les dirigeants français ont conduit
une politique caractérisée par deux erreurs majeures :
1. La première résidait
dans l'illusion que pour contrebalancer la puissance croissante de l'Allemagne,
il fallait pousser les feux de l'intégration européenne
|
Mais vous comprendrez que nous ne puissions pas nous
prononcer sur le traité de Nice sans l'inscrire dans une continuité
historique et dans la perspective d'un Super Etat fédéral
que nous proposent les dirigeants allemands. De ce point de vue, nous
ne sommes guère rassurés par le peu de résistance
qu'offrent le Président de la République et le Premier
ministre : tous deux, en effet, ont accepté de se placer sur
ce terrain et s'affirment partisans d'une Fédération
d'Etats-nations et d'une Constitution européenne à l'horizon
2004.
A) La continuité historique
d'abord.
Depuis le milieu des années soixante-dix, les
dirigeants français ont conduit une politique caractérisée
par deux erreurs majeures :
1. La première résidait dans l'illusion
que pour contrebalancer la puissance croissante de l'Allemagne, il
fallait pousser les feux de l'intégration européenne,
fût-ce en abandonnant des pans entiers de notre souveraineté,
sans contrepartie ni contrôle. L'idée de manuvre
était de ligoter l'Allemagne quitte à ligoter la France.
C'est l'esprit du traité de Maastricht : par faiblesse, absence
de réflexion historique, et surtout perte de confiance en eux-mêmes
et en la France, nos dirigeants ont accepté de transférer
les pouvoirs qu'ils tenaient du peuple, à un magmas de procédures
où la responsabilité se perd. Tout en prétendant
le contraire, ils ont défait la France sans faire l'Europe.
|
|
Car l'Europe était et reste un beau dessein,
aujourd'hui malheureusement perverti. Une Europe riche de ses nations
et du trésor de leurs immenses cultures aurait dû être
un grand dessein partagé de démocratie et de solidarité,
non seulement pour les Européens mais pour le monde entier.
Au lieu de cela, elle a d'abord été le cheval de Troie
du libéralisme puis de la mondialisation libérale. Certes,
aujourd'hui, l'Europe est relativement un havre de prospérité
relative à l'échelle du monde. Mais qu'en sera-t-il
demain ? Si nous voulions faire un bilan objectif de la construction
européenne depuis ses débuts, comment passer sous silence
trois phénomènes essentiels :
- L'implosion démographique d'abord, débouchant
sur un vieillissement accéléré et un véritable
effacement du sens de l'avenir.
- Ensuite le retard pris par rapport aux Etats-Unis depuis le milieu
des années 1970 en matière de croissance, d'investissement,
de recherche et de développement technologique.
- Et enfin l'évanescence de toute politique extérieure
témoignant d'un sens minimal de nos responsabilités
propres, je pense au Proche et au Moyen-Orient, à l'Afrique,
et même à la situation qui s'est créée
depuis dix ans sur notre continent, dans les Balkans.
|
La deuxième erreur de nos dirigeants a été
le mépris du peuple : on ne l'a informé en rien des objectifs
et des conséquences des décisions prises, comme on le verra
dans sept mois avec l'introduction de l'euro |
2. La deuxième erreur de nos dirigeants a été
le mépris du peuple : on ne l'a informé en rien des
objectifs et des conséquences des décisions prises,
comme on le verra dans sept mois avec l'introduction de l'euro, pour
lequel nos concitoyens se sont prononcés en 1992, à
vrai dire sans s'en être aperçus. Nos dirigeants ont
considéré que le peuple n'était pas capable de
comprendre les défis du monde actuel et de consentir les efforts
nécessaires pour les relever. L'Europe même a été
conçue comme le moyen de lui faire accepter des réformes
d'essence libérale dont il ne voulait pas.
Je pense par exemple à l'austérité
imposée, de 1991 à 1997, au nom de l'alignement nécessaire
du franc sur le mark, qui nous a coûté plus d'un million
de chômeurs supplémentaires ; je pense à la renonciation
à toute politique industrielle à partir d'une lecture
stricte du traité de Maastricht qui prohibe toute mesure non
conforme au " principe d'une économie ouverte, où
la concurrence est libre " ; je pense à l'ouverture de
nos services publics à la concurrence et à la libéralisation
des marchés de l'électricité, du gaz, de la poste,
dont nous sommes encore loin d'avoir mesuré toutes les conséquences.
|
L'erreur commise par beaucoup d'hommes de gauche sincères
est de croire que le fédéralisme européen pourrait
permettre de construire une ligne de résistance à la mondialisation
libérale. |
B) Tournons-nous maintenant vers
l'avenir.
La thèse d'une Europe fédérale,
celle du Chancelier Schröder, ne rencontre guère d'obstacles
: le Président de la République et le Premier ministre
semblent s'être mis d'accord sur la proposition contradictoire
en elle-même d'une Fédération d'Etats-Nations.
Tous deux ont accepté l'idée d'une Constitution européenne,
comme si l'Europe était un Super Etat. L'erreur commise par
beaucoup d'hommes de gauche sincères est de croire que le fédéralisme
européen pourrait permettre de construire une ligne de résistance
à la mondialisation libérale. Au contraire : en dissolvant
la nation, inséparable de la démocratie, il lui fraye
la voie. Cette double orientation fédérale et libérale
apparaît d'ailleurs clairement dans le discours du Chancelier
Schröder. Celui-ci se prononce sans ambages pour la libéralisation
des services publics du gaz, de l'électricité et de
la poste, pour une rigueur budgétaire accrue et pour des réformes
permettant de rendre nos systèmes de protection sociale "
viables ", c'est-à-dire moins coûteux. L'Allemagne
trouve évidemment son compte à la fois dans le libéralisme
qui sert les forts et dans le fédéralisme, qui d'une
part répond à son modèle historique, et de l'autre
met le Parlement européen, où s'exerce de manière
prépondérante son influence, au cur du processus
de décision.
|
|
Le Premier ministre, dans son intervention du 28 mai,
a prétendu remettre les choses à leur place, le contenu
avant le contenant, bref le projet avant le mécano institutionnel.
L'intention est louable, mais encore faut-il en prendre les moyens.
Or on ne peut à la fois défendre la logique démocratique
des gouvernements élus par les peuples et concéder à
la logique adverse, celle du Super Etat fédéral, où
le pouvoir de la technocratie est légitimé par un Parlement
qui ne peut exprimer une volonté générale, faute
qu'il existe un peuple européen unique ou même un espace
de débat structuré à l'échelle de l'Europe
tout entière.
|
|
L'analyse que nous faisons de l'évolution de
la construction européenne depuis les années soixante-dix,
aussi bien que les craintes que nous exprimons pour l'avenir, c'est-à-dire
pour 2004, date de la Conférence intergouvernementale prévue
par le traité de Nice, éclaireront la position des députés
du Mouvement des Citoyens quant à l'exception d'irrecevabilité
que je défends, aussi bien que sur le fond, c'est-à-dire
la ratification elle-même :
1. Tout d'abord le traité de Nice nous semble
poser un problème de légitimité démocratique.
2. Il faut qu'il soit clair ensuite que nous ne sommes
pas anti-européens. Nous refusons simplement de nous inscrire
dans la logique anti-démocratique d'un Super Etat fédéral.
3. Nous sommes pour une Europe démocratique,
pour une union de nations et nous avons pour cette Europe-là
des propositions à faire.
|
|
I - Le traité de Nice pose
un problème de légitimité démocratique.
L'exercice était difficile : Vous avez voulu, pour
ouvrir la voix à l'élargissement nécessaire et
souhaitable, faire sauter le verrou des votes à l'unanimité.
Pour empêcher la paralysie du Conseil, vous avez voulu à
la fois modifier les règles de vote au sein du Conseil et revoir
la pondération entre les différents Etats pour prendre
en compte, dans une certaine mesure, le facteur démographique.
A) Cet exercice de repondération
ne pouvait être mené à bien sans grincements de
dents, mais au total vous y êtes parvenu, au prix d'une inégalité
de traitement entre les petits pays membres qui ont dû accepter,
sur des bases démographiques, une révision en baisse de
leur poids spécifique au sein du Conseil, et les quatre grands
pays -Allemagne, France, Grande-Bretagne, Italie- qui ont obtenu le
même nombre de voix -29- malgré un écart de vingt
millions d'habitants entre l'Allemagne et les trois autres. Il est vrai
qu'une substantielle différence démographique existait
déjà au moment de la signature du traité de Rome
-la France comptait alors 44 Millions d'habitants et l'Allemagne 57-
et cette différence n'a, en proportion, guère été
augmentée par la réunification allemande puisque l'écart
n'a été accru que de 7 à 8 Millions.
On vous fera crédit, cependant, d'avoir défendu
de votre mieux l'intérêt légitime de la France qui,
après avoir accepté la parité avec l'Allemagne
dès le début des années cinquante, soit peu de
temps après la fin de la deuxième guerre mondiale, ne
pouvait accepter sans fragiliser sa position internationale de voir
remettre en cause cette parité fondatrice, qui bénéficie
également d'ailleurs à l'Italie et à la Grande-Bretagne.
|
|
B) Cette parité entre la
France et l'Allemagne reste cependant très optique :
L'Europe vers laquelle nous allons sera de plus en plus une autre
Europe, naturellement " germanocentrée ". J'aurai
l'occasion de le montrer tout à l'heure.
La parité statistique entre les quatre grands
Etats européens occulte d'autres phénomènes :
ainsi la montée en puissance de pays comme l'Espagne, qui acquiert
un poids spécifique proche de celui des quatre grands (27 voix
contre 29), que rejoindra le jour venu la Pologne.
Plus généralement, les très petits
pays candidats qui sont en nombre, se verront accorder une pondération
sans rapport avec leur population réelle. Leurs voix cumulées
pèseront d'un poids non négligeable : les sept pays
les moins peuplés, avec au total 17 Millions d'habitants, pèseront
33 voix, soit à eux seuls, plus qu'un seul " grand pays
".
Comme l'a fort bien relevé votre rapporteur,
M. Alain Barrau, le poids des cinq Etats les plus peuplés (Allemagne,
France, Grande-Bretagne, Italie, Espagne) qui, pour 79 % de la population
est aujourd'hui de 55 % des voix au Conseil, passera à 41 %
des voix dans une Union Européenne à 27, alors que leur
population comptera encore pour 62 % de la population totale.
|
la France qui, dans l'Union à quinze, où
le vote à la majorité qualifiée reste limité
est de 11,5 %, passera à 8,4 % seulement dans l'Union
à vingt-sept |
C) La question essentielle
que je veux poser est celle-ci :
A-t-on bien mesuré ce que signifie la prise en
compte d'une logique démographique certes approximative mais
néanmoins incontestable, dans le fonctionnement de l'Union
européenne ?
1. A-t-on bien mesuré que le poids de la France
qui, dans l'Union à quinze, où le vote à la majorité
qualifiée reste limité est de 11,5 %, passera à
8,4 % seulement dans l'Union à vingt-sept où le vote
à la majorité qualifiée risque de devenir la
règle ? Accepterons-nous de compter pour aussi peu de choses
dans le processus de décision d'une Union européenne
que nous avons jadis portée sur les fonts baptismaux ? Peut-on
dire que la France restera, comme vous l'avez dit Monsieur le Ministre,
au cur de la constitution européenne. Certes l'Allemagne,
optiquement, ne pèsera pas plus lourd que nous, mais c'est
sans compter sur l'appoint probable de la plupart des pays d'Europe
Centrale et orientale qui sont ou tomberont naturellement dans son
orbite : l'Allemagne pour des raisons à la fois géographiques,
économiques et culturelles, y est de très loin le premier
exportateur et le premier investisseur. Ce n'est pas insulter ce grand
pays ami que de constater ce simple fait : l'élargissement
vers l'Est le met géopolitiquement au centre de l'Europe tandis
qu'il éloigne la France, et l'Europe avec elle, de la Méditerranée
et de l'Afrique.
La repondération n'est un problème que
parce qu'elle va de pair avec l'extension du vote à la majorité
qualifiée.
|
L'acceptation du fait majoritaire par une minorité,
acquise au niveau national, va-t-il de soi au niveau de l'Union européenne
tout entière. |
2. A-t-on bien mesuré ce que signifie du point
de vue politique l'extension du vote à la majorité qualifiée
à 27 nouveaux domaines et non des moindres ?
C'est le fonctionnement même de l'Union européenne
qui va se trouver substantiellement modifié.
a) Le vote à la majorité qualifiée
transpose au niveau communautaire la règle majoritaire qui
s'applique au sein de chaque Etat, comme si l'acceptation du fait
majoritaire par une minorité, acquise au niveau national, pouvait
aller de soi au niveau de l'Union européenne tout entière.
L'accélération de la communautarisation de nombreuses
politiques européennes est ainsi autorisée, sans qu'on
se soit interrogé sur ses conditions d'acceptation par les
citoyens. Et cela dans des domaines aussi sensibles que la politique
commerciale, la politique industrielle, les contrôles aux frontières,
la politique des visas, et enfin sous réserve de l'adoption
de quelques principes communs d'ici 2004, l'asile et l'immigration.
Cela n'est pas sérieux. On sait déjà
que les décideurs européens ne disposent presque jamais
d'un socle démocratique suffisant pour engager leurs peuples.
La légitimité du Conseil européen n'est pas en
cause, mais force est de constater que les Chefs d'Etat et de gouvernement
et les ministres sont rarement mandatés par leur opinion publique
pour soutenir telle ou telle position au niveau communautaire. Quel
ministre peut se vanter d'avoir vu aboutir dans un Conseil des ministres
européen, un texte qu'il aurait lui-même proposé
?
|
Le système de vote à la majorité
qualifiée peut ainsi conduire à des conflits majeurs, pour
peu qu'il mette en cause des intérêts nationaux essentiels
: ainsi dans des domaines aussi sensibles que l'immigration |
Mais le traité de Nice introduit une novation
particulièrement grave : Une coalition d'Etats disposant de
la majorité qualifiée pourra désormais imposer
des mesures rejetées par un ou plusieurs pays et surtout par
leur opinion publique, et pas seulement par leur gouvernement.
Ce conflit potentiel ne serait que superficiellement
un conflit de majorités. En effet d'un côté il
y aurait une majorité qualifiée au Conseil européen,
cénacle opaque et propre à tous les marchandages de
la diplomatie, mais de l'autre il y aurait le fait majoritaire national.
b) Le système de vote à la majorité
qualifiée peut ainsi conduire à des conflits majeurs,
pour peu qu'il mette en cause des intérêts nationaux
essentiels : ainsi dans des domaines aussi sensibles que l'immigration
-qu'on ne peut traiter comme si celle-ci n'avait pas sa géographie
et ses tropismes différents selon les pays- ou bien les fondements
de la politique agricole commune ou encore la politique de cohésion
et des fonds structurels. Quel pays n'a pas connu sur son sol depuis
une dizaine d'années des incidents à caractère
raciste ? Lequel acceptera d'être désarmé face
à la criminalité organisée ? N'oubliez pas que
ce sont les gouvernements et non le Conseil de Bruxelles ou la Commission
européenne qui rendent compte devant les opinion publiques
!
Qui ne voit déjà que la politique des
fonds structurels va opposer frontalement les pays candidats, les
pays actuellement bénéficiaires, et les pays contributeurs
?
Comment ignorer que les principes mêmes de la
politique agricole commune, mise en uvre depuis le milieu des
années soixante, à l'initiative de la France, font déjà
l'objet d'une remise en cause par l'Allemagne ?
|
Comment
accepter un tel éloignement des instances de décision par
rapport aux populations qu'elles sont censées représenter
? |
Bref, comment imaginer que l'Union européenne
puisse ainsi, à la majorité qualifiée, imposer
son primat aux nations ? Comment accepter un tel éloignement
des instances de décision par rapport aux populations qu'elles
sont censées représenter ?
La majorité qualifiée n'a pu fonctionner
jusqu'à présent que parce qu'il s'agissait de mettre
en uvre techniquement des décisions politiques prises
à l'unanimité. Ainsi en allait-il pour la P.A.C. Mais
dès lors qu'il s'agit de définir les politiques elles-mêmes,
le risque de conflit est évident entre un fait majoritaire
européen indirect et aléatoire, et un fait majoritaire
national bien réel.
Tel est, Monsieur le Ministre, le fondement principal
de l'exception d'irrecevabilité que je soutiens au nom des
députés du MDC : le traité de Nice pose un grave
problème de légitimité démocratique.
Nous sommes favorables à l'élargissement
de l'Union européenne mais nous ne voyons pas l'intérêt
d'engager pour cela une dynamique fédéraliste qui, en
renforçant les processus supranationaux, nous acheminera de
plus en plus vers la création d'un Super Etat européen
anti-démocratique. De surcroît, il est difficile de nous
demander de nous prononcer les yeux fermés sur le traité
de Nice, qui prévoit une nouvelle CIG en 2004, date décidément
fatidique, une fois que pour chaque gouvernement sera passé
le cap des élections, quand on connaît les propositions
d'Europe fédérale émanant du Chancelier Schröder,
ou la contre-proposition, guère moins inquiétante, de
Fédération d'Etats-nations émanant du Président
de la République et du Premier ministre.
|
|
c) Le traité de Nice, par le passage à
la majorité qualifiée au Conseil, opère des transferts
de compétences importants. Il fait potentiellement perdre au
peuple français et d'ailleurs à tous les autres peuples
européens la capacité de choisir en tout état
de cause le Président et les membres de la Commission européenne
qui pourraient ne plus être l'expression de l'ensemble des Etats
mais seulement d'une partie d'entre eux. Cette réforme institutionnelle
rendrait le Président de la Commission, par ailleurs doté
du pouvoir d'organiser la répartition des compétences
au sein de celle-ci, encore moins contrôlable qu'il ne l'est
déjà.
Par le passage à la majorité qualifiée,
le peuple français et les autres peuples européens perdraient
entre autres prérogatives :
- le contrôle de la politique commerciale en matière
de services, sous réserve de quelques exceptions certes non
négligeables ;
- le contrôle des décisions prises en matière
d'asile et de protection temporaire, domaines très sensibles
du point de vue de l'opinion publique et où nos intérêts
propres sont loin de correspondre à ceux de nos partenaires.
Il n'est vraiment pas raisonnable de vouloir hâter le moment
où les décisions en matière d'asile et d'immigration
ne seront plus prises à l'unanimité ;
- Le peuple français perdrait également
la compétence de déterminer le statut de ses députés
au Parlement de Strasbourg et des partis politiques au niveau européen.
On devine les possibilités de financement de la vie politique
ainsi ouvertes
- Les " mesures nécessaires à l'introduction
de l'euro ", à la " lutte contre les discriminations
", ou à " la modernisation de la sécurité
sociale " pourraient de même être prises sans notre
aval.
- Dans le domaine du premier pilier un vague "
droit d'évocation " semble se substituer au droit de veto.
- De même certains accords internationaux de la
PESC pourraient être approuvées à la majorité
qualifiée, sans que le droit de veto national, qui devrait
aller de soi dans un tel domaine intergouvernemental, semble rester
applicable.
|
Alors qu'une
nouvelle étape de la décentralisation est d'actualité,
on s'étonne de voir s'effectuer un mouvement inverse de centralisation
au niveau du continent tout entier, sans qu'il soit possible d'adapter
la norme européenne à la diversité beaucoup plus
grande des
pays membres. |
D) Seul le rappel du compromis de
Luxembourg, dans tous les cas de vote à la majorité
qualifiée, permettrait de lever le grief d'inconstitutionnalité
du traité de Nice qu'on ne peut pas ne pas voir, sauf à
s'aveugler sur l'engrenage qui nous entraîne vers la création
d'un Super Etat européen foncièrement anti-démocratique.
1. Alors qu'une nouvelle étape de la décentralisation
est d'actualité, non sans excès d'ailleurs puisque la
possibilité d'adapter la loi votée par le Parlement
a été ouverte par l'Assemblée Nationale en première
lecture, à l'Assemblée Territoriale de Corse et même
par la proposition de loi Méhaignerie à toutes les collectivités
territoriales, on s'étonne de voir s'effectuer un mouvement
inverse de centralisation au niveau du continent tout entier, sans
qu'il soit possible d'adapter la norme européenne à
la diversité beaucoup plus grande des pays membres.
2. La légitimité des lois européennes
élaborées par le Conseil et que les Parlements nationaux
doivent transposer est déjà fragile. Elle serait ruinée
si le Parlement européen devenait, comme le proposent les fédéralistes,
le lieu principal de leur élaboration. Il n'existe pas en effet
de peuple européen. Il y a en Europe une trentaine de peuples.
La construction européenne ne pourra progresser que sur la
base de démocraties nationales respectées.
3. Faute que le principe du veto soit clairement maintenu,
ce qui donnerait aux votes à la majorité qualifiée
une simple valeur indicative, le traité de Nice constitue une
atteinte à la Constitution pour la bonne raison qu'il porte
atteinte à la souveraineté nationale et à la
démocratie, dont le général de Gaulle disait
qu'elles sont les deux faces d'une même médaille.
|
|
Je le dis à regret, Monsieur le Ministre, parce
que je connais votre lucidité et votre sens de l'intérêt
national. Je crois deviner les efforts que vous avez déployés
pour maintenir le principe de la légitimité démocratique
au sein du Conseil, là où siègent des gouvernements
élus par leurs peuples.
Je sais que dans votre esprit, la règle de la
majorité qualifiée et la repondération des voix
au Conseil sont une ultime tentative pour maintenir ce principe et
faire barrage à ceux qui veulent transférer la source
de la légitimité à un Parlement européen
qui peut, tout au plus, être un forum utile, en aucun cas le
lieu de formation d'une volonté générale européenne.
Vous avez hérité, avec les institutions
européennes telles qu'elles fonctionnent aujourd'hui, d'une
usine à gaz. Vous l'avez encore complexifiée avec des
règles de vote de plus en plus opaques : majorité repondérée
et requalifiée d'abord, majorité d'Etats ensuite, clause
de vérification démographique enfin.
|
les coopérations renforcées,
une direction d'avenir |
E) Néanmoins, incertain de
pouvoir ainsi forcer la volonté des peuples, le traité
de Nice entrouvre une porte de sortie : il assouplit les règles
relatives au lancement de coopérations renforcées. Mais
il ne les assouplit pas assez. Il y met encore une dizaine de conditions
et ne prévoit que ces coopérations puissent être
engagées qu'" en dernier ressort ", et sous le contrôle
étroit de la Commission, du Conseil et du Parlement européen.
Il y a là à nos yeux une direction d'avenir,
le moyen de construire une Europe réaliste, en réseaux,
capable de relever de manière pragmatique les défis
de l'avenir : lancement de grands programmes de recherche et de développement
technologique, travaux d'infrastructure, harmonisation fiscale au
sein de la zone euro, actions de coopération vers la Méditerranée
et l'Afrique, bref une Europe à plusieurs vitesses, avec des
régimes dérogatoires partout où cela s'avérera
nécessaire.
|
|
F) Malgré la porte de sortie
ainsi ouverte, le traité de Nice constitue une nouvelle étape
dans le glissement vers un Super Etat fédéral
: renforcement des pouvoirs du Président de la Commission qui
décidera de son organisation interne et nommera les vice-présidents,
extension du rôle du Parlement européen et de la procédure
de co-décision qui concernera désormais la politique
industrielle, la coopération judiciaire civile, puis progressivement
les mesures relatives à l'asile et aux réfugiés,
la libre circulation des ressortissants des Etats tiers, et enfin
l'immigration clandestine. Encore une fois il est irresponsable pour
un Etat digne de ce nom de se défaire de ses responsabilités
en un domaine aussi délicat. Rappelez-vous ce tableau de Goya
illustré par cette devise toujours vraie : " Le sommeil
de la Raison enfante des monstres ".
La principale raison que nous aurions de ne pas nous
opposer au traité de Nice est en fait négative : il
serait, dans l'état actuel des choses, un moindre mal. La fureur
des partisans du Super Etat européen en témoigne. Ils
considèrent que le traité de Nice n'a pas accompli des
pas suffisants dans la direction du fédéralisme. Mais
nous savons -hélas- que nous ne perdons rien pour attendre.
L'objectif est déjà tracé : l'Europe
fédérale. Une date est fixée : 2004 pour une
nouvelle C.I.G. appelée à répartir les compétences
entre le Super Etat, les nations et les régions. D'ores et
déjà l'offensive a été lancée par
les dirigeants allemands. Elle est puissamment relayée en France
même par les fédéralistes et ne rencontre guère
d'opposition, et pour cause, de la part des néo-fédéralistes,
tenants de la Fédération des Etats-Nations.
|
La démocratie, c'est d'abord l'acceptation de
la règle majoritaire par la minorité. Ce véritable
miracle de la démocratie ne peut s'opérer que dans des cadres
historiquement constitués. |
II - Ce n'est pas être antieuropéen
que de refuser la logique d'un Super Etat fédéral.
A) Ce n'est pas être antieuropéen
que de constater que les conditions de possibilité d'une fédération
démocratique en Europe n'existent pas : Il n'y a pas
un peuple européen. Il y en a trente. Il y a une civilisation
européenne, aujourd'hui répandue à l'échelle
du monde. Il existe un réseau de solidarités de plus
en plus serré entre les nations européennes, mais ces
solidarités que nous voulons encore développer, n'effacent
pas la personnalité, la culture souvent inscrite dans une grande
langue de civilisation, et la vocation de chaque nation, elle-même
cadre irremplaçable de la démocratie. Chaque nation
apporte quelque chose d'unique à l'Europe, constitue une brique
de base de la démocratie internationale à construire.
Pour autant, il n'existe pas une nation européenne ni un corpus
juridico-politique qu'on pourrait appeler " le peuple européen
".
Il n'y a pas non plus de références communes
et de repères partagés suffisamment puissants, pour
permettre l'émergence d'un fait majoritaire qui s'imposerait
à la minorité. La démocratie, c'est d'abord l'acceptation
de la règle majoritaire par la minorité. Ce véritable
miracle de la démocratie ne peut s'opérer que dans des
cadres historiquement constitués. En Europe ces communautés
historiques existent : elles s'appellent les nations. Certes les nations
ont une histoire. Elle n'ont pas toujours existé. Mais avant
de les dissoudre, il faut être sûr de pouvoir les remplacer.
Or historiquement, les formes d'organisation politique connues, en
dehors de la nation, sont soit la tribu ou l'ethnie, soit l'Empire.
Ces deux formes ne sont d'ailleurs pas incompatibles entre elles,
loin de là. On a le droit de préférer la liberté
nationale garante de la démocratie et de l'égalité
de tous les citoyens devant la loi, à un Empire laissant certes
se développer les franchises locales sur les décombres
des nations, mais s'arrogeant le droit de décider pour les
grandes choses, conformément aux intérêts de la
puissance dominante.
|
Tant que le peuple français existe, il peut déléguer
au niveau communautaire, non sa souveraineté mais des compétences
qui peuvent être exercées en commun |
Bref, on peut dénier à l'Union européenne
d'être un niveau de souveraineté propre sans être
anti-européen pour autant. L'Europe doit rester une union de
nations parce que la source du pouvoir démocratique légitime
est dans les nations. La souveraineté du peuple français
est inaliénable, en ce sens qu'elle est, comme disait Rousseau,
l'exercice de sa volonté générale, à moins
évidemment de dissoudre le peuple français. Tant que
celui-ci existe, il peut déléguer au niveau communautaire,
non sa souveraineté mais des compétences qui peuvent
être exercées en commun, là où la dimension
européenne est plus pertinente, mais à condition que
ces compétences restent contrôlées démocratiquement.
L'Union européenne doit donc, pour rester démocratique,
demeurer une société de nations, délibérant
et décidant dans les domaines qu'elles ont en commun. Paul
Thibaud a montré la nécessité d'une Europe qu'il
appelle " dialogique ", où les nations s'impliqueraient
au lieu de se dissoudre. De même a-t-il analysé avec
beaucoup d'acuité le risque d'une Europe qui s'organise en
dehors des nations qui la constituent. Je le cite : " On n'a
pas créé un peuple européen nouveau. On a normalisé
ceux qui existaient, instillé la passion de l'alignement mutuel,
le goût fade de la similitude, l'habitude de remplacer la discussion
par la conformation, un rapport de négation et d'incompréhension
avec sa propre histoire, une fuite de soi, un désir de déposer
le fardeau . "
|
Soit, si l'Europe est une union de nations, la décision
reste inter-gouvernementale. Soit, si l'Europe entend devenir une puissance
souveraine, même contenue dans certaines limites, la légitimité
passe au Parlement. |
Et Paul Thibaud d'ajouter : " Instituer une fédération
européenne sur cette base
serait ajouter à la
gestion par l'extérieur, la représentation par une entité
où on ne se reconnaît pas. Cela pourrait ressembler à
une Autriche-Hongrie : la politique réservée à
une élite transversale, et les peuples cultivant leur identité
folklorique. "
Nous sommes donc placés devant un choix fondamental
:
· Soit la souveraineté reste dans les nations et l'Europe
se définit comme une construction entre les nations. La décision
doit donc demeurer au Conseil européen ou au Conseil des Ministres.
· Soit , deuxième terme de l'alternative, on prétend
construire un Etat européen effaçant les nations, en
faisant comme si le Parlement européen pouvait exprimer une
volonté générale européenne, bref comme
si l'Europe était une nation.
Il y a là deux logiques absolument contradictoires.
Soit, si l'Europe est une union de nations, la décision reste
intergouvernementale. Soit, si l'Europe entend devenir une puissance
souveraine, même contenue dans certaines limites, la légitimité
passe au Parlement. On ne peut pas éluder ce choix. C'est l'un
ou c'est l'autre. A rien ne sert de se réfugier dans les oxymores,
du type " Fédération d'Etats-nations " ; C'est
d'avance concéder à la logique du Super-Etat fédéral.
|
Cette logique fédéraliste s'exprime sans
ambages dans la proposition du SPD avalisée par le Chancelier Schröder |
B) La logique du Super Etat fédéral.
Cette logique fédéraliste s'exprime sans
ambages dans la proposition du SPD avalisée par le Chancelier
Schröder. Celle-ci ne vise à rien moins qu'à transformer
le Conseil des ministres en chambre haute (Chambre européenne
des Etats), à renforcer encore les pouvoirs du Parlement européen
par l'élargissement de la co-décision et par l'octroi
d'une pleine compétence budgétaire, et enfin à
faire de la Commission le véritable " gouvernement
européen ". Le système Monnet-Schumann, imaginé
dans les années cinquante, visait contourner les gouvernements
nationaux par une Commission maîtrisant l'initiative et l'exécution.
La proposition Schröder, elle, vise carrément à
leur substituer un système institutionnel classique, fondé
sur le bicamérisme et la responsabilité gouvernementale
de la Commission devant la Chambre basse (le Parlement européen),
reléguant ainsi les Etats-nations dans des tâches subsidiaires.
A cette révolution institutionnelle, le Chancelier
Schröder ajoute l'intégration de la Charte des droits
fondamentaux aux traités, dans la perspective d'une Constitution
européenne, le droit accordé à tout citoyen de
porter plainte devant la Cour de justice européenne, -Bonjour
la " démocratie contentieuse !- et enfin la création
d'une police judiciaire, d'une police des frontières et d'un
Parquet européens.
|
Il est remarquable que ce projet fédéral
s'intègre parfaitement dans un projet d'uniformisation libérale
et marchande |
Il est remarquable que ce projet fédéral
s'intègre parfaitement dans un projet d'uniformisation libérale
et marchande (ouverture à la concurrence des services publics,
création d'un marché financier unique, réaffirmation
d'un objectif de stabilité pour l'euro, etc.).
C'est la Fédération libérale, c'est-à-dire
au coût minimal.
Il est remarquable aussi que les intérêts
nationaux allemands soient affirmés sans fard et je préfère
la franchise de l'actuel Chancelier allemand à l'attitude qui
était celle de la CDU (désengagement dans le financement
de la PAC et des politiques structurelles, réaffirmation du
partenariat avec les Etats-Unis comme fondement de la sécurité
européenne, période transitoire pour l'intégration
des PECOs dans l'Union européenne, et transposition à
l'Europe du modèle policier qui est celui de l'Allemagne fédérale).
Il faudrait être un observateur superficiel pour
se borner à constater la concordance de la proposition Schröder
et des intérêts allemands -ce qui n'est pas choquant
en soit-, voire à relever certaines contradictions entre la
proposition d'Europe fédérale et la renationalisation
de la PAC ou à imputer au Chancelier de simples desseins de
politique intérieure : rassurer les Länders et contourner
la CDU en se faisant plus " européiste " qu'elle.
Il y a dans ces propositions une logique fédérale qui
a sa force propre, même si, en choisissant le modèle
fédéral qui est historiquement le sien, l'Allemagne
refuse d'en assumer les conséquences financières, comme
semblent s'en étonner des observateurs un peu naïfs.
|
l'Europe se trouve objectivement de plus en plus "
germanocentrée " |
Bien sûr, le centre de gravité de l'Union
européenne se déplace de plus en plus vers l'Allemagne.
C'est le fait de la démographie -82 Millions d'habitants-,
de la géographie européenne qui met l'Allemagne en son
centre. C'est aussi le fait de l'économie : l'industrie et
la banque allemande sont grosso modo deux fois plus puissants que
les nôtres, et leur poids " dans une économie ouverte
où la concurrence est libre " ne manque pas de se faire
sentir. Relevons d'ailleurs que si l'économie allemande ralentit,
le capitalisme allemand, quant à lui, est très dynamique
à l'échelle mondiale et particulièrement en Europe
centrale et orientale. Au plan politique aussi, l'Allemagne a appris
à défendre sans hypocrisie ses intérêts
et je ne songe pas à le lui reprocher: ainsi pour la reconnaissance
de l'allemand comme troisième langue européenne. Ainsi
pour sa représentation au Parlement européen que le
traité de Nice a maintenu à 99 députés
en réduisant la nôtre à 72, soit une stricte proportionnalité
démographique. Nous sommes loin de la parité numérique
prévue initialement par le traité de Rome. Encore faut-il
remarquer que ce renforcement redouble la prépondérance
que la CDU et le SPD exercent déjà dans les faits, à
travers les deux principales formations du Parlement européen,
le PPE et le PSE, sans l'accord desquelles aucune question ne peut
être inscrite à l'ordre du jour. Ainsi l'Europe se trouve-t-elle
objectivement de plus en plus " germanocentrée ",
de par la nature des choses, en ce début de XXIème siècle.
A rien ne servirait de le lui reprocher.
|
Ce modèle
fédéral qui relègue la politique au rang des choses
subsidiaires, est évidemment contradictoire avec le modèle
français de la nation politique, qu'on appelle la République. |
Ces réalités existent. Mieux vaut les
reconnaître que de faire comme si elles n'existaient pas, en
se raccrochant à des illusions du passé. Car elle rendent
d'autant plus nécessaire la préservation de la souveraineté
de la France, notre bien le plus précieux.
La nouvelle géopolitique européenne constitue
une raison supplémentaire pour ne pas admettre le glissement
progressif et accéléré vers une logique fédérale
contraire à la démocratie, contraire à l'intérêt
national, et contraire surtout à l'intérêt européen
bien compris, car l'intérêt de notre continent n'est
pas de se fondre dans un Empire qui ferait de lui la grande banlieue
des Etats-Unis.
Le modèle fédéral a toujours été
historiquement celui de l'Allemagne. Il juxtapose naturellement des
entités de taille et d'importance variables, chacun vaquant
à ses affaires, pourvu que l'essentiel reste " en de bonnes
mains ". Ce modèle fédéral qui relègue
la politique au rang des choses subsidiaires, est évidemment
contradictoire avec le modèle français de la nation
politique, qu'on appelle la République. " L'identité
de la France, selon Fernand Braudel, s'appelle diversité ".
Accepter pour l'Europe un modèle fédéral reviendrait
inévitablement à dissoudre la République et la
France dans une " Europe des régions ", dont on voit
déjà surgir les prémices.
C'est pourquoi la position française devrait
être claire et dépourvue d'ambiguïté. Elle
devrait s'exprimer sereinement mais de manière cohérente
pour être pédagogique, et d'abord à l'égard
du peuple français. A celui-ci nous devons la vérité,
pour qu'il puisse faire face, à l'aube de temps difficiles,
à une situation dans laquelle ses dirigeants l'ont laissé
glisser par légèreté et manque de confiance en
eux et qui pourrait un jour se comparer à celle du Québec
en Amérique du Nord.
La construction de l'Europe n'implique pas, selon
nous, qu'une nation renonce à son modèle et qu'une autre
impose le sien. Nous devons faire preuve d'imagination et d'inventivité.
Or, au lieu de cela, la position française, telle qu'elle a
été définie par le Président de la République
et par le Premier ministre, est floue et contradictoire.
|
Dès lors qu'il y a trente peuples en Europe,
on peut concevoir entre eux des traités mais pas une Constitution
: où serait l'Assemblée Constituante ? |
C) Une position française
floue et contradictoire.
1. Le Président de la République, Jacques
Chirac, a été le premier à souhaiter dans son
discours de Berlin, devant la Bundestag, l'élaboration d'une
Constitution européenne. On peut être surpris par cette
désinvolture, car les autres autorités françaises
se sont trouvées alors mises devant le fait accompli. Dès
lors qu'il y a trente peuples en Europe, on peut concevoir entre eux
des traités mais pas une Constitution : où serait l'Assemblée
Constituante ? Une convention autoproclamée comme pour l'élaboration
de la Charte des droits fondamentaux ? Et comment le Président
de la République pourrait-il garantir la Constitution dont
il a la charge, celle de la Vème République, s'il accepte
d'emblée d'en cautionner une autre, supérieure, à
l'échelle de l'Europe tout entière ?
Nul ne contestera la nécessité d'un nouveau
traité permettant de mettre transparence et démocratie
dans le fonctionnement de l'Union européenne. Aujourd'hui celle-ci
intervient dans à peu près tous les domaines, et le
champ des compétences de l'Union doit être ramené
à l'essentiel, étant bien entendu qu'en aucun domaine
le contrôle national ne peut disparaître, et que même
en matière de politique extérieure, des actions ou des
stratégies communes ne peuvent s'y substituer et encore moins
faire disparaître les politiques nationales.
La subsidiarité doit se définir à
partir des nations qui gardent la compétence de la compétence,
comme disent les juristes allemands. C'est pourquoi un traité
est suffisant. Point n'est besoin d'une Constitution, sauf si on veut
instaurer une " souveraineté européenne ".
|
Quant à la conception d'une Fédération
d'Etats-nations, ce n'est pas une " belle idée ", ce
n'est pas une idée du tout. |
2. Le Président de la République a également
repris à son compte le concept ambigu de Fédération
d'Etats-nations, forgé par Jacques Delors. Le Premier ministre
s'est rallié à cette formulation comme -en fin de compte-
à la proposition d'une Constitution européenne intégrant
la Charte des Droits fondamentaux.
Celle-ci fera double-emploi avec la Convention européenne
des Droits de l'Homme et elle servira de substrat au développement
d'une démocratie contentieuse, naturellement ennemie de la
démocratie citoyenne. Le pouvoir des juges, insidieusement,
remplacera celui des Parlements, réduits de plus en plus à
prendre acte des jurisprudences. N'est-ce pas déjà largement
chose faite ?
Quant à la conception d'une Fédération
d'Etats-nations, ce n'est pas une " belle idée ",
ce n'est pas une idée du tout. Elle peut recevoir deux sens
différents et même contraires :
- association d'Etats souverains qui, par conséquent,
présente un caractère international ;
- fédération dont les composantes peuvent bien être
appelées Etats, mais ne sont pas souveraines.
La " tension ", comme dit Lionel Jospin, ne
peut pas être résolue, précisément parce
qu'une entité politique est souveraine ou ne l'est pas.
|
existe-t-il oui ou non une primauté du droit
européen sur le droit national ? |
En réalité l'instauration d'une Fédération
n'aurait pas d'effet symétrique sur l'Allemagne et sur la France.
La première s'y retrouverait aisément, la seconde s'y
dissoudrait. En effet, l'unité allemande et l'unité
française obéissent à des principes différents,
car nos deux nations n'ont pas la même histoire.
François Hollande, croyant résoudre le
problème, a déclaré que la Fédération
existait déjà, et Lionel Jospin croit discerner dans
l'Union européenne actuelle " des éléments
fédératifs très forts ". Mais ceux qu'ils
mentionnent sont très différents les uns des autres.
Il s'agit tantôt du statut des autorités (une commission
indépendante et un Parlement élu au suffrage universel),
tantôt de leurs domaines d'intervention (le marché, la
monnaie), tantôt encore de hiérarchie des normes : la
primauté du droit européen.
La question de savoir si l'on est, ou non, en présence
d'une fédération ne peut être résolue à
l'aide d'un critère tiré de la nature ou du mode de
nomination des autorités. En effet bien d'autres entités
qu'une fédération peuvent comporter une commission indépendante
ou un Parlement élu au suffrage universel. La question ne peut
être davantage résolue à l'aide d'un critère
tiré de leurs domaines d'intervention, car ces domaines peuvent
être régis par des autorités aussi bien internationales
qu'étatiques ou infra étatiques.
Seul le troisième critère, la hiérarchie
des normes est utile : existe-t-il oui ou non une primauté
du droit européen sur le droit national ? Cette primauté
existe sur les lois nationales mais non sur les Constitutions nationales.
On voit par là l'enjeu du débat sur la Constitution
européenne.
Dans une fédération, c'est la constitution
fédérale qui fonde la validité des constitutions
des Etats. Dans l'Union européenne, ce sont les constitutions
qui autorisent la ratification des traités. Dès lors,
sauf à vouloir donner aux pays européens le statut des
ex-Républiques soviétiques, en aucun cas les traités
ne peuvent avoir une valeur supérieure ou même égale
à celle de la constitution, mais seulement au mieux une valeur
intermédiaire entre celle de la constitution et celle des lois.
|
Qu'est-ce qu'un Etat-nation qui ne maîtrise déjà
plus ni sa monnaie, ni son commerce extérieur, ni l'essentiel de
ses lois, ni même sa défense, et qui demain abandonnerait
sa police et sa justice ? En quoi ce projet de Fédération
d'Etats-nations différerait-il d'une pure et simple Fédération
? |
3. Le discours du Premier ministre du 28 mai n'est pas
sans mérites, en ce qu'il pose le primat du projet politique.
Mais quelles conséquences en tire-t-il concrètement
?
a) S'agissant de la subsidiarité le Premier ministre
souhaite " mieux assurer, dans certains domaines, la répartition
verticale des compétences : le cadre général,
fait de principes et d'objectifs, serait défini au plan européen,
tandis que la mise en uvre politique ou technique serait mise
en uvre par les Etats ou les régions ".
Cette formulation est très inquiétante.
Cette répartition des compétences fait irrésistiblement
penser à celle qui s'exerce dans le cadre de la décentralisation,
où les collectivités décentralisées ne
disposent que d'une partie du pouvoir réglementaire. Et quels
sont ces domaines dans lesquels s'exercerait cette " répartition
verticale " ?
b) De même l'idée d'une politique étrangère
ou d'une politique de défense communes vont-elles trop loin,
en ce qu'elles nient la capacité propre des nations. Croit-on
que l'Union européenne pourrait mieux que la France définir
une position équitable et surtout acceptée dans le conflit
israélo-arabe ?
Comment peut-on ne pas défaire la France, si
sa représentation au FMI comme dans d'autres organisations
internationales -le Conseil de sécurité par exemple-
se fond dans une représentation de l'Union européenne
? Les positions éminentes que la France a acquises au long
de l'histoire seraient ainsi abandonnées, mais pour quelles
contreparties ? Comment ne pas défaire la France, si on
lui enlève peu à peu tous les attributs de la souveraineté
jusqu'à la police judiciaire et la police des frontières,
pour répondre aux inquiétudes de l'Allemagne ?
Bref, qu'est-ce qu'un Etat-nation qui ne maîtrise
déjà plus ni sa monnaie, ni son commerce extérieur,
ni l'essentiel de ses lois, ni même sa défense, et qui
demain abandonnerait sa police et sa justice ? En quoi ce projet de
Fédération d'Etats-nations différerait-il d'une
pure et simple Fédération ?
|
|
c) Pour répondre à cette question, il
faut aller au-delà du problème de la répartition
des compétences, pour aborder celui de l'équilibre institutionnel.
Le Premier ministre se propose de renforcer le triangle
hérité de Jean Monnet, entre le Conseil, la Commission
et le Parlement européen. Ce triangle est à bout de
souffle. L'idée de créer un Conseil permanent des ministres
des Affaires européennes est peut-être une bonne idée.
Celle de renforcer l'autorité du Président de la Commission,
en le faisant élire au sein du PPE ou du PSE, en fonction du
résultat des élections européennes, prête
à réflexion. M. Prodi n'a jamais caché son objectif,
qui est de mettre fin à l'intergouvernementalité. Selon
lui, celle-ci " bride l'initiative, entrave la prise de décision,
éparpille le pouvoir entre des entités dont la responsabilité
est mal définie, comme le secrétariat du Conseil, qui
gère le PESC " . Faut-il vraiment céder à
cette boulimie de pouvoir ?
De même l'idée d'un Congrès, conférence
permanente des Parlements, qui se réunirait deux fois par an,
ne permettra certainement pas de résoudre le problème
fondamental du contrôle démocratique des décisions.
Quant à l'idée de confier à une Convention ouverte
à tous les lobbies et groupes de pression, le soin de préparer
une Constitution européenne, c'est une proposition franchement
rédhibitoire.
|
Il faut savoir poser les questions fondamentales : quel
est l'intérêt de la France ? Qu'attend-t-on du projet européen
? |
" Faire l'Europe sans défaire la France
" est une belle résolution qui demande un extraordinaire
sursaut d'énergie morale et politique.
Il est légitime que l'Allemagne fasse des propositions
conformes à ses intérêts. Il serait également
légitime que la France le fasse pour elle-même, et non
pas qu'elle se positionne à la remorque des autres, pour faire
semblant de donner des gages de bonne conduite européenne,
ce que ne font précisément pas nos partenaires.
Il faut savoir poser les questions fondamentales : quel
est l'intérêt de la France ? Qu'attend-t-on du projet
européen ? Quelle est l'exigence de solidarité entre
les peuples européens que l'on veut atteindre ? Ensuite, on
pourra proposer un modèle institutionnel équilibré.
L'Union Européenne doit avoir une légitimité
démocratique pour imposer ses choix et ses orientations au
plan interne comme à l'échelle internationale. L'Europe
se construira sur la libre coopération des peuples et des Etats
qui la composent. L'objectif qui doit guider toute la réflexion
est donc de mettre la démocratie, et par conséquent
le débat, au cur de la construction européenne.
|
Le Conseil
européen, composé des chefs d'Etat et de gouvernement élus
et responsables, doit retrouver sa fonction d'orientation stratégique,
car il est le lieu de la légitimité démocratique |
III - Nos propositions pour une
Europe démocratique.
A) Nous avons d'abord besoin de faire
une Europe politique et non pas technocratique, et pour cela,
de ressourcer l'Europe dans les nations enfin dé-diabolisées,
reconnues comme des acteurs historiques indispensables, comme l'origine
et la fin de la construction européenne. A cette condition seulement,
elles s'y impliqueront. Il faut que l'Europe soit leur chose commune,
non pas que l'Europe s'impose à elles comme un carcan, mais qu'elles
aillent à l'Europe, comme à un foyer d'où elles
pourront rayonner davantage.
1. C'est pourquoi le Conseil européen, composé
des chefs d'Etat et de gouvernement élus et responsables, doit
retrouver sa fonction d'orientation stratégique, car il est le
lieu de la légitimité démocratique. Cela implique
que les sommets européens ne soient pas " pour la photo
", ni distraits de leurs tâches par l'accueil d'un invité
prestigieux, tel MM. Bush ou Poutine, mais qu'ils soient préparés
méthodiquement par la réunion de plusieurs Conseils de
l'Union, où les ministres compétents travailleront effectivement
à mettre en forme les décisions des chefs d'Etats et de
gouvernement, comme ce fut le cas pour le Conseil de Tampere à
partir d'abord d'un mémorandum franco-allemand puis franco-germano-britannique.
Cela implique aussi une transparence dans les débats et dans
les votes qui aujourd'hui n'existe pas.
2. Le Conseil de l'union doit devenir une véritable
instance de propositions concrètes. C'est pourquoi il devrait,
en lieu et place de la Commission, détenir désormais le
droit d'initiative pour les trois piliers de l'activité communautaire
(marché commun, PESC, Justice et affaires intérieures).
Ce droit d'initiative pourrait être éventuellement partagé
avec la Commission. Toutefois, le Conseil resterait seul juge de la
recevabilité des propositions. Les ministres tiennent leur légitimité
de la représentation nationale de leurs pays respectifs. Remettre
entre leurs mains le droit d'initiative, ce serait rapprocher la politique
européenne de la volonté de chaque pays ; ce serait renforcer
la démocratie.
3. Il est nécessaire également de raffermir
le rôle du Conseil des Affaires générales, y compris
en le transformant comme le souhaite le Premier ministre, en Conseil
permanent des ministres des Affaires européennes.
|
L'Europe ne se fera pas par décret. Nous avons
besoin de grands projets scientifiques, technologiques, culturels à
l'échelle du continent. |
B) Pour faire mûrir la conscience
des solidarités européennes, il faut surtout avancer
des projets mobilisateurs, et ainsi permettre de structurer
un espace public commun de débat, si possible à l'échelle
de l'Europe entière.
Je reprends tout à fait à mon compte cette
proposition de Jürgen Habermas, à cette seule condition
de ne pas confondre notre désir avec la réalité,
et de ne pas mettre ainsi la charrue avant les bufs.
L'Europe ne se fera pas par décret. Nous avons
besoin de grands projets scientifiques, technologiques, culturels
à l'échelle du continent. Mais où en sont les
grands travaux d'Essen lancés par le Conseil Européen
de 1994 ? Nous avons besoin moins d'une nouvelle Charte sociale -nous
en avons déjà accumulé beaucoup- que d'un horizon
social. Bien entendu à cet égard l'emploi reste à
cet égard un défi essentiel. L'euro est là, avec
ses avantages et avec ses aléas, mais, pour faire face aux
risques de ralentissement économique, il faudra établir
entre la Banque Centrale Européenne et l'autorité politique
légitime un rapport de responsabilité. Parmi les conditions
mises à l'euro dans la plate-forme commune MDC-PS de 1999,
figurait une modification des statuts de la BCE, afin que celle-ci
soit rendue responsable non seulement de la lutte contre l'inflation,
mais aussi du maintien de la croissance et de l'emploi. Cette condition
pourrait bien redevenir d'actualité prochainement.
|
Economiquement et stratégiquement, la Méditerranée
du Sud sera un véritable poumon pour l'Europe de demain, ou alors
elle sera une bombe. |
Projets en direction de la Russie : Le Chancelier Schröder,
à cet égard, a raison de souligner la nécessité
de fonder avec elle un partenariat stratégique pour assurer
la stabilité et la paix sur notre continent.
Projets en direction du Sud, du Maghreb, du Proche et
du Moyen-Orient, de l'Afrique, car là se joue l'avenir de l'Humanité.
L'Europe ne doit pas se replier sur un égoïsme de riches.
Elle a un rôle majeur à jouer dans la modernisation du
monde arabo-musulman qui est à nos portes, et dans la construction
de la paix sur les bords de la Méditerranée.
La région méditerranéenne ne peut
pas être traitée comme une charge. Economiquement et
stratégiquement, la Méditerranée du Sud sera
un véritable poumon pour l'Europe de demain, ou alors elle
sera une bombe. Nous avons intérêt à ce qu'elle
se développe, que les Etats de droit y fleurissent, que les
populations y accèdent à la modernité et s'y
stabilisent. Dans les conflits au Moyen-Orient, l'Europe peut jouer
un autre rôle que celui de bailleur de fonds.
La déclaration de Barcelone (1995) a montré
ses limites. Elle apparaît désormais pour ce qu'elle
est : une trouvaille conjoncturelle pour ouvrir les marchés.
Le partenariat euro-méditerranéen propose essentiellement
une zone de libre-échange aux pays de la rive sud dans le domaine
des produits industriels et des services. Or celle-ci répond
essentiellement aux intérêts européens, c'est-à-dire
à l'accroissement des avantages comparatifs immédiats
de l'Europe. L'agriculture, seul secteur compétitif du Sud,
n'est pas concerné. Le libre-échange ne peut qu'aboutir
à supprimer toute concurrence réelle ou potentielle
du Sud dans l'industrie.
Ce serait une grave erreur de croire que l'Europe pourra
tirer des pays du Sud des bénéfices importants sans
subir les effets sociaux d'une mise à niveau brutale de leurs
économies. Dans des sociétés où la libéralisation
incontrôlée et le désengagement de l'Etat entraînent
aggravation de la dualisation sociale et de la corruption, le développement
de migrations anarchiques constituerait la rançon de l'égoïsme
européen. Si l'Europe veut sortir de ce piège qu'elle
s'est tendue à elle-même, elle doit prendre en compte
les paramètres endogènes du développement des
pays du Sud.
|
Ce projet devrait se déployer autour de l'idée
d'un " marché commun " euro-méditerranéen,
doté d'une véritable politique structurelle |
Le développement de relations commerciales plus
équilibrées, un codéveloppement privilégiant
les facteurs de complémentarité et de solidarité
et soulignant l'étroite interdépendance historique,
culturelle et économique entre les deux rives, implique, la
réorientation du projet de zone de libre échange. Ce
projet devrait se déployer autour de l'idée d'un "
marché commun " euro-méditerranéen, doté
d'une véritable politique structurelle : modernisation et reconversion
des secteurs non compétitifs, mise aux normes techniques et
sanitaires des produits, formation de la main-d'uvre, etc. Une
" coopération renforcée " originale peut être
l'instrument de cette politique conclue entre l'Espagne, la France,
la Belgique, les Pays-Bas, la Suède, le Portugal, l'Italie
et la Grèce -et d'autres pays européens pourquoi pas
?- et leurs partenaires de la rive sud. Cette coopération pourrait
concerner des secteurs précis (gestion des ressources énergétiques,
des ressources en eau, des migrations, programmes communs d'infrastructures,
de formation etc.) et tisser progressivement l'espace méditerranéen
d'interdépendances solidaires à même de préparer
la rive sud à une intégration plus étroite à
l'Union.
Il faut également placer les migrations au cur
de la coopération entre les deux rives et élaborer une
politique migratoire directement articulée sur les nécessités
du codéveloppement. Cette politique migratoire doit reposer
sur une gestion commune des flux nécessaires à la formation
et au développement, impliquant la lutte contre l'immigration
illégale.
|
|
L'Europe ne peut pas non plus se désintéresser
du continent africain. L'Afrique noire sera une des grandes interrogations
- démographique, politique, culturelle, économique -
du siècle qui s'ouvre. Il faut offrir à l'Afrique des
issues pour sortir du sous-développement, des guerres tribales,
de la décomposition des systèmes sociaux. Or, la réforme
des accords de Lomé est très loin de ces exigences.
La philosophie de l'Accord de Cotonou repose sur l'idée qu'il
n'y a pas d'avenir pour l'Afrique en dehors de son intégration
rapide dans la mondialisation libérale.
L'Union européenne -et la France doit l'y entraîner-
doit comprendre que le développement économique, social
et politique de l'Afrique conditionne sa propre stabilité et
sa prospérité future. Plus elle tardera à faire
front par une véritable stratégie commune de développement,
plus elle subira les effets dévastateurs, surtout en termes
de flux migratoires, de la paupérisation des pays africains.
Comment imaginer que l'Europe puisse se mettre aux abonnés
absents de la grande Histoire ? Nous devons penser le projet d'une
Europe européenne, capable de se définir par elle-même,
et de contribuer à l'émergence d'un monde véritablement
multipolaire avec la Chine, le Japon, l'Inde, le Brésil, sans
pour autant remettre en cause le fonds de valeurs que nous partageons
avec l'Amérique.
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Pour structurer un espace commun de débat -et
en dehors des projets-, il faudrait, du point de vue de la méthode,
remettre dans le coup les Parlements nationaux |
Pour structurer un espace commun de débat -et
en dehors des projets-, il faudrait, du point de vue de la méthode,
remettre dans le coup les Parlements nationaux, organiser des débats
simultanés sur quelques grands sujets, créer en France,
comme je le propose depuis 1991, une véritable Commission des
Affaires européennes, préparant des débats en
amont des prises de décision au sein du Conseil européen
ou des Conseils des Ministres.
Pour faire vivre la démocratie en Europe, il
faudrait aussi revivifier le Parlement européen, soit en le
transformant en Assemblée des représentants des Parlements
nationaux, soit, à défaut, en lui adjoignant une seconde
chambre ainsi composée, comme le suggère Tony Blair.
Quant à la Commission, exécutif administratif
de l'Union, il serait raisonnable de ne pas laisser son organisation
à la discrétion de son seul Président, mais de
la structurer en quelques grandes directions responsables, selon les
principaux domaines d'intervention. Cette remise en ordre contribuerait
au renforcement de la démocratie, au détriment d'une
technocratie souvent envahissante ou irresponsable. Elle desserrerait
aussi l'étreinte des groupes de pression en clarifiant le processus
de décision au sein de l'Union.
|
instaurer un contrôle de constitutionnalité
du droit européen |
C) Le troisième axe d'une
refondation démocratique de l'Europe serait l'instauration
d'un véritable contrôle démocratique des décisions
prises au niveau européen.
Outre l'implication accrue des Parlements nationaux,
on peut penser à instaurer un contrôle de constitutionnalité
du droit européen. La jurisprudence de la CJCE s'imposant de
manière unitaire et centralisée a abouti à une
complète dépossession des Parlements.
L'Allemagne et le Danemark ont déjà décidé
que leurs tribunaux devraient écarter les normes européennes
qui se révéleraient contraires à leurs constitutions.
Dans les deux cas, cette décision a été prise
par des cours souveraines. Pourquoi la France n'en ferait-elle pas
autant ?
La conséquence serait de possibles conflits entre
la CJCE et les cours constitutionnelles. Mais ces conflits qui, faute
de compromis, devraient être tranchés politiquement,
manifesteraient l'existence d'une dialectique européenne, seraient
un moyen d'expliciter les principes de l'Union et de les faire intérioriser.
Il s'agirait en somme d'instituer juridiquement la diversité
européenne que chacun reconnaît, mais dont on a peur,
quand elle se manifeste.
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Une expérimentation proposée par un pays
devrait pouvoir être autorisée par le Conseil européen
à contrevenir, pendant une période donnée, aux réglementations
européennes. |
D) Quatrième axe de démocratisation
: la reconnaissance de la diversité nationale.
Celle-ci devrait être admise non seulement juridiquement
mais politiquement. A travers les coopérations renforcées
dont le champ est actuellement trop réduit. Mais aussi grâce
à une procédure de divergence positive. Une expérimentation
proposée par un pays (un essai de politique industrielle par
exemple ou une organisation de service public) devrait pouvoir être
autorisée par le Conseil européen à contrevenir,
pendant une période donnée, aux réglementations
européennes.
Il est paradoxal que l'Assemblée Nationale ne
revendique pas pour la France ce qu'elle accorde à la Corse
!
Il faut rompre avec une conception unitaire et centralisée
de l'Europe, accepter les cadres à géométrie
variable, des statuts dérogatoires, harmoniser plutôt
que communautariser, bref prendre en compte les réalités
nationales.
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La ratification du traité de Nice est ainsi l'occasion pour
le Parlement français de prendre conscience du chemin sur lequel
la France a été engagée : voulons-nous préserver
la liberté, nationale ou nous sommes-nous résignés
à l'avance à la " landerisation " de la France
? L'échéance 2004 se rapproche. Il n'est pas trop tard
pour dire oui à l'Europe, mais dans la liberté c'est-à-dire
avec la France, car la France porte le message toujours vivant de la
République, et elle a encore beaucoup à dire à
l'Europe !
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