des blocs de compétence plus cohérents.

b) En choisissant des collectivités chef de file pour éviter la dilution des responsabilités, à commencer par celle de l’Etat dans le partenariat et les procédures contractuelles.

§ Taxe d'habitation pour la Commune ;

§ Taxe professionnelle pour l’intercommunalité.

§ Impôt léger mais universel sur tous les revenus pour le département sans oublier le rôle des dotations de l’Etat pour réduire les inégalités de richesse entre collectivités.

L’Etat doit exercer efficacement le contrôle de légalité. Il ne faudrait pas que la recherche du consensus à tout prix ne le fasse passer sous la table. Il y a des dérives, non pas seulement en Corse, mais aussi sur le continent (Sud-Est, région parisienne, comme l’a montré l’affaire des marchés d’Ile de France) que l’Etat doit être capable de redresser par l’exercice d’une tutelle préfectorale vigilante qu’aucune intervention politique ne doit venir empêcher.

c) On doit aussi améliorer la lisibilité de la décentralisation en identifiant des recettes propres à chaque niveau de collectivité :

§ Taxe d'habitation pour la Commune ;

§ Taxe professionnelle pour l’intercommunalité.

§ Impôt léger mais universel sur tous les revenus pour le département sans oublier le rôle des dotations de l’Etat pour réduire les inégalités de richesse entre collectivités.

d) Si la vie locale, enfin, est une merveilleuse école de démocratie, encore faut-il faciliter l’accès aux mandats électifs :

§ Les élus doivent pouvoir se consacrer pleinement à leur mandat et retrouver un emploi à leur issue.

Ne tombons pas dans des oppositions factices, démagogiques et pour tout dire électoralistes, entre jacobinisme et localisme.

Les Français plébiscitent à la fois la décentralisation et le rôle de l’Etat.

Puisque l’Etat républicain n’est rien d’autre que l’Etat des citoyens, c’est à son approfondissement et à son adaptation qu’il faut se livrer, pas à sa liquidation.

La démocratie locale et l’Etat n’ont pas à s’opposer dès lors que tous les citoyens entendent faire vivre une République moderne, où liberté et responsabilité vont de pair avec la recherche de l’égalité.

Monsieur le Premier ministre, Mes chers collègues, ne tombons pas dans des oppositions factices, démagogiques et pour tout dire électoralistes, entre jacobinisme et localisme. Gardons le sens de l’Etat et de l’intérêt général, ils ne conduisent pas à l’immobilisme.