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INTERVENTION DE GEORGES SARRE
MARDI 9 MAI 2000
DECLARATION DU GOUVERNEMENT
PRESIDENCE FRANCAISE DE L'UNION EUROPEENNE

Monsieur le Président, Monsieur le Premier Ministre, Mes chers collègues,
A quelques semaines de l'accession de la France à la présidence de l'Union européenne, bien des interrogations se posent sur la nature, la viabilité et l'avenir de la construction européenne.

I L'impasse de la monnaie unique :
II Les inquiétantes conclusions du sommet de Lisbonne :
III L'union européenne relais de la mondialisation libérale :
IV Vers l'Europe fédérale ?

 

 


Les députés du Mouvement des citoyens, qui font passer l'emploi avant la monnaie, ne sont pas catastrophés par l'Euro faible.
I L'impasse de la monnaie unique :

Les députés du Mouvement des citoyens, qui font passer l'emploi avant la monnaie, ne sont pas catastrophés par l'Euro faible. Le principal risque lié à l'actuelle situation de l'Euro serait que les autorités monétaires européennes indépendantes en rajoutent dans l'orthodoxie monétaire et étouffent l'actuelle croissance soutenue qui demeure le principal vecteur du recul du chômage.

L'obsession de la monnaie forte ne doit pas conduire au retour des « années de plomb » où se sont combinés monnaie surévaluée, taux d'intérêts assassins, déflation et rigueur salariale. Ces recettes n'effaceront pas la réalité politique ; l'Euro n'est pas crédible comme monnaie unique parce qu'une monnaie unique doit être le couronnement et non le point de départ d'une identité politique unique. Et toutes les propositions fantasmagoriques qui sont faites aujourd'hui sont autant de fuites en avant. Elles se briseront sur la réalité tant qu'il n'y aura pas en Europe un peuple, une nation, une langue, toutes les réformes institutionnelles, un président, une constitution sont des rêves dangereux.

Repousser l'introduction de l'Euro dans les porte -monnaies des citoyens, pour réfléchir à une monnaie commune préservant les monnaies nationales.

Par contre il est encore temps, Monsieur le Premier Ministre, de sortir par le haut de cette contradiction en repoussant l'introduction de l'Euro dans les porte -monnaies des citoyens, pour réfléchir à une alternative plus crédible, une monnaie commune préservant les monnaies nationales. L'Europe se doterait d'une identité monétaire vis-à-vis de l'extérieur tout en donnant à chaque nation des marges de manœuvre intérieure.
Malgré les théories du « post-national », malgré les critères de convergence, malgré le pacte de stabilité, les politiques économiques divergent à nouveau au sein de la zone Euro.
Chaque gouvernement doit assurer le mandat que lui a confié le peuple et mener une politique conforme à ses réalités nationales. La monnaie unique veut tenter de cacher au monde cette réalité. La monnaie commune prendrait acte du fait que l'Europe n'est pas une Nation.

Le sommet de Lisbonne marque une nouvelle étape, à bien des égards inquiétante, des progrès de la culture ultra libérale.

II Les inquiétantes conclusions du sommet de Lisbonne :

Ce sommet, curieusement, n'a pas eu un écho extraordinaire en France alors même qu'il marque une nouvelle étape, à bien des égards inquiétante, des progrès de la culture ultra libérale.

La France a semblé isolée, ne parvenant pas à obtenir de ses partenaires un engagement précis sur des objectifs à atteindre en matière de croissance et d'emploi.
On peut nourrir des craintes pour l'avenir des services publics. Le principe de la libéralisation totale du gaz, de l'électricité, de l'eau, des services postaux et des transports figurent dans les conclusions du sommet de Lisbonne même si le gouvernement français est parvenu à éviter que le conseil fixe des dates précises. Les marchés des télécommunications doivent être en revanche libéralisés en 2001 et la concurrence des réseaux locaux d'accès intensifiée avant la fin de l'année.
Que vont devenir nos services publics ?

Les partis de gauche sont majoritairement aux affaires mais on tarde à percevoir les effets bénéfiques de ce changement en terme de réorientation de la construction européenne.
III L'union européenne
relais de la mondialisation libérale :

Dans le débat entre partisans de gauche du traité de Maastricht et ceux qui avaient défendu un « non de gauche » au référendum, les premiers disposaient en 1992 d'un argument recevable. Reconnaissant avec les opposant à Maastricht l'orientation trop libérale de la construction européenne, les partisans du « oui » expliquaient cette situation par la présence d'une majorité de gouvernements de droite chez nos principaux partenaires. L'idée de ne pas casser la dynamique européenne en ratifiant Maastricht et de tabler sur l'arrivée de gouvernements de gauche pour réorienter l'Europe a été défendu par nombre de ceux, qui comme vous, Monsieur le Premier Ministre, étaient à la fois circonspects sur les mérites du traité et soucieux de poursuivre l'avancée de la construction européenne.
Aujourd'hui, la situation a changé. Les partis de gauche sont majoritairement aux affaires mais on tarde à percevoir les effets bénéfiques de ce changement en terme de réorientation de la construction européenne. Ce qui n'a pas changé en effet, c'est le contenu du traité de Maastricht, aggravé à Amsterdam.

Loin de contester l'ordre mondial, les traités et institutions européennes le confortent.

Ce qui n'a pas changé, c'est la volonté des institutions européennes de traiter conformément à l'idée cardinale de Maastricht, tous les domaines de l'activité humaine à partir du dogme de la libre concurrence. Nos concitoyens le perçoivent à travers des dossiers qui peuvent apparaître sectoriels, mais qui touchent de près beaucoup de français et qui sont donc très pédagogiques. Je pense par exemple à la marchandisation du sport à travers l'arrêt Bosman de la cour de justice ou à la marchandisation de la protection sociale à travers les directives européennes tendant à livrer les activités mutualistes aux assureurs privés.

Aux yeux des citoyens , l'Union européenne n'apparaît pas comme un outil de lutte contre la mondialisation libérale mais plus sûrement le cheval de Troie de cette mondialisation. Le comportement de la commission pendant les négociations préparant le sommet de l'OMC à Seattle comme les conclusions de Lisbonne en attestent. Loin de contester l'ordre mondial, les traités et institutions européennes le confortent.

La résurgence de l'extrême droite pose, au delà d'une riposte morale, la question de la capacité de la gauche européenne à porter les intérêts des plus défavorisés.

Monsieur le Premier Ministre, l'échec de Monsieur D'Allema en Italie, les difficultés de l'attelage SPD-Verts en Allemagne sauvé par la caisse noire de la CDU plus que par les résultats de sa politique et le cuisant échec électoral de Monsieur Blair doivent interroger sur le rapport de force qu'il est possible d'instaurer en Europe.

La résurgence de l'extrême droite en Autriche, sa montée en Italie, pose, au delà d'une riposte morale, la question de la capacité de la gauche européenne à porter les intérêts des plus défavorisés, de ceux, nombreux, que la mondialisation laisse de côté, comme cloués au sol. L'agenda social européen dont ni Monsieur Prodi, ni la présidence Portugaise n'ont parlé lors de la conférence de presse finale de Lisbonne doit être pour la France un dossier prioritaire de sa présidence.

Malgré les incertitudes, les contradictions, les difficultés actuelles, le fédéralisme avance cependant masqué, sans réel débat démocratique, par simple adhésion des élites.

IV Vers l'Europe fédérale ?

Malgré les incertitudes, les contradictions, les difficultés actuelles, le fédéralisme avance cependant masqué, sans réel débat démocratique, par simple adhésion des élites. Le dossier de la charte des droits fondamentaux en constitue un exemple frappant. Présenté à l'origine comme un simple travail de codification à droit constant, qui ne créait pas de principe juridique nouveau, l'orientation donnée par Monsieur Herzog au sein d'une enceinte autoproclamée « Convention » est d'une tout autre nature. On semble s'orienter vers un texte contraignant traitant des libertés fondamentales, des droits réservés aux citoyens de l'Union et des droits économiques et sociaux. Si une telle charte devait être inscrite dans le traité, cela reviendrait sans le dire, à créer une constitution européenne. L'introduction de la charte au traité donnerait compétence à la cour de justice européenne pour l'appliquer en concurrence avec la cour européenne des droits de l'homme, ce qui créerait un désordre dans l'ordre institutionnel européen.

Donner plus de poids au Conseil des Ministres européens par rapport à la Commission, associer des parlements nationaux serait nécessaire pour redonner un peu de légitimité démocratique à l'Europe.

Mais ce serait surtout une atteinte majeure et décisive à la souveraineté nationale. C'est l'ordre constitutionnel qui serait mis en cause dès lors que la CJCE pourrait interpréter un vaste ensemble de droits et libertés qui pour une part recoupe les « principes fondamentaux » reconnus par les lois de la République.
Le Parlement national et notre Constitution seraient directement mis hors jeu.
L'adoption de cette charte au terme de la présidence française, si elle devait être intégrée au traité, changerait fondamentalement la nature de la construction européenne. Une telle évolution nécessiterait que le peuple français se prononce par référendum.
Programmé depuis la chute du mur de Berlin, l'élargissement de l'Union européenne met également à jour les contradictions entre les intérêts nationaux. La réforme de la commission, la pondération des voix au sein du Conseil, l'extension du vote à la majorité qualifiée, voilà autant de questions que la présidence française aura à traiter mais qui ne seront sans doute pas réglées facilement. La France doit avoir le souci de préserver des marges de manœuvre pour ses intérêts vitaux, comme elle a su le faire sur le dossier de la vache folle.
Elle doit aussi agir pour donner plus de poids au Conseil des Ministres européens par rapport à la Commission. Une meilleure association des parlements nationaux apparaît également nécessaire pour redonner un peu de légitimité démocratique à l'Europe.

L'exigence de voir les responsables politiques reprendre en main les leviers de commande.

Dans le temps qui m'est imparti, il n'est pas possible d'aborder tous les sujets. J'aurais souhaité dire un mot de l'Europe de la défense inféodée à l'OTAN qui limite sa capacité à exister par elle même.
De même une initiative européenne pour l'Afrique, qui n'est pas prête pour la mondialisation libérale, serait le seul moyen de l'aider. On ne peut fermer les yeux devant ce continent oublié, sacrifié, livré à la famine , la maladie, la guerre.

CONCLUSION :
Monsieur le Premier Ministre, le maintien d'une croissance forte, la baisse du chômage, constituent des éléments favorables qui ne peuvent faire oublier la persistance d'inégalités sociales fortes.
La prise de conscience par une partie chaque jour plus nombreuse des citoyens des effets de la mondialisation libérale s'accompagne de l'exigence de voir les responsables politiques reprendre en main les leviers de commande. L'Europe pourrait être, en théorie, un outil pour y parvenir. Il reste beaucoup à faire pour que cet outil virtuel devienne réellement opérationnel. Puisse la présidence française y contribuer.