les rubriques du mdc
Projet d'intervention de Jean-Pierre Chevènement sur la ratification du Traité de Nice

Votre mérite, Monsieur le Ministre, n'est pas en cause. Vous avez pris le train en marche, après que le calamiteux traité d'Amsterdam, incapable de remplir la tâche qui lui avait été fixée par le traité de Maastricht, à savoir la réforme des institutions, eut botté en touche, en communautarisant, sans aucune réflexion préalable, la politique d'asile et d'immigration.

Vous deviez faire face à un problème inédit : comment rendre compatible le fonctionnement des institutions européennes avec la perspective d'un élargissement à vingt-sept ? Vous avez cherché à limiter les dégâts, en résistant autant que vous l'avez pu aux chimères fédéralistes et en maintenant le rôle du Conseil européen.

Assemblée Nationale, le mardi 6 juin 2001

I - Le traité de Nice pose un problème de légitimité démocratique

II - Ce n'est pas être antieuropéen que de refuser la logique d'un Super Etat fédéral

III - Nos propositions pour une Europe démocratique


les dirigeants français ont conduit une politique caractérisée par deux erreurs majeures :

1. La première résidait dans l'illusion que pour contrebalancer la puissance croissante de l'Allemagne, il fallait pousser les feux de l'intégration européenne

Mais vous comprendrez que nous ne puissions pas nous prononcer sur le traité de Nice sans l'inscrire dans une continuité historique et dans la perspective d'un Super Etat fédéral que nous proposent les dirigeants allemands. De ce point de vue, nous ne sommes guère rassurés par le peu de résistance qu'offrent le Président de la République et le Premier ministre : tous deux, en effet, ont accepté de se placer sur ce terrain et s'affirment partisans d'une Fédération d'Etats-nations et d'une Constitution européenne à l'horizon 2004.

A) La continuité historique d'abord.

Depuis le milieu des années soixante-dix, les dirigeants français ont conduit une politique caractérisée par deux erreurs majeures :

1. La première résidait dans l'illusion que pour contrebalancer la puissance croissante de l'Allemagne, il fallait pousser les feux de l'intégration européenne, fût-ce en abandonnant des pans entiers de notre souveraineté, sans contrepartie ni contrôle. L'idée de manœuvre était de ligoter l'Allemagne quitte à ligoter la France. C'est l'esprit du traité de Maastricht : par faiblesse, absence de réflexion historique, et surtout perte de confiance en eux-mêmes et en la France, nos dirigeants ont accepté de transférer les pouvoirs qu'ils tenaient du peuple, à un magmas de procédures où la responsabilité se perd. Tout en prétendant le contraire, ils ont défait la France sans faire l'Europe.

Car l'Europe était et reste un beau dessein, aujourd'hui malheureusement perverti. Une Europe riche de ses nations et du trésor de leurs immenses cultures aurait dû être un grand dessein partagé de démocratie et de solidarité, non seulement pour les Européens mais pour le monde entier. Au lieu de cela, elle a d'abord été le cheval de Troie du libéralisme puis de la mondialisation libérale. Certes, aujourd'hui, l'Europe est relativement un havre de prospérité relative à l'échelle du monde. Mais qu'en sera-t-il demain ? Si nous voulions faire un bilan objectif de la construction européenne depuis ses débuts, comment passer sous silence trois phénomènes essentiels :

- L'implosion démographique d'abord, débouchant sur un vieillissement accéléré et un véritable effacement du sens de l'avenir.
- Ensuite le retard pris par rapport aux Etats-Unis depuis le milieu des années 1970 en matière de croissance, d'investissement, de recherche et de développement technologique.
- Et enfin l'évanescence de toute politique extérieure témoignant d'un sens minimal de nos responsabilités propres, je pense au Proche et au Moyen-Orient, à l'Afrique, et même à la situation qui s'est créée depuis dix ans sur notre continent, dans les Balkans.

La deuxième erreur de nos dirigeants a été le mépris du peuple : on ne l'a informé en rien des objectifs et des conséquences des décisions prises, comme on le verra dans sept mois avec l'introduction de l'euro

2. La deuxième erreur de nos dirigeants a été le mépris du peuple : on ne l'a informé en rien des objectifs et des conséquences des décisions prises, comme on le verra dans sept mois avec l'introduction de l'euro, pour lequel nos concitoyens se sont prononcés en 1992, à vrai dire sans s'en être aperçus. Nos dirigeants ont considéré que le peuple n'était pas capable de comprendre les défis du monde actuel et de consentir les efforts nécessaires pour les relever. L'Europe même a été conçue comme le moyen de lui faire accepter des réformes d'essence libérale dont il ne voulait pas.

Je pense par exemple à l'austérité imposée, de 1991 à 1997, au nom de l'alignement nécessaire du franc sur le mark, qui nous a coûté plus d'un million de chômeurs supplémentaires ; je pense à la renonciation à toute politique industrielle à partir d'une lecture stricte du traité de Maastricht qui prohibe toute mesure non conforme au " principe d'une économie ouverte, où la concurrence est libre " ; je pense à l'ouverture de nos services publics à la concurrence et à la libéralisation des marchés de l'électricité, du gaz, de la poste, dont nous sommes encore loin d'avoir mesuré toutes les conséquences.

L'erreur commise par beaucoup d'hommes de gauche sincères est de croire que le fédéralisme européen pourrait permettre de construire une ligne de résistance à la mondialisation libérale.

B) Tournons-nous maintenant vers l'avenir.

La thèse d'une Europe fédérale, celle du Chancelier Schröder, ne rencontre guère d'obstacles : le Président de la République et le Premier ministre semblent s'être mis d'accord sur la proposition contradictoire en elle-même d'une Fédération d'Etats-Nations. Tous deux ont accepté l'idée d'une Constitution européenne, comme si l'Europe était un Super Etat. L'erreur commise par beaucoup d'hommes de gauche sincères est de croire que le fédéralisme européen pourrait permettre de construire une ligne de résistance à la mondialisation libérale. Au contraire : en dissolvant la nation, inséparable de la démocratie, il lui fraye la voie. Cette double orientation fédérale et libérale apparaît d'ailleurs clairement dans le discours du Chancelier Schröder. Celui-ci se prononce sans ambages pour la libéralisation des services publics du gaz, de l'électricité et de la poste, pour une rigueur budgétaire accrue et pour des réformes permettant de rendre nos systèmes de protection sociale " viables ", c'est-à-dire moins coûteux. L'Allemagne trouve évidemment son compte à la fois dans le libéralisme qui sert les forts et dans le fédéralisme, qui d'une part répond à son modèle historique, et de l'autre met le Parlement européen, où s'exerce de manière prépondérante son influence, au cœur du processus de décision.

Le Premier ministre, dans son intervention du 28 mai, a prétendu remettre les choses à leur place, le contenu avant le contenant, bref le projet avant le mécano institutionnel. L'intention est louable, mais encore faut-il en prendre les moyens. Or on ne peut à la fois défendre la logique démocratique des gouvernements élus par les peuples et concéder à la logique adverse, celle du Super Etat fédéral, où le pouvoir de la technocratie est légitimé par un Parlement qui ne peut exprimer une volonté générale, faute qu'il existe un peuple européen unique ou même un espace de débat structuré à l'échelle de l'Europe tout entière.

L'analyse que nous faisons de l'évolution de la construction européenne depuis les années soixante-dix, aussi bien que les craintes que nous exprimons pour l'avenir, c'est-à-dire pour 2004, date de la Conférence intergouvernementale prévue par le traité de Nice, éclaireront la position des députés du Mouvement des Citoyens quant à l'exception d'irrecevabilité que je défends, aussi bien que sur le fond, c'est-à-dire la ratification elle-même :

1. Tout d'abord le traité de Nice nous semble poser un problème de légitimité démocratique.

2. Il faut qu'il soit clair ensuite que nous ne sommes pas anti-européens. Nous refusons simplement de nous inscrire dans la logique anti-démocratique d'un Super Etat fédéral.

3. Nous sommes pour une Europe démocratique, pour une union de nations et nous avons pour cette Europe-là des propositions à faire.

I - Le traité de Nice pose un problème de légitimité démocratique.

L'exercice était difficile : Vous avez voulu, pour ouvrir la voix à l'élargissement nécessaire et souhaitable, faire sauter le verrou des votes à l'unanimité. Pour empêcher la paralysie du Conseil, vous avez voulu à la fois modifier les règles de vote au sein du Conseil et revoir la pondération entre les différents Etats pour prendre en compte, dans une certaine mesure, le facteur démographique.

A) Cet exercice de repondération ne pouvait être mené à bien sans grincements de dents, mais au total vous y êtes parvenu, au prix d'une inégalité de traitement entre les petits pays membres qui ont dû accepter, sur des bases démographiques, une révision en baisse de leur poids spécifique au sein du Conseil, et les quatre grands pays -Allemagne, France, Grande-Bretagne, Italie- qui ont obtenu le même nombre de voix -29- malgré un écart de vingt millions d'habitants entre l'Allemagne et les trois autres. Il est vrai qu'une substantielle différence démographique existait déjà au moment de la signature du traité de Rome -la France comptait alors 44 Millions d'habitants et l'Allemagne 57- et cette différence n'a, en proportion, guère été augmentée par la réunification allemande puisque l'écart n'a été accru que de 7 à 8 Millions.

On vous fera crédit, cependant, d'avoir défendu de votre mieux l'intérêt légitime de la France qui, après avoir accepté la parité avec l'Allemagne dès le début des années cinquante, soit peu de temps après la fin de la deuxième guerre mondiale, ne pouvait accepter sans fragiliser sa position internationale de voir remettre en cause cette parité fondatrice, qui bénéficie également d'ailleurs à l'Italie et à la Grande-Bretagne.

B) Cette parité entre la France et l'Allemagne reste cependant très optique : L'Europe vers laquelle nous allons sera de plus en plus une autre Europe, naturellement " germanocentrée ". J'aurai l'occasion de le montrer tout à l'heure.

La parité statistique entre les quatre grands Etats européens occulte d'autres phénomènes : ainsi la montée en puissance de pays comme l'Espagne, qui acquiert un poids spécifique proche de celui des quatre grands (27 voix contre 29), que rejoindra le jour venu la Pologne.

Plus généralement, les très petits pays candidats qui sont en nombre, se verront accorder une pondération sans rapport avec leur population réelle. Leurs voix cumulées pèseront d'un poids non négligeable : les sept pays les moins peuplés, avec au total 17 Millions d'habitants, pèseront 33 voix, soit à eux seuls, plus qu'un seul " grand pays ".

Comme l'a fort bien relevé votre rapporteur, M. Alain Barrau, le poids des cinq Etats les plus peuplés (Allemagne, France, Grande-Bretagne, Italie, Espagne) qui, pour 79 % de la population est aujourd'hui de 55 % des voix au Conseil, passera à 41 % des voix dans une Union Européenne à 27, alors que leur population comptera encore pour 62 % de la population totale.

la France qui, dans l'Union à quinze, où le vote à la majorité qualifiée reste limité est de 11,5 %, passera à 8,4 % seulement dans l'Union à vingt-sept

C) La question essentielle que je veux poser est celle-ci :

A-t-on bien mesuré ce que signifie la prise en compte d'une logique démographique certes approximative mais néanmoins incontestable, dans le fonctionnement de l'Union européenne ?

1. A-t-on bien mesuré que le poids de la France qui, dans l'Union à quinze, où le vote à la majorité qualifiée reste limité est de 11,5 %, passera à 8,4 % seulement dans l'Union à vingt-sept où le vote à la majorité qualifiée risque de devenir la règle ? Accepterons-nous de compter pour aussi peu de choses dans le processus de décision d'une Union européenne que nous avons jadis portée sur les fonts baptismaux ? Peut-on dire que la France restera, comme vous l'avez dit Monsieur le Ministre, au cœur de la constitution européenne. Certes l'Allemagne, optiquement, ne pèsera pas plus lourd que nous, mais c'est sans compter sur l'appoint probable de la plupart des pays d'Europe Centrale et orientale qui sont ou tomberont naturellement dans son orbite : l'Allemagne pour des raisons à la fois géographiques, économiques et culturelles, y est de très loin le premier exportateur et le premier investisseur. Ce n'est pas insulter ce grand pays ami que de constater ce simple fait : l'élargissement vers l'Est le met géopolitiquement au centre de l'Europe tandis qu'il éloigne la France, et l'Europe avec elle, de la Méditerranée et de l'Afrique.

La repondération n'est un problème que parce qu'elle va de pair avec l'extension du vote à la majorité qualifiée.

L'acceptation du fait majoritaire par une minorité, acquise au niveau national, va-t-il de soi au niveau de l'Union européenne tout entière.

2. A-t-on bien mesuré ce que signifie du point de vue politique l'extension du vote à la majorité qualifiée à 27 nouveaux domaines et non des moindres ?

C'est le fonctionnement même de l'Union européenne qui va se trouver substantiellement modifié.

a) Le vote à la majorité qualifiée transpose au niveau communautaire la règle majoritaire qui s'applique au sein de chaque Etat, comme si l'acceptation du fait majoritaire par une minorité, acquise au niveau national, pouvait aller de soi au niveau de l'Union européenne tout entière. L'accélération de la communautarisation de nombreuses politiques européennes est ainsi autorisée, sans qu'on se soit interrogé sur ses conditions d'acceptation par les citoyens. Et cela dans des domaines aussi sensibles que la politique commerciale, la politique industrielle, les contrôles aux frontières, la politique des visas, et enfin sous réserve de l'adoption de quelques principes communs d'ici 2004, l'asile et l'immigration.

Cela n'est pas sérieux. On sait déjà que les décideurs européens ne disposent presque jamais d'un socle démocratique suffisant pour engager leurs peuples. La légitimité du Conseil européen n'est pas en cause, mais force est de constater que les Chefs d'Etat et de gouvernement et les ministres sont rarement mandatés par leur opinion publique pour soutenir telle ou telle position au niveau communautaire. Quel ministre peut se vanter d'avoir vu aboutir dans un Conseil des ministres européen, un texte qu'il aurait lui-même proposé ?

Le système de vote à la majorité qualifiée peut ainsi conduire à des conflits majeurs, pour peu qu'il mette en cause des intérêts nationaux essentiels : ainsi dans des domaines aussi sensibles que l'immigration

Mais le traité de Nice introduit une novation particulièrement grave : Une coalition d'Etats disposant de la majorité qualifiée pourra désormais imposer des mesures rejetées par un ou plusieurs pays et surtout par leur opinion publique, et pas seulement par leur gouvernement.

Ce conflit potentiel ne serait que superficiellement un conflit de majorités. En effet d'un côté il y aurait une majorité qualifiée au Conseil européen, cénacle opaque et propre à tous les marchandages de la diplomatie, mais de l'autre il y aurait le fait majoritaire national.

b) Le système de vote à la majorité qualifiée peut ainsi conduire à des conflits majeurs, pour peu qu'il mette en cause des intérêts nationaux essentiels : ainsi dans des domaines aussi sensibles que l'immigration -qu'on ne peut traiter comme si celle-ci n'avait pas sa géographie et ses tropismes différents selon les pays- ou bien les fondements de la politique agricole commune ou encore la politique de cohésion et des fonds structurels. Quel pays n'a pas connu sur son sol depuis une dizaine d'années des incidents à caractère raciste ? Lequel acceptera d'être désarmé face à la criminalité organisée ? N'oubliez pas que ce sont les gouvernements et non le Conseil de Bruxelles ou la Commission européenne qui rendent compte devant les opinion publiques !

Qui ne voit déjà que la politique des fonds structurels va opposer frontalement les pays candidats, les pays actuellement bénéficiaires, et les pays contributeurs ?

Comment ignorer que les principes mêmes de la politique agricole commune, mise en œuvre depuis le milieu des années soixante, à l'initiative de la France, font déjà l'objet d'une remise en cause par l'Allemagne ?

Comment accepter un tel éloignement des instances de décision par rapport aux populations qu'elles sont censées représenter ?

Bref, comment imaginer que l'Union européenne puisse ainsi, à la majorité qualifiée, imposer son primat aux nations ? Comment accepter un tel éloignement des instances de décision par rapport aux populations qu'elles sont censées représenter ?

La majorité qualifiée n'a pu fonctionner jusqu'à présent que parce qu'il s'agissait de mettre en œuvre techniquement des décisions politiques prises à l'unanimité. Ainsi en allait-il pour la P.A.C. Mais dès lors qu'il s'agit de définir les politiques elles-mêmes, le risque de conflit est évident entre un fait majoritaire européen indirect et aléatoire, et un fait majoritaire national bien réel.

Tel est, Monsieur le Ministre, le fondement principal de l'exception d'irrecevabilité que je soutiens au nom des députés du MDC : le traité de Nice pose un grave problème de légitimité démocratique.

Nous sommes favorables à l'élargissement de l'Union européenne mais nous ne voyons pas l'intérêt d'engager pour cela une dynamique fédéraliste qui, en renforçant les processus supranationaux, nous acheminera de plus en plus vers la création d'un Super Etat européen anti-démocratique. De surcroît, il est difficile de nous demander de nous prononcer les yeux fermés sur le traité de Nice, qui prévoit une nouvelle CIG en 2004, date décidément fatidique, une fois que pour chaque gouvernement sera passé le cap des élections, quand on connaît les propositions d'Europe fédérale émanant du Chancelier Schröder, ou la contre-proposition, guère moins inquiétante, de Fédération d'Etats-nations émanant du Président de la République et du Premier ministre.

c) Le traité de Nice, par le passage à la majorité qualifiée au Conseil, opère des transferts de compétences importants. Il fait potentiellement perdre au peuple français et d'ailleurs à tous les autres peuples européens la capacité de choisir en tout état de cause le Président et les membres de la Commission européenne qui pourraient ne plus être l'expression de l'ensemble des Etats mais seulement d'une partie d'entre eux. Cette réforme institutionnelle rendrait le Président de la Commission, par ailleurs doté du pouvoir d'organiser la répartition des compétences au sein de celle-ci, encore moins contrôlable qu'il ne l'est déjà.

Par le passage à la majorité qualifiée, le peuple français et les autres peuples européens perdraient entre autres prérogatives :

- le contrôle de la politique commerciale en matière de services, sous réserve de quelques exceptions certes non négligeables ;

- le contrôle des décisions prises en matière d'asile et de protection temporaire, domaines très sensibles du point de vue de l'opinion publique et où nos intérêts propres sont loin de correspondre à ceux de nos partenaires. Il n'est vraiment pas raisonnable de vouloir hâter le moment où les décisions en matière d'asile et d'immigration ne seront plus prises à l'unanimité ;

- Le peuple français perdrait également la compétence de déterminer le statut de ses députés au Parlement de Strasbourg et des partis politiques au niveau européen. On devine les possibilités de financement de la vie politique ainsi ouvertes …

- Les " mesures nécessaires à l'introduction de l'euro ", à la " lutte contre les discriminations ", ou à " la modernisation de la sécurité sociale " pourraient de même être prises sans notre aval.

- Dans le domaine du premier pilier un vague " droit d'évocation " semble se substituer au droit de veto.

- De même certains accords internationaux de la PESC pourraient être approuvées à la majorité qualifiée, sans que le droit de veto national, qui devrait aller de soi dans un tel domaine intergouvernemental, semble rester applicable.

Alors qu'une nouvelle étape de la décentralisation est d'actualité, on s'étonne de voir s'effectuer un mouvement inverse de centralisation au niveau du continent tout entier, sans qu'il soit possible d'adapter la norme européenne à la diversité beaucoup plus grande des pays membres.

D) Seul le rappel du compromis de Luxembourg, dans tous les cas de vote à la majorité qualifiée, permettrait de lever le grief d'inconstitutionnalité du traité de Nice qu'on ne peut pas ne pas voir, sauf à s'aveugler sur l'engrenage qui nous entraîne vers la création d'un Super Etat européen foncièrement anti-démocratique.

1. Alors qu'une nouvelle étape de la décentralisation est d'actualité, non sans excès d'ailleurs puisque la possibilité d'adapter la loi votée par le Parlement a été ouverte par l'Assemblée Nationale en première lecture, à l'Assemblée Territoriale de Corse et même par la proposition de loi Méhaignerie à toutes les collectivités territoriales, on s'étonne de voir s'effectuer un mouvement inverse de centralisation au niveau du continent tout entier, sans qu'il soit possible d'adapter la norme européenne à la diversité beaucoup plus grande des pays membres.

2. La légitimité des lois européennes élaborées par le Conseil et que les Parlements nationaux doivent transposer est déjà fragile. Elle serait ruinée si le Parlement européen devenait, comme le proposent les fédéralistes, le lieu principal de leur élaboration. Il n'existe pas en effet de peuple européen. Il y a en Europe une trentaine de peuples. La construction européenne ne pourra progresser que sur la base de démocraties nationales respectées.

3. Faute que le principe du veto soit clairement maintenu, ce qui donnerait aux votes à la majorité qualifiée une simple valeur indicative, le traité de Nice constitue une atteinte à la Constitution pour la bonne raison qu'il porte atteinte à la souveraineté nationale et à la démocratie, dont le général de Gaulle disait qu'elles sont les deux faces d'une même médaille.

Je le dis à regret, Monsieur le Ministre, parce que je connais votre lucidité et votre sens de l'intérêt national. Je crois deviner les efforts que vous avez déployés pour maintenir le principe de la légitimité démocratique au sein du Conseil, là où siègent des gouvernements élus par leurs peuples.

Je sais que dans votre esprit, la règle de la majorité qualifiée et la repondération des voix au Conseil sont une ultime tentative pour maintenir ce principe et faire barrage à ceux qui veulent transférer la source de la légitimité à un Parlement européen qui peut, tout au plus, être un forum utile, en aucun cas le lieu de formation d'une volonté générale européenne.

Vous avez hérité, avec les institutions européennes telles qu'elles fonctionnent aujourd'hui, d'une usine à gaz. Vous l'avez encore complexifiée avec des règles de vote de plus en plus opaques : majorité repondérée et requalifiée d'abord, majorité d'Etats ensuite, clause de vérification démographique enfin.

les coopérations renforcées, une direction d'avenir

E) Néanmoins, incertain de pouvoir ainsi forcer la volonté des peuples, le traité de Nice entrouvre une porte de sortie : il assouplit les règles relatives au lancement de coopérations renforcées. Mais il ne les assouplit pas assez. Il y met encore une dizaine de conditions et ne prévoit que ces coopérations puissent être engagées qu'" en dernier ressort ", et sous le contrôle étroit de la Commission, du Conseil et du Parlement européen.

Il y a là à nos yeux une direction d'avenir, le moyen de construire une Europe réaliste, en réseaux, capable de relever de manière pragmatique les défis de l'avenir : lancement de grands programmes de recherche et de développement technologique, travaux d'infrastructure, harmonisation fiscale au sein de la zone euro, actions de coopération vers la Méditerranée et l'Afrique, bref une Europe à plusieurs vitesses, avec des régimes dérogatoires partout où cela s'avérera nécessaire.

F) Malgré la porte de sortie ainsi ouverte, le traité de Nice constitue une nouvelle étape dans le glissement vers un Super Etat fédéral : renforcement des pouvoirs du Président de la Commission qui décidera de son organisation interne et nommera les vice-présidents, extension du rôle du Parlement européen et de la procédure de co-décision qui concernera désormais la politique industrielle, la coopération judiciaire civile, puis progressivement les mesures relatives à l'asile et aux réfugiés, la libre circulation des ressortissants des Etats tiers, et enfin l'immigration clandestine. Encore une fois il est irresponsable pour un Etat digne de ce nom de se défaire de ses responsabilités en un domaine aussi délicat. Rappelez-vous ce tableau de Goya illustré par cette devise toujours vraie : " Le sommeil de la Raison enfante des monstres ".

La principale raison que nous aurions de ne pas nous opposer au traité de Nice est en fait négative : il serait, dans l'état actuel des choses, un moindre mal. La fureur des partisans du Super Etat européen en témoigne. Ils considèrent que le traité de Nice n'a pas accompli des pas suffisants dans la direction du fédéralisme. Mais nous savons -hélas- que nous ne perdons rien pour attendre.

L'objectif est déjà tracé : l'Europe fédérale. Une date est fixée : 2004 pour une nouvelle C.I.G. appelée à répartir les compétences entre le Super Etat, les nations et les régions. D'ores et déjà l'offensive a été lancée par les dirigeants allemands. Elle est puissamment relayée en France même par les fédéralistes et ne rencontre guère d'opposition, et pour cause, de la part des néo-fédéralistes, tenants de la Fédération des Etats-Nations.

La démocratie, c'est d'abord l'acceptation de la règle majoritaire par la minorité. Ce véritable miracle de la démocratie ne peut s'opérer que dans des cadres historiquement constitués.

II - Ce n'est pas être antieuropéen que de refuser la logique d'un Super Etat fédéral.

A) Ce n'est pas être antieuropéen que de constater que les conditions de possibilité d'une fédération démocratique en Europe n'existent pas : Il n'y a pas un peuple européen. Il y en a trente. Il y a une civilisation européenne, aujourd'hui répandue à l'échelle du monde. Il existe un réseau de solidarités de plus en plus serré entre les nations européennes, mais ces solidarités que nous voulons encore développer, n'effacent pas la personnalité, la culture souvent inscrite dans une grande langue de civilisation, et la vocation de chaque nation, elle-même cadre irremplaçable de la démocratie. Chaque nation apporte quelque chose d'unique à l'Europe, constitue une brique de base de la démocratie internationale à construire. Pour autant, il n'existe pas une nation européenne ni un corpus juridico-politique qu'on pourrait appeler " le peuple européen ".

Il n'y a pas non plus de références communes et de repères partagés suffisamment puissants, pour permettre l'émergence d'un fait majoritaire qui s'imposerait à la minorité. La démocratie, c'est d'abord l'acceptation de la règle majoritaire par la minorité. Ce véritable miracle de la démocratie ne peut s'opérer que dans des cadres historiquement constitués. En Europe ces communautés historiques existent : elles s'appellent les nations. Certes les nations ont une histoire. Elle n'ont pas toujours existé. Mais avant de les dissoudre, il faut être sûr de pouvoir les remplacer. Or historiquement, les formes d'organisation politique connues, en dehors de la nation, sont soit la tribu ou l'ethnie, soit l'Empire. Ces deux formes ne sont d'ailleurs pas incompatibles entre elles, loin de là. On a le droit de préférer la liberté nationale garante de la démocratie et de l'égalité de tous les citoyens devant la loi, à un Empire laissant certes se développer les franchises locales sur les décombres des nations, mais s'arrogeant le droit de décider pour les grandes choses, conformément aux intérêts de la puissance dominante.

Tant que le peuple français existe, il peut déléguer au niveau communautaire, non sa souveraineté mais des compétences qui peuvent être exercées en commun

Bref, on peut dénier à l'Union européenne d'être un niveau de souveraineté propre sans être anti-européen pour autant. L'Europe doit rester une union de nations parce que la source du pouvoir démocratique légitime est dans les nations. La souveraineté du peuple français est inaliénable, en ce sens qu'elle est, comme disait Rousseau, l'exercice de sa volonté générale, à moins évidemment de dissoudre le peuple français. Tant que celui-ci existe, il peut déléguer au niveau communautaire, non sa souveraineté mais des compétences qui peuvent être exercées en commun, là où la dimension européenne est plus pertinente, mais à condition que ces compétences restent contrôlées démocratiquement. L'Union européenne doit donc, pour rester démocratique, demeurer une société de nations, délibérant et décidant dans les domaines qu'elles ont en commun. Paul Thibaud a montré la nécessité d'une Europe qu'il appelle " dialogique ", où les nations s'impliqueraient au lieu de se dissoudre. De même a-t-il analysé avec beaucoup d'acuité le risque d'une Europe qui s'organise en dehors des nations qui la constituent. Je le cite : " On n'a pas créé un peuple européen nouveau. On a normalisé ceux qui existaient, instillé la passion de l'alignement mutuel, le goût fade de la similitude, l'habitude de remplacer la discussion par la conformation, un rapport de négation et d'incompréhension avec sa propre histoire, une fuite de soi, un désir de déposer le fardeau . "

 

Soit, si l'Europe est une union de nations, la décision reste inter-gouvernementale. Soit, si l'Europe entend devenir une puissance souveraine, même contenue dans certaines limites, la légitimité passe au Parlement.

Et Paul Thibaud d'ajouter : " Instituer une fédération européenne sur cette base … serait ajouter à la gestion par l'extérieur, la représentation par une entité où on ne se reconnaît pas. Cela pourrait ressembler à une Autriche-Hongrie : la politique réservée à une élite transversale, et les peuples cultivant leur identité folklorique. "

Nous sommes donc placés devant un choix fondamental :
· Soit la souveraineté reste dans les nations et l'Europe se définit comme une construction entre les nations. La décision doit donc demeurer au Conseil européen ou au Conseil des Ministres.
· Soit , deuxième terme de l'alternative, on prétend construire un Etat européen effaçant les nations, en faisant comme si le Parlement européen pouvait exprimer une volonté générale européenne, bref comme si l'Europe était une nation.

Il y a là deux logiques absolument contradictoires. Soit, si l'Europe est une union de nations, la décision reste intergouvernementale. Soit, si l'Europe entend devenir une puissance souveraine, même contenue dans certaines limites, la légitimité passe au Parlement. On ne peut pas éluder ce choix. C'est l'un ou c'est l'autre. A rien ne sert de se réfugier dans les oxymores, du type " Fédération d'Etats-nations " ; C'est d'avance concéder à la logique du Super-Etat fédéral.

Cette logique fédéraliste s'exprime sans ambages dans la proposition du SPD avalisée par le Chancelier Schröder

B) La logique du Super Etat fédéral.

Cette logique fédéraliste s'exprime sans ambages dans la proposition du SPD avalisée par le Chancelier Schröder. Celle-ci ne vise à rien moins qu'à transformer le Conseil des ministres en chambre haute (Chambre européenne des Etats), à renforcer encore les pouvoirs du Parlement européen par l'élargissement de la co-décision et par l'octroi d'une pleine compétence budgétaire, et enfin à faire de la Commission le véritable " gouvernement européen ". Le système Monnet-Schumann, imaginé dans les années cinquante, visait contourner les gouvernements nationaux par une Commission maîtrisant l'initiative et l'exécution. La proposition Schröder, elle, vise carrément à leur substituer un système institutionnel classique, fondé sur le bicamérisme et la responsabilité gouvernementale de la Commission devant la Chambre basse (le Parlement européen), reléguant ainsi les Etats-nations dans des tâches subsidiaires.

A cette révolution institutionnelle, le Chancelier Schröder ajoute l'intégration de la Charte des droits fondamentaux aux traités, dans la perspective d'une Constitution européenne, le droit accordé à tout citoyen de porter plainte devant la Cour de justice européenne, -Bonjour la " démocratie contentieuse !- et enfin la création d'une police judiciaire, d'une police des frontières et d'un Parquet européens.

Il est remarquable que ce projet fédéral s'intègre parfaitement dans un projet d'uniformisation libérale et marchande

Il est remarquable que ce projet fédéral s'intègre parfaitement dans un projet d'uniformisation libérale et marchande (ouverture à la concurrence des services publics, création d'un marché financier unique, réaffirmation d'un objectif de stabilité pour l'euro, etc.).

C'est la Fédération libérale, c'est-à-dire au coût minimal.

Il est remarquable aussi que les intérêts nationaux allemands soient affirmés sans fard et je préfère la franchise de l'actuel Chancelier allemand à l'attitude qui était celle de la CDU (désengagement dans le financement de la PAC et des politiques structurelles, réaffirmation du partenariat avec les Etats-Unis comme fondement de la sécurité européenne, période transitoire pour l'intégration des PECOs dans l'Union européenne, et transposition à l'Europe du modèle policier qui est celui de l'Allemagne fédérale).

Il faudrait être un observateur superficiel pour se borner à constater la concordance de la proposition Schröder et des intérêts allemands -ce qui n'est pas choquant en soit-, voire à relever certaines contradictions entre la proposition d'Europe fédérale et la renationalisation de la PAC ou à imputer au Chancelier de simples desseins de politique intérieure : rassurer les Länders et contourner la CDU en se faisant plus " européiste " qu'elle. Il y a dans ces propositions une logique fédérale qui a sa force propre, même si, en choisissant le modèle fédéral qui est historiquement le sien, l'Allemagne refuse d'en assumer les conséquences financières, comme semblent s'en étonner des observateurs un peu naïfs.

l'Europe se trouve objectivement de plus en plus " germanocentrée "

Bien sûr, le centre de gravité de l'Union européenne se déplace de plus en plus vers l'Allemagne. C'est le fait de la démographie -82 Millions d'habitants-, de la géographie européenne qui met l'Allemagne en son centre. C'est aussi le fait de l'économie : l'industrie et la banque allemande sont grosso modo deux fois plus puissants que les nôtres, et leur poids " dans une économie ouverte où la concurrence est libre " ne manque pas de se faire sentir. Relevons d'ailleurs que si l'économie allemande ralentit, le capitalisme allemand, quant à lui, est très dynamique à l'échelle mondiale et particulièrement en Europe centrale et orientale. Au plan politique aussi, l'Allemagne a appris à défendre sans hypocrisie ses intérêts et je ne songe pas à le lui reprocher: ainsi pour la reconnaissance de l'allemand comme troisième langue européenne. Ainsi pour sa représentation au Parlement européen que le traité de Nice a maintenu à 99 députés en réduisant la nôtre à 72, soit une stricte proportionnalité démographique. Nous sommes loin de la parité numérique prévue initialement par le traité de Rome. Encore faut-il remarquer que ce renforcement redouble la prépondérance que la CDU et le SPD exercent déjà dans les faits, à travers les deux principales formations du Parlement européen, le PPE et le PSE, sans l'accord desquelles aucune question ne peut être inscrite à l'ordre du jour. Ainsi l'Europe se trouve-t-elle objectivement de plus en plus " germanocentrée ", de par la nature des choses, en ce début de XXIème siècle. A rien ne servirait de le lui reprocher.

Ce modèle fédéral qui relègue la politique au rang des choses subsidiaires, est évidemment contradictoire avec le modèle français de la nation politique, qu'on appelle la République.

Ces réalités existent. Mieux vaut les reconnaître que de faire comme si elles n'existaient pas, en se raccrochant à des illusions du passé. Car elle rendent d'autant plus nécessaire la préservation de la souveraineté de la France, notre bien le plus précieux.

La nouvelle géopolitique européenne constitue une raison supplémentaire pour ne pas admettre le glissement progressif et accéléré vers une logique fédérale contraire à la démocratie, contraire à l'intérêt national, et contraire surtout à l'intérêt européen bien compris, car l'intérêt de notre continent n'est pas de se fondre dans un Empire qui ferait de lui la grande banlieue des Etats-Unis.

Le modèle fédéral a toujours été historiquement celui de l'Allemagne. Il juxtapose naturellement des entités de taille et d'importance variables, chacun vaquant à ses affaires, pourvu que l'essentiel reste " en de bonnes mains ". Ce modèle fédéral qui relègue la politique au rang des choses subsidiaires, est évidemment contradictoire avec le modèle français de la nation politique, qu'on appelle la République. " L'identité de la France, selon Fernand Braudel, s'appelle diversité ". Accepter pour l'Europe un modèle fédéral reviendrait inévitablement à dissoudre la République et la France dans une " Europe des régions ", dont on voit déjà surgir les prémices.

C'est pourquoi la position française devrait être claire et dépourvue d'ambiguïté. Elle devrait s'exprimer sereinement mais de manière cohérente pour être pédagogique, et d'abord à l'égard du peuple français. A celui-ci nous devons la vérité, pour qu'il puisse faire face, à l'aube de temps difficiles, à une situation dans laquelle ses dirigeants l'ont laissé glisser par légèreté et manque de confiance en eux et qui pourrait un jour se comparer à celle du Québec en Amérique du Nord.

La construction de l'Europe n'implique pas, selon nous, qu'une nation renonce à son modèle et qu'une autre impose le sien. Nous devons faire preuve d'imagination et d'inventivité. Or, au lieu de cela, la position française, telle qu'elle a été définie par le Président de la République et par le Premier ministre, est floue et contradictoire.

Dès lors qu'il y a trente peuples en Europe, on peut concevoir entre eux des traités mais pas une Constitution : où serait l'Assemblée Constituante ?

C) Une position française floue et contradictoire.

1. Le Président de la République, Jacques Chirac, a été le premier à souhaiter dans son discours de Berlin, devant la Bundestag, l'élaboration d'une Constitution européenne. On peut être surpris par cette désinvolture, car les autres autorités françaises se sont trouvées alors mises devant le fait accompli. Dès lors qu'il y a trente peuples en Europe, on peut concevoir entre eux des traités mais pas une Constitution : où serait l'Assemblée Constituante ? Une convention autoproclamée comme pour l'élaboration de la Charte des droits fondamentaux ? Et comment le Président de la République pourrait-il garantir la Constitution dont il a la charge, celle de la Vème République, s'il accepte d'emblée d'en cautionner une autre, supérieure, à l'échelle de l'Europe tout entière ?

Nul ne contestera la nécessité d'un nouveau traité permettant de mettre transparence et démocratie dans le fonctionnement de l'Union européenne. Aujourd'hui celle-ci intervient dans à peu près tous les domaines, et le champ des compétences de l'Union doit être ramené à l'essentiel, étant bien entendu qu'en aucun domaine le contrôle national ne peut disparaître, et que même en matière de politique extérieure, des actions ou des stratégies communes ne peuvent s'y substituer et encore moins faire disparaître les politiques nationales.

La subsidiarité doit se définir à partir des nations qui gardent la compétence de la compétence, comme disent les juristes allemands. C'est pourquoi un traité est suffisant. Point n'est besoin d'une Constitution, sauf si on veut instaurer une " souveraineté européenne ".

Quant à la conception d'une Fédération d'Etats-nations, ce n'est pas une " belle idée ", ce n'est pas une idée du tout.

2. Le Président de la République a également repris à son compte le concept ambigu de Fédération d'Etats-nations, forgé par Jacques Delors. Le Premier ministre s'est rallié à cette formulation comme -en fin de compte- à la proposition d'une Constitution européenne intégrant la Charte des Droits fondamentaux.

Celle-ci fera double-emploi avec la Convention européenne des Droits de l'Homme et elle servira de substrat au développement d'une démocratie contentieuse, naturellement ennemie de la démocratie citoyenne. Le pouvoir des juges, insidieusement, remplacera celui des Parlements, réduits de plus en plus à prendre acte des jurisprudences. N'est-ce pas déjà largement chose faite ?

Quant à la conception d'une Fédération d'Etats-nations, ce n'est pas une " belle idée ", ce n'est pas une idée du tout. Elle peut recevoir deux sens différents et même contraires :

- association d'Etats souverains qui, par conséquent, présente un caractère international ;
- fédération dont les composantes peuvent bien être appelées Etats, mais ne sont pas souveraines.

La " tension ", comme dit Lionel Jospin, ne peut pas être résolue, précisément parce qu'une entité politique est souveraine ou ne l'est pas.

existe-t-il oui ou non une primauté du droit européen sur le droit national ?

En réalité l'instauration d'une Fédération n'aurait pas d'effet symétrique sur l'Allemagne et sur la France. La première s'y retrouverait aisément, la seconde s'y dissoudrait. En effet, l'unité allemande et l'unité française obéissent à des principes différents, car nos deux nations n'ont pas la même histoire.

François Hollande, croyant résoudre le problème, a déclaré que la Fédération existait déjà, et Lionel Jospin croit discerner dans l'Union européenne actuelle " des éléments fédératifs très forts ". Mais ceux qu'ils mentionnent sont très différents les uns des autres. Il s'agit tantôt du statut des autorités (une commission indépendante et un Parlement élu au suffrage universel), tantôt de leurs domaines d'intervention (le marché, la monnaie), tantôt encore de hiérarchie des normes : la primauté du droit européen.

La question de savoir si l'on est, ou non, en présence d'une fédération ne peut être résolue à l'aide d'un critère tiré de la nature ou du mode de nomination des autorités. En effet bien d'autres entités qu'une fédération peuvent comporter une commission indépendante ou un Parlement élu au suffrage universel. La question ne peut être davantage résolue à l'aide d'un critère tiré de leurs domaines d'intervention, car ces domaines peuvent être régis par des autorités aussi bien internationales qu'étatiques ou infra étatiques.

Seul le troisième critère, la hiérarchie des normes est utile : existe-t-il oui ou non une primauté du droit européen sur le droit national ? Cette primauté existe sur les lois nationales mais non sur les Constitutions nationales. On voit par là l'enjeu du débat sur la Constitution européenne.

Dans une fédération, c'est la constitution fédérale qui fonde la validité des constitutions des Etats. Dans l'Union européenne, ce sont les constitutions qui autorisent la ratification des traités. Dès lors, sauf à vouloir donner aux pays européens le statut des ex-Républiques soviétiques, en aucun cas les traités ne peuvent avoir une valeur supérieure ou même égale à celle de la constitution, mais seulement au mieux une valeur intermédiaire entre celle de la constitution et celle des lois.

Qu'est-ce qu'un Etat-nation qui ne maîtrise déjà plus ni sa monnaie, ni son commerce extérieur, ni l'essentiel de ses lois, ni même sa défense, et qui demain abandonnerait sa police et sa justice ? En quoi ce projet de Fédération d'Etats-nations différerait-il d'une pure et simple Fédération ?

3. Le discours du Premier ministre du 28 mai n'est pas sans mérites, en ce qu'il pose le primat du projet politique. Mais quelles conséquences en tire-t-il concrètement ?

a) S'agissant de la subsidiarité le Premier ministre souhaite " mieux assurer, dans certains domaines, la répartition verticale des compétences : le cadre général, fait de principes et d'objectifs, serait défini au plan européen, tandis que la mise en œuvre politique ou technique serait mise en œuvre par les Etats ou les régions ".

Cette formulation est très inquiétante. Cette répartition des compétences fait irrésistiblement penser à celle qui s'exerce dans le cadre de la décentralisation, où les collectivités décentralisées ne disposent que d'une partie du pouvoir réglementaire. Et quels sont ces domaines dans lesquels s'exercerait cette " répartition verticale " ?

b) De même l'idée d'une politique étrangère ou d'une politique de défense communes vont-elles trop loin, en ce qu'elles nient la capacité propre des nations. Croit-on que l'Union européenne pourrait mieux que la France définir une position équitable et surtout acceptée dans le conflit israélo-arabe ?

Comment peut-on ne pas défaire la France, si sa représentation au FMI comme dans d'autres organisations internationales -le Conseil de sécurité par exemple- se fond dans une représentation de l'Union européenne ? Les positions éminentes que la France a acquises au long de l'histoire seraient ainsi abandonnées, mais pour quelles contreparties ? Comment ne pas défaire la France, si on lui enlève peu à peu tous les attributs de la souveraineté jusqu'à la police judiciaire et la police des frontières, pour répondre aux inquiétudes de l'Allemagne ?

Bref, qu'est-ce qu'un Etat-nation qui ne maîtrise déjà plus ni sa monnaie, ni son commerce extérieur, ni l'essentiel de ses lois, ni même sa défense, et qui demain abandonnerait sa police et sa justice ? En quoi ce projet de Fédération d'Etats-nations différerait-il d'une pure et simple Fédération ?

c) Pour répondre à cette question, il faut aller au-delà du problème de la répartition des compétences, pour aborder celui de l'équilibre institutionnel.

Le Premier ministre se propose de renforcer le triangle hérité de Jean Monnet, entre le Conseil, la Commission et le Parlement européen. Ce triangle est à bout de souffle. L'idée de créer un Conseil permanent des ministres des Affaires européennes est peut-être une bonne idée. Celle de renforcer l'autorité du Président de la Commission, en le faisant élire au sein du PPE ou du PSE, en fonction du résultat des élections européennes, prête à réflexion. M. Prodi n'a jamais caché son objectif, qui est de mettre fin à l'intergouvernementalité. Selon lui, celle-ci " bride l'initiative, entrave la prise de décision, éparpille le pouvoir entre des entités dont la responsabilité est mal définie, comme le secrétariat du Conseil, qui gère le PESC " . Faut-il vraiment céder à cette boulimie de pouvoir ?

De même l'idée d'un Congrès, conférence permanente des Parlements, qui se réunirait deux fois par an, ne permettra certainement pas de résoudre le problème fondamental du contrôle démocratique des décisions. Quant à l'idée de confier à une Convention ouverte à tous les lobbies et groupes de pression, le soin de préparer une Constitution européenne, c'est une proposition franchement rédhibitoire.

 

Il faut savoir poser les questions fondamentales : quel est l'intérêt de la France ? Qu'attend-t-on du projet européen ?

" Faire l'Europe sans défaire la France " est une belle résolution qui demande un extraordinaire sursaut d'énergie morale et politique.

Il est légitime que l'Allemagne fasse des propositions conformes à ses intérêts. Il serait également légitime que la France le fasse pour elle-même, et non pas qu'elle se positionne à la remorque des autres, pour faire semblant de donner des gages de bonne conduite européenne, ce que ne font précisément pas nos partenaires.

Il faut savoir poser les questions fondamentales : quel est l'intérêt de la France ? Qu'attend-t-on du projet européen ? Quelle est l'exigence de solidarité entre les peuples européens que l'on veut atteindre ? Ensuite, on pourra proposer un modèle institutionnel équilibré.

L'Union Européenne doit avoir une légitimité démocratique pour imposer ses choix et ses orientations au plan interne comme à l'échelle internationale. L'Europe se construira sur la libre coopération des peuples et des Etats qui la composent. L'objectif qui doit guider toute la réflexion est donc de mettre la démocratie, et par conséquent le débat, au cœur de la construction européenne.

Le Conseil européen, composé des chefs d'Etat et de gouvernement élus et responsables, doit retrouver sa fonction d'orientation stratégique, car il est le lieu de la légitimité démocratique
III - Nos propositions pour une Europe démocratique.

A) Nous avons d'abord besoin de faire une Europe politique et non pas technocratique, et pour cela, de ressourcer l'Europe dans les nations enfin dé-diabolisées, reconnues comme des acteurs historiques indispensables, comme l'origine et la fin de la construction européenne. A cette condition seulement, elles s'y impliqueront. Il faut que l'Europe soit leur chose commune, non pas que l'Europe s'impose à elles comme un carcan, mais qu'elles aillent à l'Europe, comme à un foyer d'où elles pourront rayonner davantage.

1. C'est pourquoi le Conseil européen, composé des chefs d'Etat et de gouvernement élus et responsables, doit retrouver sa fonction d'orientation stratégique, car il est le lieu de la légitimité démocratique. Cela implique que les sommets européens ne soient pas " pour la photo ", ni distraits de leurs tâches par l'accueil d'un invité prestigieux, tel MM. Bush ou Poutine, mais qu'ils soient préparés méthodiquement par la réunion de plusieurs Conseils de l'Union, où les ministres compétents travailleront effectivement à mettre en forme les décisions des chefs d'Etats et de gouvernement, comme ce fut le cas pour le Conseil de Tampere à partir d'abord d'un mémorandum franco-allemand puis franco-germano-britannique. Cela implique aussi une transparence dans les débats et dans les votes qui aujourd'hui n'existe pas.

2. Le Conseil de l'union doit devenir une véritable instance de propositions concrètes. C'est pourquoi il devrait, en lieu et place de la Commission, détenir désormais le droit d'initiative pour les trois piliers de l'activité communautaire (marché commun, PESC, Justice et affaires intérieures). Ce droit d'initiative pourrait être éventuellement partagé avec la Commission. Toutefois, le Conseil resterait seul juge de la recevabilité des propositions. Les ministres tiennent leur légitimité de la représentation nationale de leurs pays respectifs. Remettre entre leurs mains le droit d'initiative, ce serait rapprocher la politique européenne de la volonté de chaque pays ; ce serait renforcer la démocratie.

3. Il est nécessaire également de raffermir le rôle du Conseil des Affaires générales, y compris en le transformant comme le souhaite le Premier ministre, en Conseil permanent des ministres des Affaires européennes.

L'Europe ne se fera pas par décret. Nous avons besoin de grands projets scientifiques, technologiques, culturels à l'échelle du continent.

B) Pour faire mûrir la conscience des solidarités européennes, il faut surtout avancer des projets mobilisateurs, et ainsi permettre de structurer un espace public commun de débat, si possible à l'échelle de l'Europe entière.

Je reprends tout à fait à mon compte cette proposition de Jürgen Habermas, à cette seule condition de ne pas confondre notre désir avec la réalité, et de ne pas mettre ainsi la charrue avant les bœufs.

L'Europe ne se fera pas par décret. Nous avons besoin de grands projets scientifiques, technologiques, culturels à l'échelle du continent. Mais où en sont les grands travaux d'Essen lancés par le Conseil Européen de 1994 ? Nous avons besoin moins d'une nouvelle Charte sociale -nous en avons déjà accumulé beaucoup- que d'un horizon social. Bien entendu à cet égard l'emploi reste à cet égard un défi essentiel. L'euro est là, avec ses avantages et avec ses aléas, mais, pour faire face aux risques de ralentissement économique, il faudra établir entre la Banque Centrale Européenne et l'autorité politique légitime un rapport de responsabilité. Parmi les conditions mises à l'euro dans la plate-forme commune MDC-PS de 1999, figurait une modification des statuts de la BCE, afin que celle-ci soit rendue responsable non seulement de la lutte contre l'inflation, mais aussi du maintien de la croissance et de l'emploi. Cette condition pourrait bien redevenir d'actualité prochainement.

Economiquement et stratégiquement, la Méditerranée du Sud sera un véritable poumon pour l'Europe de demain, ou alors elle sera une bombe.

Projets en direction de la Russie : Le Chancelier Schröder, à cet égard, a raison de souligner la nécessité de fonder avec elle un partenariat stratégique pour assurer la stabilité et la paix sur notre continent.

Projets en direction du Sud, du Maghreb, du Proche et du Moyen-Orient, de l'Afrique, car là se joue l'avenir de l'Humanité. L'Europe ne doit pas se replier sur un égoïsme de riches. Elle a un rôle majeur à jouer dans la modernisation du monde arabo-musulman qui est à nos portes, et dans la construction de la paix sur les bords de la Méditerranée.

La région méditerranéenne ne peut pas être traitée comme une charge. Economiquement et stratégiquement, la Méditerranée du Sud sera un véritable poumon pour l'Europe de demain, ou alors elle sera une bombe. Nous avons intérêt à ce qu'elle se développe, que les Etats de droit y fleurissent, que les populations y accèdent à la modernité et s'y stabilisent. Dans les conflits au Moyen-Orient, l'Europe peut jouer un autre rôle que celui de bailleur de fonds.

La déclaration de Barcelone (1995) a montré ses limites. Elle apparaît désormais pour ce qu'elle est : une trouvaille conjoncturelle pour ouvrir les marchés. Le partenariat euro-méditerranéen propose essentiellement une zone de libre-échange aux pays de la rive sud dans le domaine des produits industriels et des services. Or celle-ci répond essentiellement aux intérêts européens, c'est-à-dire à l'accroissement des avantages comparatifs immédiats de l'Europe. L'agriculture, seul secteur compétitif du Sud, n'est pas concerné. Le libre-échange ne peut qu'aboutir à supprimer toute concurrence réelle ou potentielle du Sud dans l'industrie.

Ce serait une grave erreur de croire que l'Europe pourra tirer des pays du Sud des bénéfices importants sans subir les effets sociaux d'une mise à niveau brutale de leurs économies. Dans des sociétés où la libéralisation incontrôlée et le désengagement de l'Etat entraînent aggravation de la dualisation sociale et de la corruption, le développement de migrations anarchiques constituerait la rançon de l'égoïsme européen. Si l'Europe veut sortir de ce piège qu'elle s'est tendue à elle-même, elle doit prendre en compte les paramètres endogènes du développement des pays du Sud.

Ce projet devrait se déployer autour de l'idée d'un " marché commun " euro-méditerranéen, doté d'une véritable politique structurelle

Le développement de relations commerciales plus équilibrées, un codéveloppement privilégiant les facteurs de complémentarité et de solidarité et soulignant l'étroite interdépendance historique, culturelle et économique entre les deux rives, implique, la réorientation du projet de zone de libre échange. Ce projet devrait se déployer autour de l'idée d'un " marché commun " euro-méditerranéen, doté d'une véritable politique structurelle : modernisation et reconversion des secteurs non compétitifs, mise aux normes techniques et sanitaires des produits, formation de la main-d'œuvre, etc. Une " coopération renforcée " originale peut être l'instrument de cette politique conclue entre l'Espagne, la France, la Belgique, les Pays-Bas, la Suède, le Portugal, l'Italie et la Grèce -et d'autres pays européens pourquoi pas ?- et leurs partenaires de la rive sud. Cette coopération pourrait concerner des secteurs précis (gestion des ressources énergétiques, des ressources en eau, des migrations, programmes communs d'infrastructures, de formation etc.) et tisser progressivement l'espace méditerranéen d'interdépendances solidaires à même de préparer la rive sud à une intégration plus étroite à l'Union.

Il faut également placer les migrations au cœur de la coopération entre les deux rives et élaborer une politique migratoire directement articulée sur les nécessités du codéveloppement. Cette politique migratoire doit reposer sur une gestion commune des flux nécessaires à la formation et au développement, impliquant la lutte contre l'immigration illégale.

L'Europe ne peut pas non plus se désintéresser du continent africain. L'Afrique noire sera une des grandes interrogations - démographique, politique, culturelle, économique - du siècle qui s'ouvre. Il faut offrir à l'Afrique des issues pour sortir du sous-développement, des guerres tribales, de la décomposition des systèmes sociaux. Or, la réforme des accords de Lomé est très loin de ces exigences. La philosophie de l'Accord de Cotonou repose sur l'idée qu'il n'y a pas d'avenir pour l'Afrique en dehors de son intégration rapide dans la mondialisation libérale.

L'Union européenne -et la France doit l'y entraîner- doit comprendre que le développement économique, social et politique de l'Afrique conditionne sa propre stabilité et sa prospérité future. Plus elle tardera à faire front par une véritable stratégie commune de développement, plus elle subira les effets dévastateurs, surtout en termes de flux migratoires, de la paupérisation des pays africains.

Comment imaginer que l'Europe puisse se mettre aux abonnés absents de la grande Histoire ? Nous devons penser le projet d'une Europe européenne, capable de se définir par elle-même, et de contribuer à l'émergence d'un monde véritablement multipolaire avec la Chine, le Japon, l'Inde, le Brésil, sans pour autant remettre en cause le fonds de valeurs que nous partageons avec l'Amérique.

Pour structurer un espace commun de débat -et en dehors des projets-, il faudrait, du point de vue de la méthode, remettre dans le coup les Parlements nationaux

Pour structurer un espace commun de débat -et en dehors des projets-, il faudrait, du point de vue de la méthode, remettre dans le coup les Parlements nationaux, organiser des débats simultanés sur quelques grands sujets, créer en France, comme je le propose depuis 1991, une véritable Commission des Affaires européennes, préparant des débats en amont des prises de décision au sein du Conseil européen ou des Conseils des Ministres.

Pour faire vivre la démocratie en Europe, il faudrait aussi revivifier le Parlement européen, soit en le transformant en Assemblée des représentants des Parlements nationaux, soit, à défaut, en lui adjoignant une seconde chambre ainsi composée, comme le suggère Tony Blair.

Quant à la Commission, exécutif administratif de l'Union, il serait raisonnable de ne pas laisser son organisation à la discrétion de son seul Président, mais de la structurer en quelques grandes directions responsables, selon les principaux domaines d'intervention. Cette remise en ordre contribuerait au renforcement de la démocratie, au détriment d'une technocratie souvent envahissante ou irresponsable. Elle desserrerait aussi l'étreinte des groupes de pression en clarifiant le processus de décision au sein de l'Union.

instaurer un contrôle de constitutionnalité du droit européen

C) Le troisième axe d'une refondation démocratique de l'Europe serait l'instauration d'un véritable contrôle démocratique des décisions prises au niveau européen.

Outre l'implication accrue des Parlements nationaux, on peut penser à instaurer un contrôle de constitutionnalité du droit européen. La jurisprudence de la CJCE s'imposant de manière unitaire et centralisée a abouti à une complète dépossession des Parlements.

L'Allemagne et le Danemark ont déjà décidé que leurs tribunaux devraient écarter les normes européennes qui se révéleraient contraires à leurs constitutions. Dans les deux cas, cette décision a été prise par des cours souveraines. Pourquoi la France n'en ferait-elle pas autant ?

La conséquence serait de possibles conflits entre la CJCE et les cours constitutionnelles. Mais ces conflits qui, faute de compromis, devraient être tranchés politiquement, manifesteraient l'existence d'une dialectique européenne, seraient un moyen d'expliciter les principes de l'Union et de les faire intérioriser. Il s'agirait en somme d'instituer juridiquement la diversité européenne que chacun reconnaît, mais dont on a peur, quand elle se manifeste.

Une expérimentation proposée par un pays devrait pouvoir être autorisée par le Conseil européen à contrevenir, pendant une période donnée, aux réglementations européennes.

D) Quatrième axe de démocratisation : la reconnaissance de la diversité nationale.

Celle-ci devrait être admise non seulement juridiquement mais politiquement. A travers les coopérations renforcées dont le champ est actuellement trop réduit. Mais aussi grâce à une procédure de divergence positive. Une expérimentation proposée par un pays (un essai de politique industrielle par exemple ou une organisation de service public) devrait pouvoir être autorisée par le Conseil européen à contrevenir, pendant une période donnée, aux réglementations européennes.

Il est paradoxal que l'Assemblée Nationale ne revendique pas pour la France ce qu'elle accorde à la Corse !

Il faut rompre avec une conception unitaire et centralisée de l'Europe, accepter les cadres à géométrie variable, des statuts dérogatoires, harmoniser plutôt que communautariser, bref prendre en compte les réalités nationales.

La ratification du traité de Nice est ainsi l'occasion pour le Parlement français de prendre conscience du chemin sur lequel la France a été engagée : voulons-nous préserver la liberté, nationale ou nous sommes-nous résignés à l'avance à la " landerisation " de la France ? L'échéance 2004 se rapproche. Il n'est pas trop tard pour dire oui à l'Europe, mais dans la liberté c'est-à-dire avec la France, car la France porte le message toujours vivant de la République, et elle a encore beaucoup à dire à l'Europe !