L'Europe
se fait l'instrument de l'offensive historique du marché. |
La
social-démocratie n'a pas été la dernière
à se livrer à cette déconstruction. Au contraire,
au nom d'une méfiance de l'Etat, bien souvent irréfléchie,
elle a favorisé une lecture du traité de Rome qui
se limite au principe de concurrence d'où démantèlement
des services publics, assèchement des aides publiques et
vigilance sélective vis-à-vis des positions dominantes.
La
monnaie unique change la nature de la « construction
» européenne en lui transférant pour la première
fois des pouvoirs régaliens. Ce n'est plus l'Etat dans ses
interventions que l'on cherche à contenir. C'est l'Etat dans
le pouvoir même d'initiative qui fait son indépendance.
Dès lors c'est bien l'Etat-Nation lui-même c'est-à-dire
l'indépendance nationale traduite dans la définition
d'une politique économique et financière autonome
qui vacille. L'Europe se fait l'instrument de l'offensive historique
du marché. Elle s'est particulièrement vouée
depuis une vingtaine d'années à vider de leur substance
les valeurs de la république au profit de l'ensemble des
valeurs du libéralisme de l'archéo-libéralisme
pour reprendre l'expression du professeur Lafay.
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Les uns
se sont résignés au marché pour avoir l'Europe,
les autres à l'Europe pour avoir le marché. |
Aujourd'hui,
appuyée par l'idéologie de l'individualisme, monopolisant
le mot « modernité », elle est en position de
s'en prendre à la source même de la légitimité
publique. Les pères fondateurs nous dit-on n'avaient pas
voulu cela. L'Europe n'a pas voulu le marché ! Peut-être.
Qu'importe ? Le marché lui a voulu l'Europe ! De sorte qu'on
a vu dans ce pays les uns se résigner au marché pour
avoir l'Europe, les autres se résigner à l'Europe
pour avoir le marché. Cette alliance entre les deux camps
politiques principaux qui se partageaient la France a pour effet
une fuite en avant typiquement française vers toujours plus
d'Europe. Cette politique présentée comme la seule
possible incite trop souvent les citoyens à l'abstention,
quand elle ne conduit pas à des dérives regrettables.
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Le modèle
de protection sociale que l'on s'attache aujourd'hui à défaire
est largement une co-production européenne. |
L'Europe
est devenue ainsi une machine à légitimer la mondialisation
archéo-libérale et la globalisation. La dernière
phase de déconstruction passe par la mise en cause de nos
systèmes sociaux, sujets d'une formidable résistance.
Je me bornerai à citer les caractéristiques de cette
dernière phase. D'abord l'importance
particulière que les Français et d'ailleurs d'autres
peuples européens portent à leur protection sociale.
Ce n'est pas un des moindres paradoxes que le modèle de protection
sociale que l'on s'attache aujourd'hui à défaire soit
largement une co-production européenne dans laquelle on retrouve
des apports du travaillisme britannique, ceux du Front Populaire
et de la Libération en France, sans oublier à la fin
du 19ème siècle l'uvre de Bismarck. C'est pour
cela peut-être que le maintien d'un type européen de
protection sociale est un tel enjeu pour les forces de l'économie
mondialiste. Que l'on songe un instant à ce que signifierait
comme exemple le modèle d'une Europe qui réussit économiquement
tout en offrant à ses travailleurs un degré élevé
de protection.
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Le régime
des retraites est bien le débat de fond des années à
venir, mais à condition de ne pas en tronquer les terme. |
Ensuite,
au sein de nos systèmes sociaux, le régime des retraites
est bien le débat de fond des années à venir.
Mais à condition de ne pas en tronquer les termes pour les
limiter à une photographie de données démographiques
figées.
La question posée est celle de l'avenir de notre population
et ne se limite pas à la question du financement des pensions.
La prévision démographique n'est jamais sûre,
l'histoire y compris récente montre quel rôle joue
dans l'évolution du taux de fécondité le sentiment
de l'avenir. En outre, les écarts entre les principaux pays
d'Europe dans ce domaine menacent toute possibilité de politiques
économiques convergentes, du fait des besoins différents
tant pour les transferts sociaux que pour les adaptations budgétaires.
Enfin,
il s'agit pour un débat public digne de ce nom de mesurer
l'ampleur exacte du problème spécifiquement posé
par le financement des pensions à l'horizon 2020 ou au-delà.
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Ce n'est
pas la charge des retraites qui appelle un traitement urgent ni fondamental
mais bien le taux d'activité et aussi naturellement l'accroissement
de la population par les naissances. |
Or les chiffres même qui figurent dans le rapport Charpin
montrent que le ratio de dépendance retraités/actifs
est loin d'être le seul pertinent. Le ratio dit de «
dépendance économique » qui rapporté
aux actifs et à l'ensemble des inactifs (non seulement retraités
mais jeunes et chômeurs), conduit à la conclusion que
ce n'est pas la charge des retraites qui appelle un traitement urgent
ni fondamental mais bien le taux d'activité et aussi naturellement
l'accroissement de la population par les naissances.
Tout cela, nous le savons bien. Il convient donc de mesurer la force
de déconstruction républicaine pour nous permettre
de mesurer l'effort de reconstruction à déployer.
Car si ce ne sont pas les chiffres « objectifs » de
la prévision qui conduisent à admettre comme «
nécessaire » une réforme du régime de
solidarité entre les générations, qu'est-ce
donc qui donne aujourd'hui une telle force à cette idée
?
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Ramener
les « acquis » de la protection sociale à
la photographie de leur définition aujourd'hui, c'est nier que
l'équilibre qu'ils expriment soit toujours vivant. |
La
technocratie s'attaque à trois valeurs essentielles à
notre idée de la république qui sont au centre de
nos systèmes de protection sociale ;
D'abord le fait que les conquêtes sociales sont le produit
d'une histoire faite de conflits, de luttes d'intérêts
et de beaucoup de souffrances. En opposant aux « acquis sociaux
» l'idée qu'il faut savoir faire bouger ce qui est
figé, on défigure totalement la réalité.
Car
il n'y a pas d'"acquis sociaux" qui soient définitivement
acquis. Il y a un équilibre qui a supposé un long
cheminement entre des intérêts opposés (et de
force inégale) transcendés par la République
au nom de l'intérêt général. Ramener
les « acquis » de la protection sociale à
la photographie de leur définition aujourd'hui, c'est nier
que l'équilibre qu'ils expriment soit toujours vivant. Or
il est vivant : la preuve, c'est qu'il est mis en cause ! Et la
preuve que le « cliché » est du côté
de l'archaïsme libéral destructeur et non d'un prétendu
« conservatisme social », c'est que, comme je le relevais
il y a un instant, le débat ne s'appuie pas sur les données
sérieuses qui existent pourtant. On crie à la réforme
parce que c'est l'air du temps. Il est navrant de voir socialistes
et travaillistes se joindre au coeur des pleureuses libérales
pour défaire ce que leurs pères ont construit, pour
revenir au 19éme siècle.
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Définir
la nation comme le cadre naturel de la solidarité est un effort
historique que seule la République a permis. |
La
deuxième valeur en cours de « déconstruction
» c'est évidemment celle de la solidarité nationale.
Tout l'effort qui a consisté à créer un transfert
dans le temps du poids de certaines charges sociales entre les générations
est fondé le principe d'égalité. Créer
la solidarité nationale c'est s'arracher à l'individualisme
sauvage du chacun pour soi. Mais cela n'est pas suffisant. Il a
fallu encore que soit peu à peu définie une certaine
conception du bien dans la société : autre que l'égoïsme
et autre que la charité qui en fut le correctif historique.
Or il faut un effort d'abstraction pour envisager une solidarité
qui ne soit plus à l'échelle de la paroisse ou du
village, qui ne s'en tienne pas à l'échelon où
s'organise l'entraide voir les secours. Définir la nation
comme le cadre naturel de la solidarité est je le répète
un effort historique que seule la République a permis. C'est
pourquoi tout se tient dans le modèle français de
la solidarité nationale. La déstructurer dans l'espace
comme dans le temps c'est porter atteinte à sa logique même.
C'est bien en vertu du même raisonnement d'ailleurs, que mettre
fin à la péréquation des tarifs publics entre
catégories d'usagers ou entre régions, c'est mettre
fin au modèle français, celui d'une solidarité
qui ne s'exerce pas à posteriori à coup de subventions
aux territoires ou de discriminations positives envers les catégories
défavorisées mais par des transferts nationaux, définissant
à priori la mise en oeuvre du principe d'égalité.
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Le garant
de l'intérêt général est l'Etat et ne peut-être
un autre acteur. |
Je
ne citerai que pour mémoire la dernière valeur à
reconstruire : c'est la reconnaissance que le garant de l'intérêt
général est l'Etat et ne peut-être un autre
acteur. Cette valeur parle d'elle-même. C'est celle d'un arbitrage
au nom d'un intérêt supérieur à la juxtaposition
des intérêts individuels. Nous mesurons par tout ce
qui a été dit aujourd'hui la gravité des attaques
dont cette valeur centrale est l'objet. Mais tout n'est pas perdu.
Les Français restent attachés à cette conception
de l'Etat qui se confond avec la République.
Aujourd'hui, devant les réticences de plus en plus affirmées
des peuples, beaucoup d'européistes s'interrogent. Comment
avancer de biais ? C'est difficile ! Alors des propositions sont
faites ici et là sur une même base, toujours plus d'Europe,
toujours plus de libéralisme archaïque.
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Les
solutions vraiment libérales et fédérales de Monsieur
Jolka Fischer ramènent les nations au rang de provinces européennes. |
Tout
récemment, Monsieur Jolka Fischer s'est particulièrement
distingué par des propositions dites à moyen terme,
à vingt ans qui, sous prétexte de marier la tradition
allemande et la tradition française, formulent des
solutions vraiment libérales et fédérales.
C'est une fuite en avant inouïe. Avec elles, on sombre dans
la démesure. En effet, il est clair qu'il s'agit de ramener
les nations au rang de provinces européennes. Et pour que
chacun voit bien ce dont il retourne, Monsieur Juppé, sur
Europe 1, a envisagé la rédaction d'une constitution
européenne ou chacun saurait ce que chaque échelon
fait.
Les
nouvelles régions (anciens Etats-Nations) géreraient
les questions touchant à la vie quotidienne. L'Europe aurait
à mettre en oeuvre une politique étrangère
de défense etc. Et François Hollande qui déclare
« Elle est bienvenue car le couple Franco-allemand qu'il appelle
de ses vux est essentiel à mes yeux pour créer
les perspectives d'une Europe fédéral ». Voilà
où il veulent aller. Enfin, c'est franc. Mais ils vont droit
dans le mur.
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Un nouvel
équilibre européen : dire oui sur la base du volontariat
des Etats pour avancer ensemble. Dire non lorsque des intérêts
nationaux sont en jeu. |
Que proposer
?
A mon sens, des coopérations nouvelles pourraient être
mises en place.
Faire reposer les coopérations sur la volonté de quelques
Etats d'agir ensemble serait une modification positive. Ces coopérations
pourraient inclure des pays de l'Est et du Sud. J'ajouterai que, combinée
avec un usage effectif du « compromis de Luxembourg »
elles offriraient la possibilité d'un nouvel équilibre
européen : dire oui sur la base du volontariat des Etats pour
avancer ensemble. Dire non lorsque des intérêts nationaux
sont en jeu. Qui ne voit que la déconstruction systématique
de notre République, y trouverait enfin une limite ferme ?
Je ne dis pas qu'une telle modification du traité suffirait.
Mais assorti d'une réforme des pouvoirs respectifs du conseil
et de la commission, rendant au premier son rôle d'instance
politique, elle imprimerait un infléchissement qui pourrait
être salutaire. En ce sens, relégitimer la nation, c'est
relégitimer l'Europe. il faut une certaine myopie politique
pour refuser de le voir.
Et il faut répondre : ça suffit !
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