Eléments de contexte et méthodes
La méthode suivie pour la présente synthèse repose sur une recherche
bibliographique effectuée sur les bases Scopus et PubMed. Des documents
complémentaires ont été obtenus à partir d’archives de l’IRSN et de contacts
directs avec des chercheurs en France et à l’étranger. Au total, plusieurs
centaines de documents (rapports, articles de revues scientifiques) relatifs
au risque de leucémies autour des sites nucléaires chez les jeunes de moins
de 25 ans ont été publiés. Les travaux effectués sont de nature et de
qualité diverses : études de cluster (ou « agrégat ») locales ou
multi-sites, études cas-témoins ou de cohorte, études radio-écologiques,
travaux dosimétriques…
La revue réalisée distingue deux types de travaux :
-
les études descriptives, dont l’objectif est d’estimer la fréquence des
leucémies, et éventuellement de mettre en évidence un excès de risque au
sein d’une population;
-
les travaux analytiques, dont l’objectif est de rechercher les facteurs
pouvant expliquer un excès de risque de leucémies au sein d’une
population.
Bilan des études descriptives
Les études descriptives cherchent à répondre à la question « La fréquence
des leucémies à proximité d’un site particulier est-elle plus élevée
qu'ailleurs ? ». Il est important de souligner que ces études ne permettent
pas de rechercher les facteurs susceptibles d’expliquer les accumulations de
cas. Au total, des résultats descriptifs sont disponibles pour 198 sites
nucléaires répartis dans dix pays différents : Grande-Bretagne, Allemagne,
France, Suède, Espagne, Etats-Unis, Canada, Japon, Suisse et Israël. Une
revue de l’ensemble de ces résultats a été réalisée, en distinguant les
études locales s’intéressant à un site spécifique et les études multi-sites
s’intéressant simultanément à un ensemble de sites au sein d’un pays, et
portant donc sur un effectif plus important. Des critères d’évaluation ont
été appliqués pour permettre d’apprécier les résultats recueillis. Ces
critères portent sur la nature des données considérée(morbidité/mortalité),
les zones géographiques étudiées (pertinence de la taille et des limites des
zones considérées), la puissance de l’étude (capacité à mettre en évidence
un excès de risque faible), la reproductibilité des résultats (mise en
évidence de l’excès par différentes méthodes), la significativité
statistique de l’excès, la validité de la méthodologie statistique, enfin la
persistance d’un excès dans le temp. Sur les 198 sites recensés, trois excès
répondent aux critères d’évaluation énoncés et peuvent être considérés comme
des agrégats confirmés. Il s’agit des agrégats de Seascale (près de l’usine
de Sellafield en Angleterre), de Thurso (près de l’usine de Dounreay en
Ecosse) et d’Elbmarsch (près de la centrale de Kruemmel en Allemagne).
D’autres agrégats sont bien documentés, en particulier en Grande-Bretagne à
proximité des sites d’Aldermaston et Burghfield et en France à proximité de
l’usine de retraitement de La Hague, mais les éléments actuellement
disponibles ne permettent pas de conclure à l’existence d’excès confirmés.
Parmi les études multi-sites recensées (25 études dans 8 pays différents),
celles répondant le mieux aux critères d’évaluation énoncés sont les études
récentes réalisées en Grande-Bretagne, en Allemagne et en France. Ces études
ne montrent pas, à l’échelle de l’ensemble des sites, d’augmentation du
risque de leucémies chez l’enfant ou le jeune adulte à proximité des sites
nucléaires. L’observation d’un excès de leucémies chez les enfants de 0-4
ans autour des centrales nucléaires allemandes n’est pas confortée par les
études effectuées dans d’autres pays. Néanmoins, Il faut souligner que peu
d’études ont fourni des résultats spécifiques pour cette tranche d’âge.
D’autres études montrent que des excès localisés de cas de leucémies
infantiles ont aussi été mis en évidence en l’absence de site nucléaire. Par
ailleurs, plusieurs études indiquent un phénomène d’agrégation spatiale et
temporelle de l’incidence des leucémies de l’enfant, indépendant de la
présence de sources de risque potentiel.
La discussion précise les limites importantes inhérentes aux études
descriptives, qui rendent difficile l’interprétation des résultats. Les
travaux réalisés sur les risques de leucémies autour des sites nucléaires
sont nombreux et de natures diverses, aussi il est nécessaire de replacer
chaque
nouveau résultat par rapport aux connaissances scientifiques disponibles.
Bilan des travaux sur les causes des excès localisés observés
Suite aux études descriptives ayant permis d’observer des agrégats de
leucémies à proximité de certaines installations nucléaires, de nombreux
travaux ont été lancés pour identifier des facteurs pouvant expliquer ces
excès, en particulier à proximité des sites de Sellafield, de Dounreay et d’Aldermaston
et Burghfield en Grande-Bretagne, de La Hague en France et de Kruemmel en
Allemagne. Ces travaux sont de nature et de protocoles divers : études
épidémiologiques (de types géographiques, cas-témoins ou de cohortes),
mesures des doses reçues par la population ou évaluations radio-écologiques.
Trois hypothèses principales ont été avancées pour tenter d’expliquer
l’observation d’un risque plus élevé à proximité de certaines installations
nucléaires :
-
hypothèse d’un lien avec l’exposition environnementale due aux rejets
radioactifs ou chimiques des installations nucléaires ;
-
hypothèse d’un lien avec l’exposition des pères aux rayonnements
ionisants avant la conception des enfants ;
-
hypothèse d’une cause infectieuse liée au brassage des populations
associé à de grands travaux.
Les travaux ayant porté sur le lien éventuel avec l’exposition
environnementale indiquent que les doses dues aux rejets des
installations nucléaires sont faibles. L’hypothèse d’un lien avec
l’exposition professionnelle des pères aux rayonnements ionisants
externes avant la conception semble aujourd’hui écartée. L’hypothèse
infectieuse liée au brassage de population autour des sites nucléaires
est confortée par plusieurs résultats épidémiologiques. Cette hypothèse
pourrait, selon certains auteurs, expliquer une partie des excès
observés à proximité de certains sites (en particulier à Sellafield et
Dounreay). Cependant, le ou les agents infectieux impliqués n’ont pas pu
être identifiés ou isolés à ce jour.
L’implication d’autres facteurs environnementaux a été envisagée par
certaines publications, tels que les champs électromagnétiques dus aux
lignes à haute tension, les pesticides répandus dans les jardins ou sur
les champs, la présence d’autres sites industriels ou une exposition
élevée à la radioactivité d’origine naturelle. Néanmoins, ces facteurs
ne sont pas spécifiques des sites dans
lesquelles sont implantées des installations nucléaires et, à ce jour,
aucun d’entre eux ne constitue un facteur de risque reconnu de leucémies
infantiles.
A ce jour, bien que plusieurs pistes aient été avancées, l’origine des
agrégats observés à proximité de certains sites nucléaires n’a pas été
établie. Cependant, il faut noter que la plupart de ces études
effectuées présentent des limites méthodologiques (études de type
géographique ou reposant sur de faibles effectifs), rendant difficile la
mise en évidence d’un lien éventuel de causalité. A cette difficulté
s’ajoute le manque de connaissances des facteurs de risque associés aux
leucémies infantiles. La réalisation d’études analytiques à grande
échelle, telles que celles en cours en France sur la base du registre
national des hémopathies malignes de l’enfant, pourrait apporter une
meilleure compréhension des causes des agrégats de leucémies infantiles.
Conclusions
Depuis les années 80, de très nombreuses études descriptives ont
estimé la fréquence des leucémies chez les jeunes à proximité des
installations nucléaires. Ces études répondent à une demande
d’information de la part des populations locales et constituent un
complément nécessaire dans la discussion des effets des faibles
doses environnementales. La revue bibliographique réalisée montre
une grande diversité des approches et des choix méthodologiques
utilisés.
Des excès localisés de cas de leucémies infantiles existent en
Grande-Bretagne à proximité des usines de retraitement de Sellafield
et de Dounreay, et en Allemagne à proximité de la centrale de
Kruemmel. Néanmoins, l’ensemble des études multi-sites actuellement
disponibles, y compris en France, ne montre pas d’augmentation de la
fréquence des leucémies globalement chez les 0-14 ans ou 0-24 ans à
proximité des sites nucléaires.
Une étude épidémiologique récente a décrit un excès de leucémies
chez les enfants de 0-4 ans autour des centrales nucléaires
allemandes. A ce jour, une telle observation n’est pas retrouvée
dans les études effectuées dans d’autres pays, y compris en France.
L’étude allemande publiée ne fournit aucune piste permettant
d’expliquer l’excès observé.
Par ailleurs, de nombreux travaux ont cherché des explications aux
excès de leucémies observés autour de certains sites nucléaires en
s’intéressant à de multiples facteurs de risque potentiels. Parmi
les différents domaines explorés, l’hypothèse infectieuse liée au
brassage de population autour des sites nucléaires semble la plus
étayée. Cependant, le ou les agents infectieux impliqués n’ont pas à
ce jour été mis en évidence.
La détermination des causes des excès de leucémies observés
localement à proximité de certains sites nucléaires est limitée par
un déficit de connaissances sur les facteurs de risque des leucémies
infantiles. Ce constat rend nécessaire le développement d’études
analytiques de grande ampleur, au niveau national ou international.