EXTRAIT DU PROJET D’AVIS DU CONSEIL ECONOMIQUE ET SOCIAL SUR LA PROPOSITION DE DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPEEN  ET DU CONSEIL RELATIVE AUX SERVICES DANS LE MARCHE INTERIEUR

(Directive Bolkenstein)

-          analyse de Nicole Morichaud –

- Février 2005 -

 

L’analyse faite par le CES de cette directive est intéressante car, bien que plutôt favorable à la libéralisation des services dans le marché intérieur, le CES pointe les  dangers, les incohérences et la dérive grave contenue dans ce texte, tant pour les consommateurs que pour les salariés.

 

« une rupture se distingue avec la méthode suivie de longue date dans la construction du marché intérieur qui reposait sur l’harmonisation « par le haut » des droits nationaux, secteur par secteur…. Cette démarche est-elle encore possible dans une Union à 25 ?....

le CES estime que cette démarche fondamentale doit être maintenue. »

 

«  ce projet de directive aborde un ensemble très vaste et hétérogène, cela devrait inciter à la circonspection…

Le CES se déclare préoccupé par la façon dont pourraient s’articuler les différents textes spécifiques ou à venir avec la proposition de directive, qu’il s’agisse des services d’intérêt général, des relations contractuelles liées à l’activité économique des services ou des conditions générales d’exercice du droit du travail et des relations professionnelles. »

 

«  le CES souligne que pour être pleinement efficace cette proposition suppose la réalisation d’états des lieux comparatifs généraux sur les dispositifs nationaux…. Le fait que ces documents soient présentés seulement dans la langue du pays d’origine entraînera des dépenses de traduction accrues et des risques d’interprétation. »

 

« le principe du pays d’origine soulève de nombreuses interrogations notamment en ce qu’il pose des problèmes de compatibilité avec les législations européennes et du pays d’accueil concernant , entre autres, le droit social applicable. »

 

«  de nombreuses possibilités de dérogations sont prévues – permanentes, transitoires, individuelles -  elles constituent un facteur d’insécurité juridique pour certains prestataires et leurs clients qui ne pourront déterminer avec certitude la législation applicable à leurs activités.

Le CES s’étonne que certaines dérogations ne mentionnent pas le droit pénal étatique par exemple le principe constitutionnel de légalité des peines et des délits ainsi que le principe de territorialité qui seraient remis en cause par l’application du pays d’origine. De même aucune dérogation ne vise les dispositions nationales régissant les pratiques restrictives de concurrence, le contrôle des concentrations, la transparence et les pratiques discriminatoires. »

 

« La Cour européenne de justice des communautés européennes a posé plusieurs limites au principe du pays d’origine qui n’ont pas été reprises par la proposition de directive »

 

« Les législations de chaque Etat membre en matière fiscale sociale ou environnementale sont actuellement hétérogènes, des distorsions de concurrence pourraient apparaître et les prestataires de services seraient de fait encouragés à déplacer leur siège dans les Etats membres où les exigences sont les moins lourdes. Le Conseil économique et social européen constate d’ailleurs que : le risque d’une concurrence entre systèmes conduirait à un nivellement par le bas des normes de protection des consommateurs, des travailleurs et de l’environnement. »

 

« La proposition de directive place la responsabilité du contrôle de la qualité et du contenu de la prestation de services dans le pays d’origine du prestataire, le contrôle hors du pays d’origine nécessite une collaboration des autorités compétentes de l’Etat d’accueil s’appuyant sur une confiance mutuelle ; cette coopération déjà insuffisante avant l’élargissement risque de l’être encore davantage avec les nouveaux Etats membres »

 

« la proposition de directive estime que l’application de ses propres dispositions n’exclut pas celles des autres instruments communautaires qui existent déjà.

En effet, le principe du pays d’origine couvre des domaines d’ores et déjà réglés par la Convention de Rome du 19 Juin 1980 qui est actuellement le règlement de référence en matière contractuelle. Une différence existe entre la règle concernant les litiges entre professionnels ( les deux textes aboutissent à la même conclusion), par contre pour les consommateurs qui pouvaient s’appuyer sur la loi de leur résidence habituelle, la directive imposera la règle du pays d’origine dans les domaines où le droit est harmonisé au niveau communautaire. Les consommateurs ne se verraient pas tous garantir les mêmes droits »

 

« le règlement Rome II du 22 juillet 2003 semble également opposé à la directive sur la notion de responsabilité du prestataire de services puisque dans le texte de 2003 la loi applicable est celle du lieu du dommage ; cette différence risque d’amener à des conflits nombreux dans le domaine de l’environnement par exemple compte tenu des différences des normes environnementales dans les différents états membres »

 

 «  autre problème, la proposition de directive prévoit une dérogation à l’application du « principe du pays d’origine » pour les matières couvertes par la directive 96/71 concernant le détachement des travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de service. La directive annule toutes les formalités liées aux obligations minimales issues du droit du travail du pays d’accueil.

Le CES estime, dès lors, que les difficultés d’articulation entre la directive 96/71 et la proposition de directive sont susceptibles de mener dans les faits à uen opacité des détachements de main d’œuvre et à une impossibilité de contrôler efficacement les salariés détachés ; par la  même, elles pourraient conduire à « laisser faire » toutes sortes d’opérations frauduleuses ainsi que le développement du travail illégal, dans toutes ses expressions. En tout état de cause, l’ensemble de ces dispositions ne devrait pas être utilisé comme une incitation à faire pression sur les normes sociales établies…..

……en outre, concernant le détachement transfrontalier des travailleurs de pays tiers, la proposition de directive prévoit que c’est l’Etat membre d’origine qui doit veiller à ce que le prestataire ne détache que des travailleurs, citoyens ou non de l’Union européenne, qui remplissent les conditions en vigueur dans l’Etat d’origine ne matière de séjour et d’emploi régulier. L’Etat d’accueil ne pourra imposer au travailleur détaché ni au prestataire de service un quelconque contrôle préventif. Le CES remarque que ces dispositions sont susceptibles de provoquer les mêmes difficultés que celles exposées au préalable puisqu’elles entraveraient sérieusement les possibilités pour l’Etat d’accueil de prendre des mesures contre les abus relatifs au détachement des travailleurs migrants sans papiers sur leur propre marché du travail. Cette situation se trouvera renforcée par l’insuffisance globale des moyens octroyés aux services d’inspection du travail. »

 

« la proposition de directive remet directement en cause le dispositif d’autorisation préalable des lois « Royer » et « Raffarin » concernant l’urbanisme commercial ; elle remettrait en question l’étude d’impact française imposée aux projets supérieurs à 1000 m2 de surface de vente, outil essentiel pour apprécier l’incidence concurrentielle sur les autres commerces de la zone de chalandise. »

 

« La notion communautaire de services d’intérêt économique général correspond, dans notre droit administratif à celle de service public industriel et commercial. Il conviendra donc que les services d’intérêt économique général soient traités par un texte communautaire spécifique et non dans cette proposition de directive »