MDC emploi, économie, finances, chômage, plein emploi

Allocution de Georges SARRE
Mardi 5 décembre 2000
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Exception d'irrecevabilité
Projet de loi d'habilitation
Transposition par ordonnances de directives communautaires

I - Un Parlement affaibli et dépossédé de ses prérogatives
II - Les directives européennes échappent au contrôle parlementaire
III - Les ordonnances, une mauvaise méthode
IV - L'avenir de la Poste : le débat national escamoté
V - Les télécommunications
VI - L'avenir de la mutualité
VII - Les autoroutes
Conclusion

 

 

 

" incarnation de la souveraineté nationale, le Parlement doit pleinement exercer son rôle éminent au sein de nos institutions. "

L. Jospin

Monsieur le Président,
Messieurs les Ministres,
Mes chers collègues,

I - Un Parlement affaibli et dépossédé de ses prérogatives :

Dans sa déclaration de politique générale du 19 juin 1997, Lionel JOSPIN avait, s'agissant des droits du Parlement, affirmé, je cite : " incarnation de la souveraineté nationale, le Parlement doit pleinement exercer son rôle éminent au sein de nos institutions. "

La déclaration de politique générale constitue pour le MDC un texte de référence. Non seulement parce que le Premier Ministre y affirme son souhait de " revenir en tout domaine à la République ", mais aussi parce qu'il s'agit du contrat de législature qui engage ceux qui l'ont voté.

C'est à la lumière de ce texte qu'il m'apparaît aujourd'hui justifié de défendre, au nom des parlementaires du MDC, cette exception d'irrecevabilité. Le référendum sur le quinquennat, la décision de notre Assemblée de modifier profondément la procédure budgétaire, le débat lancé ici même par le MDC, au travers d'un amendement, sur l'inversion du calendrier électoral, ont remis au cœur de l'actualité la question des institutions et la nécessaire revalorisation du rôle du Parlement.

Le député, l'élu le moins populaire

Chacun reconnaît aujourd'hui que le quinquennat sec aurait plutôt tendance à renforcer encore le rôle du Président de la République. Même si les diverses propositions de réformes institutionnelles diffèrent, assez sensiblement, chacun s'accorde à penser qu'un rééquilibrage entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif est devenu nécessaire.

Contrairement aux craintes exprimées par certains, l'inversion du calendrier électoral - qui relève du simple bon sens - ne constitue pas en soit un affaiblissement du rôle du Parlement, dès lors que le chantier d'une réforme institutionnelle plus large s'engagera inévitablement dans la foulée du renouvellement de 2002.

Mais toutes les réformes institutionnelles du monde ne suffiront pas en elles-mêmes pour redonner au Parlement et singulièrement à l'Assemblée Nationale, le rôle central qui lui revient.

Là comme ailleurs, tout dépend de la volonté politique.

Volonté politique que doit manifester le gouvernement mais aussi les parlementaires eux-mêmes. A force de nous dessaisir nous-mêmes, mes chers collègues, de l'essentiel de nos prérogatives, il ne faut pas nous étonner si le député apparaît, aux yeux des électeurs, comme l'élu le moins populaire, et le plus loin des préoccupations des gens.

L'inventaire à la Prévert des reculs de la volonté politique est impressionnant.

L'inventaire à la Prévert des reculs de la volonté politique est impressionnant :

Politique monétaire confiée à une banque centrale indépendante, politique fiscale encadrée par l'acte unique européen et la libéralisation des mouvements de capitaux sans contrepartie fiscale, politique budgétaire contrainte par les traités de Maastricht et d'Amsterdam et leurs critères de convergence rigides, politique commerciale extérieure largement confiée à la Commission, directives européennes - j'y reviendrai - sur lesquelles notre Assemblée n'a aucune prise réelle, multiplication des autorités dites indépendantes et des comités théodules, Parlement mis hors jeu en politique extérieure y compris lors de l'engagement de troupes françaises avant-hier dans le Golfe, hier dans les Balkans.

Tous ces abandons, ne doivent rien à je ne sais quelle évolution inéluctable liée à la mondialisation libérale et à l'interdépendance. Chacun de ces reculs a été décidé par le Parlement lui-même, qui s'automutile avec régularité et abnégation, au point de devenir un théâtre d'ombres.

L'article 3 de la Constitution affirme " que la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants "

Je n'ai pourtant pas rêvé, mes chers collègues.

Malgré nos multiples déplacements à Versailles pour réformer la Constitution, nous n'avons pas encore abrogé son préambule, je veux parler de la déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 qui, dans son article 3, rappelle que " le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément. " Nous n'avons pas non plus abrogé l'article 3 de la Constitution qui affirme " que la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants (…) Aucune section du peuple, ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice. "

C'est sur la base de ces principes que se fonde l'exception d'irrecevabilité que je vous présente.

Je l'ai montré, la liste des abandons par le Parlement lui-même de ses prérogatives est longue. Et nous de devons finalement nous en prendre qu'à nous-mêmes.

Depuis l'été, le gouvernement multiplie les entorses à la règle définie par Lionel JOSPIN le 19 juin 1997.

Depuis l'été cependant, le gouvernement multiplie les entorses à la règle définie par Lionel JOSPIN le 19 juin 1997, que j'ai rappelé en introduction. L'annonce du plan de baisse des impôts durant les vacances parlementaires sans que la commission des finances soit saisie, la présentation du projet de loi sur la Corse en avant première à l'Assemblée de Corse, avant même le passage du texte devant le Conseil d'Etat, constituent deux exemples extrêmement préoccupants. J'ai entendu plusieurs de nos collègues socialistes, y compris un Président de commission, considérer que le Parlement était affaibli par le ralliement de Lionel JOSPIN à l'idée d'inverser le calendrier électoral de 2002. Il me semble que nos collègues auraient plutôt dû se mobiliser pour défendre les droits du Parlement sur les deux dossiers que j'ai cités et sur celui qui nous occupe aujourd'hui.

Ce projet de loi d'habilitation autorisant le gouvernement à transposer par ordonnances près de 50 directives européennes constitue une double atteinte aux droits du Parlement.

La Commission européenne détient le monopole de l'initiative.
II - Les directives européennes échappent au contrôle parlementaire :

D'abord parce qu'il s'agit de directives européennes élaborées en dehors du cadre national, le plus souvent sous la pression des groupes d'intérêts très écoutés à Bruxelles. Les directives européennes échappent presque totalement au contrôle parlementaire. La Commission européenne détient le monopole de l'initiative. Tout se passe ensuite entre la Commission et le Conseil des Ministres européens. On m'objectera que le Parlement européen a vu ses pouvoirs de codécision accrus depuis le traité d'Amsterdam.

Le processus de codécision est extrêmement lourd et complexe ce qui limite dans la réalité la capacité d'influence du Parlement européen. Mais l'essentiel n'est pas là. En l'absence d'un peuple européen , le Parlement européen n'a pas de légitimité populaire au sens républicain du terme. C'est le Parlement national qui détient comme je l'ai rappelé tout à l'heure, cette légitimité.

Depuis Maastricht une délégation de l'Assemblée Nationale pour l'Union européenne a été créé. L'article 88/4 de la Constitution dispose que le gouvernement soumet au Parlement " dès leur transmission au Conseil des communautés les propositions d'actes communautaires comportant des dispositions de nature législatives. "

Il serait temps que notre Assemblée se dote d'une commission des affaires européennes

La révision constitutionnelle de janvier 1999 a élargi ce dispositif aux projets d'actes de l'Union européenne c'est-à-dire ceux relatifs à la politique extérieure et de sécurité commune, à la justice et aux affaires intérieures. La délégation pour l'Union européenne peut faire voter en séance publique des résolutions sur les actes communautaires qui lui sont soumis mais ces résolutions n'ont qu'une portée consultative. Le gouvernement n'est pas tenu par les textes en vigueur de se conformer aux résolutions adoptées par les assemblées dans le cadre de l'article 88/4 ni même d'indiquer à celles-ci les suites qu'il leur a données.

Il serait temps, mes chers collègues, que notre Assemblée se dote d'une commission des affaires européennes, ayant statut de commission permanente. Nous pourrions nous inspirer du modèle danois, petit pays très exigeant en matière de souveraineté et de contrôle démocratique.

Le gouvernement danois soumet à la commission des affaires européennes du " Folketing " un plan de négociation sur la quasi-totalité des propositions d'actes législatifs avant toute adoption au sein du Conseil des Ministres européens. C'est donc nantis d'un mandat de négociation et d'une autorisation parlementaire que les Ministres danois s'en vont négocier avec leurs partenaires à Bruxelles.

Le Ministre (danois) s'étant rendu au Conseil européen a l'obligation de rendre compte au Parlement de l'accomplis-
-sement de son mandat de négociation

En outre, le Ministre s'étant rendu au Conseil européen a l'obligation de rendre compte au Parlement de l'accomplissement de son mandat de négociation dont il ne peut s'éloigner. Et qu'on ne vienne pas me dire, mes chers collègues, que ce système est trop lourd et empêcherait à priori le processus de la construction européenne de fonctionner. Le Danemark est champion d'Europe pour la transposition en droit interne des directives européennes. Je le dis aux " Eurobéats " , n'ayez pas peur de la démocratie, vous ne servez pas la cause que vous croyez défendre. Il faut exercer un contrôle démocratique sur la construction européenne.

Prenons exemple sur la petite nation danoise, ou sur sa voisine finlandaise qui dispose d'un système équivalent. Prenons exemple aussi sur notre grand voisin allemand. Lors de la révision de la loi fondamentale du 21/12/92, le droit pour le Bundestag de prendre position sur les textes normatifs européens a fait l'objet d'une reconnaissance constitutionnelle. La loi fondamentale dispose désormais dans son article 23/3 qu' " avant de concourir aux actes normatifs de l'Union européenne, le gouvernement fédéral donne au Bundestag l'occasion de prendre position. Dans les négociations le gouvernement fédéral prend en considération les prises de position du Bundestag. "

Par ailleurs, l'article 45 de la loi fondamentale prévoit explicitement que la commission des affaires européennes est " habilitée à exercer les droits du Bundestag vis-à-vis du gouvernement ".

C'est moins bien que le Danemark, mais bien mieux que la France !

L'arrêt Nicolo réaffirme la prédominance de la législation européenne sur la loi française

Si le débat d'aujourd'hui pouvait au moins servir à faire prendre conscience de l'urgente nécessité d'un réel contrôle démocratique sur la construction européenne, nous n'aurions pas perdu notre temps.

Quant aux sanctions européennes, constamment agitées pour faire plier le Parlement il serait bon de ne pas en exagérer la portée.

La France ne fait l'objet d'une procédure pendante devant la Cour de justice que pour onze directives. La Commission n'a engagé contre la France que 4 procédures d'astreinte financière. Il n'existe pas encore d'huissier européen et seule la Grèce a été, une fois, soumise au versement effectif d'une astreinte.

Le deuxième argument d'autorité qui est mis en avant concerne l'insécurité juridique qui résulterait de la non transposition de directives. Il est vrai qu'outre le fait que les règlements communautaires sont directement applicables dans les Etats membres, la Cour de Justice considère aussi que les directives suffisamment précises sont invocables par les particuliers en cas d'absence de mise en application dans les délais par un Etat membre.

Le Conseil d'Etat veille lui aussi à affirmer l'autorité de la norme communautaire notamment depuis l'arrêt Nicolo de 1989 et la jurisprudence qui en découle. Cet arrêt réaffirme la prédominance de la législation européenne sur la loi française, même postérieure.
Tout ceci n'est pas très bon pour la démocratie.

L'article 55 de notre Constitution stipule que les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois.
Le Parlement devrait d'abord exiger une plus grande fermeté du gouvernement à Bruxelles pour que ne soient pas bradés les acquis sociaux français sur l'autel du plus petit dénominateur commun européen. Par ailleurs, le Parlement, s'il avait encore envie d'exister, devrait se pencher sur une modification de l'article 55 de notre Constitution.

Cet article stipule que les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie.

C'est à partir d'une lecture d'ailleurs extensive de cet article que s'est élaborée avec l'arrêt Nicolo toute la jurisprudence du Conseil d'Etat dont je parlais à l'instant.

On pourrait d'ailleurs contester cette jurisprudence car l'article 55 de la Constitution indique bien que la supériorité des traités sur les lois nationales n'est valable qu'en cas de réciprocité. Or, plusieurs pays de l'Union Européenne n'appliquent pas le même traité de Maastricht que nous. C'est le cas par exemple du Danemark ou de la Grande-Bretagne qui ont obtenu des dérogations majeures.

Le Parlement français devrait exiger une modification de l'article 55 limitant la supériorité des traités sur les lois aux seules lois votées avant la ratification des dits traités.

Au-delà de cet argument, le Parlement français devrait exiger une modification de l'article 55 limitant la supériorité des traités sur les lois aux seules lois votées avant la ratification des dits traités.

Voilà une réforme majeure, mes chers collègues, pour redonner un peu de pouvoir au Parlement national, un peu de contenu à l'article 3 de la Constitution et replacer la charrue derrière les bœufs, c'est-à-dire la politique avant le juge européen ou français.

Le gouvernement devrait mesurer les dégâts causés, comme on l'a vu lors des élections européennes, notamment sur l'électorat populaire, par cette image d'Europe fouettarde à laquelle peuple et parlementaires seraient sommés d'obéir sous peine de sanctions.

La très mauvaise gestion du dossier chasse l'a abondamment montré. La légalisation à marche forcée du travail de nuit des femmes dans l'industrie en atteste également.

Je conteste politiquement cette judiciarisation de l'action publique qui est contraire à la démocratie.

Le gouvernement confisque aujourd'hui au Parlement une petite marge de manœuvre en choisissant la voie des ordonnances pour transposer brutalement 50 directives européennes.
III - Les ordonnances, une mauvaise méthode :

Je l'ai montré, le Parlement national n'a quasiment pas de prise sur l'élaboration des directives européennes. Il lui reste cependant une petite marge de manœuvre que lui concède l'article 249 du traité instituant la communauté européenne. Cet article stipule que " la directive lie tout Etat membre quant au résultat à atteindre tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. "

C'est cette petite marge de manœuvre que le gouvernement confisque aujourd'hui au Parlement en choisissant la voie des ordonnances pour transposer brutalement 50 directives européennes et réécrire le code de la mutualité.

L'exposé des motifs du projet de loi laisse rêveur. On peut y lire que " le projet de loi porte sur des directives de nature essentiellement techniques ".

On y apprend que le gouvernement souhaite rendre service au Parlement en le délestant d'une charge de travail trop lourde pour qu'il puisse se consacrer aux projets de loi présentant un véritable enjeu politique.

Transposer les directives les plus importantes par la voie parlementaire classique.

Pour le gouvernement, l'avenir du service public postal, du service public - ou de ce qu'il en reste - des télécommunications, le destin de cette grande spécificité française qu'est la Mutualité ou le mode de financement des autoroutes seraient donc des textes à caractère technique sans contenu politique fort !

Le gouvernement agite la menace de sanctions européennes en cas de non transposition des directives. Mais il est pourtant maître de l'ordre du jour et avait tout pouvoir depuis 3 ans pour transposer les directives les plus importantes par la voie parlementaire classique.

Je ne détaillerai pas les textes secondaires qui occupent souvent les jours et les nuits de notre Assemblée, à qui on fait de surcroît souvent voter des dispositions de nature réglementaire.

Je ne dirai rien de l'absurdité de la procédure budgétaire qui mobilise l'automne entier le Parlement, procédure encore alourdie par l'expérimentation hasardeuse pratiquée depuis deux ans sur quelques budgets et qui n'a atteint aucun de ses objectifs proclamés, à savoir le gain de temps et la médiatisation de l'examen budgétaire.

Le gouvernement ne pourra pas obtenir notre accord en choisissant le passage en force des ordonnances.

Le retard pris pour les transpositions des directives européennes est de la responsabilité des gouvernements successifs. Il est souvent dû à des dysfonctionnements au sein de la machine gouvernementale. Le gouvernement ne peut tirer argument de ces dysfonctionnements pour sanctionner le Parlement.

Comme le disait Lionel JOSPIN le 9 avril 1986, ici même, " la législation par ordonnances est l'arme traditionnelle de la défiance ". Comme le rappelait Laurent FABIUS lors du débat de censure contre le plan JUPPE en 1995, " on ne réforme pas la protection sociale par ordonnances. Avec les ordonnances, dans les faits, le gouvernement remplace le Parlement. "

Le problème me semble en effet bien posé par ces deux citations.

J'en viens maintenant à quelques uns des dossiers majeurs de ce projet de loi d'habilitation, dossier que nous considérons comme éminemment politique et sur lesquels le gouvernement ne pourra pas obtenir notre accord en choisissant le passage en force des ordonnances.

Le service public est un instrument d'unification du territoire et de développement économique.
IV - L'avenir de la Poste : le débat national escamoté.

Parmi les sujets qui sont listés dans le projet de loi d'habilitation, s'il en est un qu'il est inadmissible d'y voir figurer, c'est bien celui du service public de la poste.

Le service public n'est pas seulement un moyen de répondre aux besoins les plus fondamentaux de nos concitoyens. Il n'est pas seulement un fondement de notre droit public. Il est aussi, depuis près d'un siècle, un instrument d'unification du territoire et de développement économique. Il est, surtout, un des piliers actuels du pacte républicain.

Les secteurs de l'électricité, du gaz, du transport ferroviaire, de la poste et des télécommunications ont été organisés dans notre pays suivant une approche typiquement française, conduisant à la création d'un puissant opérateur national, fortement intégré, en situation de monopole, contrôlé par l'Etat, investi de missions de service public et vecteur de stratégies nationales dans son domaine d'activité.

La conception française du service public heurte frontalement la conception européenne du libéralisme économique.

L'Etat a traditionnellement joué un rôle central dans l'organisation de ces services publics de réseau : régulateur, prescripteur du service public, porteur des stratégies industrielles, garant des grands équilibres économiques. Il a aussi été la tutelle et l'actionnaire des opérateurs publics.

Parmi ces services publics, la Poste jouit d'une situation particulière : son universalité et sa forte présence territoriale font qu'aucun autre grand service public de réseau ne bénéficie d'une telle proximité avec la population.

La conception française du service public heurte frontalement la conception européenne du libéralisme économique. Malgré une certaine résistance des gouvernements français, la directive postale de 1997 atteste combien le service public est une idée étrangère à la Commission et à beaucoup de nos partenaires. La transposition de cette directive aurait dû être l'occasion d'un débat parlementaire approfondi. Plusieurs déclarations de Ministres, notamment Dominique VOYNET ou Christian PIERRET, auraient pu faire espérer que le gouvernement avait bien saisi l'importance de ce dossier, même si le sujet risquait de fâcher au sein de la majorité plurielle. Malheureusement, le gouvernement a reculé.

Le grand absent de cette affaire, c'est un débat parlementaire sur la Poste.

La majeure partie de cette directive a été transposée en droit interne à l'occasion du débat sur la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, loi promulguée le 25 juin 1999. J'étais intervenu à l'époque pour combattre ce cavalier législatif dont l'objectif était d'ouvrir le marché postal français à la concurrence. Le procédé n'était déjà pas bien satisfaisant.
Aujourd'hui, ce que souhaite le gouvernement, c'est tout simplement transposer par voie d'ordonnances le reliquat de cette directive. Qu'il s'agisse du recours au cavalier législatif, ou aux ordonnances, on ne peut que déplorer une même motivation. Celle de refuser tout débat sur la Poste, son avenir, ses missions. C'est là que la forme rejoint le fond : verrouiller le débat n'est jamais la bonne solution, même s'il ne s'agit aujourd'hui que de transposer des points mineurs par voie d'ordonnance.
Le grand absent de cette affaire, c'est un débat parlementaire sur la Poste, c'est-à-dire sur la préservation de ses grandes fonctions de service public. La Poste joue un rôle irremplaçable dans la cohésion du territoire national. Elle est un acteur déterminant de l'égalité des citoyens. Pour des centaines de milliers de nos concitoyens, son savoir-faire dans le domaine des services financiers est un véritable rempart contre l'exclusion. Ses missions d'intérêt général touchent à l'acheminement des envois postaux, mais aussi aux moyens de paiement, aux transferts de fonds, aux placements, à l 'épargne. Tout cela a un coût. La libéralisation des services postaux au plan européen, qui est le véritable objectif poursuivi par la Commission européenne derrière toutes ses initiatives, met en péril l'équilibre financier de l'opérateur public. Le vrai défi est là.

Ce vent de libéralisme qui s'abat sur le secteur postal encourage ou contraint la direction de la Poste à prendre des décisions dictées par la seule rentabilité à court terme.

J'ajoute que cette manœuvre d'escamotage se produit précisément au moment où se noue la négociation en vue de l'adoption, peut-être dès le 22 décembre prochain lors du Conseil Postes et télécommunications sous présidence française, d'une nouvelle directive postale, toujours plus libérale que la précédente, si l'on en juge par les scénarios qui courent ici ou là.

Ce vent de libéralisme qui s'abat sur le secteur postal encourage ou contraint la direction de la Poste à prendre des décisions dictées par la seule rentabilité à court terme sans égards pour l'égalité sociale et l'aménagement du territoire. La Poste entend par exemple supprimer le train postal Paris-Besançon qui dessert la Franche-Comté et une partie de l'Alsace au profit d'un transport par camion.

L'Assemblée Nationale ne peut accepter dans un tel contexte que le grand débat sur l'avenir de la Poste lui échappe par la combinaison d'un cavalier législatif et des ordonnances.

Cette directive n'a rien à faire dans un train d'ordonnances. Son contenu et sa portée doivent être délibérées au grand jour.
V - Les télécommunications :

Un autre secteur sensible est concerné par le champ de l'habilitation demandée au Parlement. Il s'agit des télécommunications. L'enjeu est substantiel. Rien que pour ce volet, neuf directives d'un coup sont concernées. Plusieurs pages du Code des Postes et Télécommunications ont vocation a être réécrites. La partie qui concerne la modification des modalités de financement du " service universel des télécommunications " a appelé l'attention des députés du Mouvement des Citoyens. Là encore, on tente de nous faire prendre pour technique ce qui est politique.
La directive 97/33 pour laquelle le gouvernement demande l'habilitation vise à revoir la méthode d'établissement du coût du service universel, dont la charge est fixée à l'opérateur historique France Télécom aux termes de la loi du 26 juillet 1996. Cette charge est partagée et financée par l'ensemble des opérateurs. La Commission, fidèle en cela à sa doctrine libérale, considère que la répercussion de ces charges constitue une barrière à l'entrée sur le marché français vis-à-vis des nouveaux entrants. Elle demande donc à la France de diminuer l'estimation du coût du service universel des avantages économiques immatériels liés à l'image, et à la notoriété, qu'en retirerait l'opérateur historique. Cela reviendrait à baisser cette estimation d'un rapport compris entre 7 et 20 %, soit un montant en volume compris entre 200 et 550 millions de francs.
Plusieurs centaines de millions de francs en plus ou en moins pour la pérennité du service public, cela compte pour le Mouvement des Citoyens. C'est une question de choix politique, et n'a rien à voir avec un ajustement technique. A trop vouloir minimiser la portée politique de telles mesures, c'est toujours la démocratie qui est perdante. Cette directive n'a rien à faire dans un train d'ordonnances. Son contenu et sa portée doivent être délibérées au grand jour.

Le mouvement mutualiste n'a pas de véritable équivalent en Europe. Il associe une très forte dimension éthique à ses activités.
VI - L'avenir de la mutualité :

Un des dossiers majeurs de ce projet de loi concerne notamment la transposition de deux directives européennes dites " vie et non vie " initialement consacrées aux assurances mais malencontreusement étendues aux mutuelles. A ces deux transpositions s'ajoutent la réécriture complète du code de la mutualité.

La Mutualité constitue en France depuis la loi fondatrice de 1898, un acteur essentiel de la protection sociale française. Le Mouvement mutualiste, c'est 5880 groupements mutualistes, 99 caisses autonomes, 1325 réalisations sanitaires.

Le mouvement mutualiste exerce trois métiers : la santé, la prévoyance et les services à la personne.

Ce mouvement n'a pas de véritable équivalent en Europe. Il associe une très forte dimension éthique à ses activités. La solidarité, le refus des discriminations, la péréquation financière entre activités rentables et activités de solidarité, le développement culturel, moral, intellectuel et physique, et l'amélioration des conditions de vie des individus, font partie des objectifs de la Mutualité. On le voit nous nous trouvons très loin du monde de l'assurance, comme en atteste par exemple le scandaleux comportement d'AXA vis-à-vis des parents d'enfants handicapés.

Les mutuelles ont été intégrées aux directives sur les assurances de 1992.

C'est malheureusement à la demande de la France et d'une des deux grandes fédérations mutualistes que les mutuelles ont été intégrées aux directives sur les assurances de 1992. Cette fédération très puissante pensait que sa taille lui permettrait de pouvoir percer sur le marché européen de l'assurance complémentaire. Très rapidement, les illusions se sont dissipées et le mouvement mutualiste a pris conscience des risques énormes que faisait courir du point de vue de la spécificité de la mutualité, la transposition des directives assurances.

Elles ont alerté les parlementaires et les gouvernements successifs ont retardé les décisions afin de rendre compatible la spécificité des mutuelles et la législation européenne. C'était sans doute la quadrature du cercle puisqu'il a fallu attendre 8 ans et plusieurs rapports pour qu'un projet de loi voit le jour.

Un avant-projet de loi a été rédigé et transmis aux fédérations mutualistes en décembre 99. Après une première version, ayant conduit à l'adoption par la Fédération nationale de la mutualité française, en avril 2000, d'une " motion publique " faisant état de sa consternation devant un texte considéré comme une véritable " agression " à l'égard des mutuelles, la deuxième version, dès le mois de mai, semble avoir été plus convaincante.

Retirer les mutuelles de la liste des organismes concernés par les directives.

Un projet de loi a été présenté au Conseil d'Etat début juillet. Il devait être adopté par le Conseil des Ministres du 1er août 2000. Ce projet de loi comportait 8 articles, dont le premier faisait référence à une " annexe " de 225 articles, constituant la partie législative du code de la mutualité.

Au conseil des Ministres du 1er août 2000, la présentation de ce projet de loi s'est transformée inexplicablement en une communication relative à la réforme du code de la mutualité.

Alors que le gouvernement aurait pu déclarer l'urgence sur cet important projet de loi et le déposer dès la rentrée parlementaire, il a donc choisi de recourir aux ordonnances pour traiter un dossier éminemment politique qui engage le devenir de la protection sociale à la Française. C'est inacceptable !

Le gouvernement argue du fait qu'il a obtenu l'accord des deux principales fédérations mutualistes. Mais cet accord ne dispense pas le gouvernement de rechercher celui de la représentation nationale, du moins si l'on pense que la souveraineté populaire a encore un sens.
J'aurais souhaité que le gouvernement nous explique pourquoi, l'idée de demander à Bruxelles que les mutuelles soient retirées de la liste des organismes concernés par les directives n'a pas été retenue, alors même que tout le monde reconnaît que la demande d'inclusion des mutuelles avait été une erreur ?

Les principes généraux de la Mutualité - économie sociale, liberté, solidarité, responsabilité - seront-ils préservés avec les transpositions ?

Le Parlement aurait dû pouvoir débattre de l'avenir du mouvement mutualiste au regard des nombreux défis qui attendent la protection sociale à l'heure où certains entendent marchandiser la santé dans le cadre de l'OMC.

Nous aurions aimé mettre en perspective les directives européennes appliquées aux mutuelles, avec la charte des droits fondamentaux élaborée en dehors de l'intervention réelle des Parlements nationaux.

Beaucoup de questions se posent en effet. Les principes généraux de la Mutualité - économie sociale, liberté, solidarité, responsabilité - seront-ils préservés avec les transpositions ? La question de la fiscalité appliquée à la mutualité sera-t-elle résolue et comment ? Le niveau des exigences prudentielles permettra-t-il aux petites mutuelles de poursuivre leurs activités ?

Au-delà, c'est bien d'un véritable débat de société, dont se trouve privé le Parlement par le gouvernement. A l'heure du développement sans limite de la médecine prédictive, à l'heure où se posent des questions aussi essentielles que l'autorisation de recherches sur l'embryon humain, le clonage thérapeutique, les brevets industriels sur les gènes mais aussi l'utilisation des tests génétiques à des fins commerciales et la confidentialité des données recueillies, la mutualité apparaît comme un rempart. Un rempart éthique contre la taxation du " risque aggravé " ou de la forte prédiction négative. Un rempart contre le génétiquement correct.

Ce rempart pourra-t-il tenir sous les coups de boutoirs des directives sur les assurances. Les Présidents des deux grandes fédérations mutualistes veulent le croire. Mais les responsables de la fédération française des assurances souhaitent une transposition rapide des directives.

Il y a forcément quelqu'un qui sera déçu.

En tout état de cause, le MDC n'accepte pas que ce débat central échappe au Parlement.

Il aurait été nécessaire qu'un débat s'engage autour de la politique autoroutière de notre pays.
VII - Les autoroutes :

L'article 4 du projet de loi d'habilitation autorise le gouvernement à prendre par ordonnances les mesures législatives requises pour supprimer la garantie de reprise de passif accordée par l'Etat aux sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes et prolonger les durées actuelles de concessions. Le gouvernement pourra également redéfinir les règles relatives à l'institution des péages.

Là encore, il s'agit d'un dossier éminemment politique. La suppression de l'adossement aura forcément des conséquences. Il aurait été nécessaire qu'un débat s'engage autour de la politique autoroutière de notre pays. L'autoroute constitue un moyen de désenclavement important. Il s'agit aussi du réseau routier le plus sûr et d'un instrument d'échanges économiques majeur. Qu'il faille réfléchir à un rééquilibrage entre route et rail au profit des trains et notamment du ferroutage pour les marchandises, ne peut conduire à faire une croix sur tout le programme autoroutier. Une réflexion sur le renforcement de la sécurité et de l'entretien du réseau existant est également nécessaire.

Toutes ces questions auraient dû pouvoir être débattues devant le Parlement.

Redonner un peu de couleur à notre Parlement et un peu de sens au principe de la souveraineté populaire qui est au cœur de la république.
Conclusion :

Mes chers collègues, l'article 38 de la Constitution permet au gouvernement, pour l'exécution de son programme, de demander l'autorisation au Parlement de prendre par ordonnances des mesures législatives.

Je ne suis pas sûr que la libéralisation du secteur postal ou la mise en concurrence de la mutualité avec les assurances fassent réellement partie du programme de ce gouvernement.

Je constate que la plupart des directives concernées par l'habilitation ont été élaborées bien avant l'arrivée du gouvernement de Lionel JOSPIN.

J'ai montré comment les directives échappent largement au contrôle démocratique et totalement au contrôle des Parlements nationaux.

J'ai insisté sur le fait que le gouvernement en choisissant la voie des ordonnances privait de fait le Parlement de toute capacité d'initiative et d'intervention sur des dossiers éminemment politiques.

En adoptant cette exception d'irrecevabilité, vous contribuerez, mes chers collègues, à redonner un peu de couleur à notre Parlement et un peu de sens au principe de la souveraineté populaire qui est au cœur de la république.