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COLLOQUE DU MOUVEMENT DES CITOYENS

MONDIALISATION LIBERALE EUROPE ETATS-NATIONS
Dimanche 21 mai 2000
INTERVENTION DE GEORGES SARRE

Mesdames, Messieurs,

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Puisque j'ouvre avec ce sujet notre dernier moment de réflexion, on me permettra d'abord une observation plus générale.
De quoi parlons nous aujourd'hui ? De L'Europe, de la mondialisation libérale, de l'Etat-Nation. Aujourd'hui presque tous les intervenant, se sont présenté, je suis ceci, je suis cela. Moi je ne suis pas libéral, je suis français, la France est à l'extrémité de l'isthme européen, citoyen républicain avancé pour la paix et la coopération entre les gouvernements et les peuples.

Qu'ont montré jusqu'à présent nos débats ?

Que la « construction européenne » a consisté constamment depuis une quarantaine d'années, plus activement depuis dix ans, en une déconstruction progressive des Etats-nations, c'est la déconstruction républicaine. Plus précisément, les européïstes se sont particulièrement attaqués avec persévérance à ce qui fait l'essence même de l'Etat ; l'intervention publique.

L'Europe se fait l'instrument de l'offensive historique du marché.

La social-démocratie n'a pas été la dernière à se livrer à cette déconstruction. Au contraire, au nom d'une méfiance de l'Etat, bien souvent irréfléchie, elle a favorisé une lecture du traité de Rome qui se limite au principe de concurrence d'où démantèlement des services publics, assèchement des aides publiques et vigilance sélective vis-à-vis des positions dominantes.

La monnaie unique change la nature de la « construction » européenne en lui transférant pour la première fois des pouvoirs régaliens. Ce n'est plus l'Etat dans ses interventions que l'on cherche à contenir. C'est l'Etat dans le pouvoir même d'initiative qui fait son indépendance. Dès lors c'est bien l'Etat-Nation lui-même c'est-à-dire l'indépendance nationale traduite dans la définition d'une politique économique et financière autonome qui vacille. L'Europe se fait l'instrument de l'offensive historique du marché. Elle s'est particulièrement vouée depuis une vingtaine d'années à vider de leur substance les valeurs de la république au profit de l'ensemble des valeurs du libéralisme de l'archéo-libéralisme pour reprendre l'expression du professeur Lafay.

Les uns se sont résignés au marché pour avoir l'Europe, les autres à l'Europe pour avoir le marché.

Aujourd'hui, appuyée par l'idéologie de l'individualisme, monopolisant le mot « modernité », elle est en position de s'en prendre à la source même de la légitimité publique. Les pères fondateurs nous dit-on n'avaient pas voulu cela. L'Europe n'a pas voulu le marché ! Peut-être. Qu'importe ? Le marché lui a voulu l'Europe ! De sorte qu'on a vu dans ce pays les uns se résigner au marché pour avoir l'Europe, les autres se résigner à l'Europe pour avoir le marché. Cette alliance entre les deux camps politiques principaux qui se partageaient la France a pour effet une fuite en avant typiquement française vers toujours plus d'Europe. Cette politique présentée comme la seule possible incite trop souvent les citoyens à l'abstention, quand elle ne conduit pas à des dérives regrettables.

Le modèle de protection sociale que l'on s'attache aujourd'hui à défaire est largement une co-production européenne.

L'Europe est devenue ainsi une machine à légitimer la mondialisation archéo-libérale et la globalisation. La dernière phase de déconstruction passe par la mise en cause de nos systèmes sociaux, sujets d'une formidable résistance.

Je me bornerai à citer les caractéristiques de cette dernière phase. D'abord l'importance particulière que les Français et d'ailleurs d'autres peuples européens portent à leur protection sociale. Ce n'est pas un des moindres paradoxes que le modèle de protection sociale que l'on s'attache aujourd'hui à défaire soit largement une co-production européenne dans laquelle on retrouve des apports du travaillisme britannique, ceux du Front Populaire et de la Libération en France, sans oublier à la fin du 19ème siècle l'œuvre de Bismarck. C'est pour cela peut-être que le maintien d'un type européen de protection sociale est un tel enjeu pour les forces de l'économie mondialiste. Que l'on songe un instant à ce que signifierait comme exemple le modèle d'une Europe qui réussit économiquement tout en offrant à ses travailleurs un degré élevé de protection.

Le régime des retraites est bien le débat de fond des années à venir, mais à condition de ne pas en tronquer les terme.

Ensuite, au sein de nos systèmes sociaux, le régime des retraites est bien le débat de fond des années à venir. Mais à condition de ne pas en tronquer les termes pour les limiter à une photographie de données démographiques figées.
La question posée est celle de l'avenir de notre population et ne se limite pas à la question du financement des pensions.
La prévision démographique n'est jamais sûre, l'histoire y compris récente montre quel rôle joue dans l'évolution du taux de fécondité le sentiment de l'avenir. En outre, les écarts entre les principaux pays d'Europe dans ce domaine menacent toute possibilité de politiques économiques convergentes, du fait des besoins différents tant pour les transferts sociaux que pour les adaptations budgétaires.

Enfin, il s'agit pour un débat public digne de ce nom de mesurer l'ampleur exacte du problème spécifiquement posé par le financement des pensions à l'horizon 2020 ou au-delà.

Ce n'est pas la charge des retraites qui appelle un traitement urgent ni fondamental mais bien le taux d'activité et aussi naturellement l'accroissement de la population par les naissances.

Or les chiffres même qui figurent dans le rapport Charpin montrent que le ratio de dépendance retraités/actifs est loin d'être le seul pertinent. Le ratio dit de « dépendance économique » qui rapporté aux actifs et à l'ensemble des inactifs (non seulement retraités mais jeunes et chômeurs), conduit à la conclusion que ce n'est pas la charge des retraites qui appelle un traitement urgent ni fondamental mais bien le taux d'activité et aussi naturellement l'accroissement de la population par les naissances.

Tout cela, nous le savons bien. Il convient donc de mesurer la force de déconstruction républicaine pour nous permettre de mesurer l'effort de reconstruction à déployer.

Car si ce ne sont pas les chiffres « objectifs » de la prévision qui conduisent à admettre comme « nécessaire » une réforme du régime de solidarité entre les générations, qu'est-ce donc qui donne aujourd'hui une telle force à cette idée ?

Ramener les « acquis » de la protection sociale à la photographie de leur définition aujourd'hui, c'est nier que l'équilibre qu'ils expriment soit toujours vivant.

La technocratie s'attaque à trois valeurs essentielles à notre idée de la république qui sont au centre de nos systèmes de protection sociale ;

D'abord le fait que les conquêtes sociales sont le produit d'une histoire faite de conflits, de luttes d'intérêts et de beaucoup de souffrances. En opposant aux « acquis sociaux » l'idée qu'il faut savoir faire bouger ce qui est figé, on défigure totalement la réalité.

Car il n'y a pas d'"acquis sociaux" qui soient définitivement acquis. Il y a un équilibre qui a supposé un long cheminement entre des intérêts opposés (et de force inégale) transcendés par la République au nom de l'intérêt général. Ramener les « acquis » de la protection sociale à la photographie de leur définition aujourd'hui, c'est nier que l'équilibre qu'ils expriment soit toujours vivant. Or il est vivant : la preuve, c'est qu'il est mis en cause ! Et la preuve que le « cliché » est du côté de l'archaïsme libéral destructeur et non d'un prétendu « conservatisme social », c'est que, comme je le relevais il y a un instant, le débat ne s'appuie pas sur les données sérieuses qui existent pourtant. On crie à la réforme parce que c'est l'air du temps. Il est navrant de voir socialistes et travaillistes se joindre au coeur des pleureuses libérales pour défaire ce que leurs pères ont construit, pour revenir au 19éme siècle.

Définir la nation comme le cadre naturel de la solidarité est un effort historique que seule la République a permis.

La deuxième valeur en cours de « déconstruction » c'est évidemment celle de la solidarité nationale. Tout l'effort qui a consisté à créer un transfert dans le temps du poids de certaines charges sociales entre les générations est fondé le principe d'égalité. Créer la solidarité nationale c'est s'arracher à l'individualisme sauvage du chacun pour soi. Mais cela n'est pas suffisant. Il a fallu encore que soit peu à peu définie une certaine conception du bien dans la société : autre que l'égoïsme et autre que la charité qui en fut le correctif historique. Or il faut un effort d'abstraction pour envisager une solidarité qui ne soit plus à l'échelle de la paroisse ou du village, qui ne s'en tienne pas à l'échelon où s'organise l'entraide voir les secours. Définir la nation comme le cadre naturel de la solidarité est je le répète un effort historique que seule la République a permis. C'est pourquoi tout se tient dans le modèle français de la solidarité nationale. La déstructurer dans l'espace comme dans le temps c'est porter atteinte à sa logique même. C'est bien en vertu du même raisonnement d'ailleurs, que mettre fin à la péréquation des tarifs publics entre catégories d'usagers ou entre régions, c'est mettre fin au modèle français, celui d'une solidarité qui ne s'exerce pas à posteriori à coup de subventions aux territoires ou de discriminations positives envers les catégories défavorisées mais par des transferts nationaux, définissant à priori la mise en oeuvre du principe d'égalité.

Le garant de l'intérêt général est l'Etat et ne peut-être un autre acteur.

Je ne citerai que pour mémoire la dernière valeur à reconstruire : c'est la reconnaissance que le garant de l'intérêt général est l'Etat et ne peut-être un autre acteur. Cette valeur parle d'elle-même. C'est celle d'un arbitrage au nom d'un intérêt supérieur à la juxtaposition des intérêts individuels. Nous mesurons par tout ce qui a été dit aujourd'hui la gravité des attaques dont cette valeur centrale est l'objet. Mais tout n'est pas perdu. Les Français restent attachés à cette conception de l'Etat qui se confond avec la République.

Aujourd'hui, devant les réticences de plus en plus affirmées des peuples, beaucoup d'européistes s'interrogent. Comment avancer de biais ? C'est difficile ! Alors des propositions sont faites ici et là sur une même base, toujours plus d'Europe, toujours plus de libéralisme archaïque.

Les solutions vraiment libérales et fédérales de Monsieur Jolka Fischer ramènent les nations au rang de provinces européennes.

Tout récemment, Monsieur Jolka Fischer s'est particulièrement distingué par des propositions dites à moyen terme, à vingt ans qui, sous prétexte de marier la tradition allemande et la tradition française, formulent des solutions vraiment libérales et fédérales. C'est une fuite en avant inouïe. Avec elles, on sombre dans la démesure. En effet, il est clair qu'il s'agit de ramener les nations au rang de provinces européennes. Et pour que chacun voit bien ce dont il retourne, Monsieur Juppé, sur Europe 1, a envisagé la rédaction d'une constitution européenne ou chacun saurait ce que chaque échelon fait.

Les nouvelles régions (anciens Etats-Nations) géreraient les questions touchant à la vie quotidienne. L'Europe aurait à mettre en oeuvre une politique étrangère de défense etc. Et François Hollande qui déclare « Elle est bienvenue car le couple Franco-allemand qu'il appelle de ses vœux est essentiel à mes yeux pour créer les perspectives d'une Europe fédéral ». Voilà où il veulent aller. Enfin, c'est franc. Mais ils vont droit dans le mur.

Un nouvel équilibre européen : dire oui sur la base du volontariat des Etats pour avancer ensemble. Dire non lorsque des intérêts nationaux sont en jeu.

Que proposer ?
A mon sens, des coopérations nouvelles pourraient être mises en place.
Faire reposer les coopérations sur la volonté de quelques Etats d'agir ensemble serait une modification positive. Ces coopérations pourraient inclure des pays de l'Est et du Sud. J'ajouterai que, combinée avec un usage effectif du « compromis de Luxembourg » elles offriraient la possibilité d'un nouvel équilibre européen : dire oui sur la base du volontariat des Etats pour avancer ensemble. Dire non lorsque des intérêts nationaux sont en jeu. Qui ne voit que la déconstruction systématique de notre République, y trouverait enfin une limite ferme ? Je ne dis pas qu'une telle modification du traité suffirait. Mais assorti d'une réforme des pouvoirs respectifs du conseil et de la commission, rendant au premier son rôle d'instance politique, elle imprimerait un infléchissement qui pourrait être salutaire. En ce sens, relégitimer la nation, c'est relégitimer l'Europe. il faut une certaine myopie politique pour refuser de le voir.
Et il faut répondre : ça suffit !