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Le "Che", notre ami
Par Majed Nehmé, paru dans Afrique-Asie

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De tous les hommes politiques français, Jean-Pierre Chevènement est incontestablement celui qui séduit le plus les opinions publiques sur la rive sud de la Méditerranée. La force de ses convictions républicaines, le courage de ses positions, notamment contre la guerre du Golfe et son plaidoyer pour une politique arabe de la France, "repensée" et dynamisée alliée aux courants modernistes, fascinent élites et peuples, du Maghreb comme au Machrek, y compris l'immigration en France même. Il a pu en mesurer l'impact lors de sa dernière visite en Algérie, en Tunisie et au Maroc. 

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Jean-Pierre Chevènement a choisi de se rendre dans les trois principaux pays du Maghreb. Une autre visite en Afrique est déjà programmée. Ce choix est loin d'être électoraliste.

Pour son premier déplacement à l'étranger depuis qu'il s'est porté candidat à la présidence de la république française en septembre dernier, Jean-Pierre Chevènement a choisi de se rendre dans les trois principaux pays du Maghreb : la Tunisie, l'Algérie et le Maroc. Une autre visite en Afrique est déjà programmée. Ce choix est loin d'être électoraliste. Il reflète une constante dans le projet politique du fondateur du Mouvement des Citoyens, né, faut-il le rappeler, en réaction contre l'embrigadement de la France dans la Tempête du désert, sous la bannière américaine. Grand ami et connaisseur du monde arabe, il avait très tôt mis en garde contre les terribles ondes de choc que ce conflit allait provoquer : l'intégrisme qui se nourrit de l'injustice, du déni de droit et de la politique de "deux poids deux mesures" dont sont victimes les peuples de cette région. Un intégrisme avec lequel les Etats-Unis s'accommodaient si bien, pensant à tort qu'ils pouvaient le manipuler à l'infini pour déstabiliser des régimes arabes récalcitrants afin d'y asseoir leur mainmise sur les réserves pétrolières de la région, et par ricochet, maintenir l'Europe, aujourd'hui dépourvue de toute politique étrangère planétaire, sous leur coupe. Les attentats du 11 septembre, commis par les anciens de l'International Djihad Entreprise en Afghanistan, nourris au sein même de l'Amérique, vont-ils enfin produire le sursaut tant attendu, en amenant Washington à revoir sa stratégie et à s'attaquer à la fois au terrorisme et aux causes du terrorisme ? Rien n'est moins sûr, si l'on observe comment l'administration Bush persiste et signe dans son aberrante politique moyen-orientale qui avait justement enfanté ce monstre nommé Ben Laden.

Une politique qui encouragerait l'intégration interarabe, condition préalable à l'instauration d'un véritable partenariat avec l'Europe sur un pied d'égalité.

J-P. Chevènement n'a de cesse, depuis qu'il dirigeait le CERES, l'aile la plus progressiste au sein du Parti socialiste dans les années soixante-dix, de militer pour une refondation de la politique française en direction du monde arabe, une politique fondée sur le codéveloppement, la justice, la modernité, la laïcité et la démocratie. Une politique qui encouragerait l'intégration interarabe, condition préalable à l'instauration d'un véritable partenariat avec l'Europe sur un pied d'égalité. Ce n'était pas l'approche, on s'en souvient, d'un Jacques Delors, l'ancien président de la Commission européenne, qui avait justement pour mission d'unifier le vieux continent, qui déclare, à la veille de la guerre du Golfe en 1990, que le monde arabe ferait mieux de ne plus courir derrière l'Union arabe, qui n'est rien d'autre qu'une utopie ! On est loin, très loin de la vision d'un J-P. Chevènement qui écrit cinq plus tard (1) : "Il faut redonner aux masses arabes l'espoir d'améliorer leur vie et d'accéder à la dignité. Le nationalisme arabe exprimait une double aspiration : à l'identité et à la modernité. Ces deux revendications sont légitimes. Il serait criminel de vouloir les séparer en isolant d'une masse vouée à l'obscurantisme, une petite élite occidentalisée et coupée de son peuple. Il faut satisfaire ensemble dans des formes à renouveler ces deux aspirations légitimes à la modernisation et à l'existence nationale".

Message reçu cinq sur cinq à la fois au niveau officiel et populaire. En témoigne l'accueil très chaleureux qui lui a été réservé.
C'est ce message inhabituel de la part d'un homme politique français que le député-maire de Belfort est venu réaffirmer à ses interlocuteurs en Algérie, en Tunisie et au Maroc. Message reçu cinq sur cinq à la fois au niveau officiel et populaire. En témoigne l'accueil très chaleureux qui lui a été réservé et dont le quotidien Libération de l'USFP résumait par cette manchette : "Bienvenu le "Che", notre ami". Le tapis rouge a été déroulé devant cet ami du Maghreb, une attention jamais accordée à une personnalité non officielle. Il sera partout reçu par les plus hautes autorités du pays. Par le président Bouteflika et le chef du gouvernement Benflis, à Alger, par le président Ben Ali à Carthage, par le roi Mohammed VI et le Premier ministre Youssoufi, à Rabat avec des égards réservés aux hôtes de marque.

Au cours de l'audience accordée à Jean-Pierre Chevènement, le chef du gouvernement algérien, M.Ali Benflis, a salué "les positions de principe qui ont caractérisé le parcours politique de M. Chevènement et son attachement au renforcement des relations bilatérales algéro-françaises et à l'avènement d'un ordre international bâti sur plus de justice et d'équité".

C'est le développement des pays du Sud qui asséchera le terreau dans lequel le terrorisme a poussé

Parallèlement aux activités officielles et protocolaires, le "Che" a tenu à rencontrer les élites du pays pour débattre avec elles de l'après-11 septembre. Au cours d'une conférence-débat animée à l'Ecole nationale d'administration (ENA), en présence d'un aréopage d'intellectuels, de parlementaires et d'hommes politiques, il fera remarquer que "les événements du 11 septembre ont mis fin à cette illusion que le monde occidental et les Etats-Unis en particulier sont invulnérables (…). Ils ont mis fin à cette illusion qu'il ne suffit pas de prêcher les droits de l'homme pour aboutir à une normalisation universelle".
La lutte contre le terrorisme ne peut en aucun cas se limiter à son aspect militaire, fera-t-il remarquer. "Excusez l'ancien ministre de l'Intérieur que je suis, de dire que tout doit commencer par le travail de renseignement, de surveillance des circuits financiers, en établissant en parallèle une coopération pour la réduction des écarts entre le Nord et le Sud, car c'est le développement des pays du Sud qui asséchera le terreau dans lequel le terrorisme a poussé (...). Si cette lutte implique une coopération internationale, elle implique d'abord et nécessairement une intelligence".

"J'ai visité l'université de Bagdad et je n'ai pas trouvé une seule publication après 1990."

"La France, ajoute-t-il, tente d'avoir un langage de sagesse et elle doit faire prévaloir un débat dans les trois mois à venir sur ces sujets". Se référant aux dernières déclarations américaines sur l'après-taliban, il a exprimé ses inquiétudes sur une possible extension de la guerre contre d'autres pays tel que l'Irak, qui est sous embargo depuis plus de onze ans. "J'ai visité l'université de Bagdad et je n'ai pas trouvé une seule publication après 1990. Les frappes contre l'Irak ne feront qu'apporter de l'eau au moulin des intégristes". Concernant l'amitié franco-algérienne le président du MDC reconnaît que pour lui, l'Algérie est "un coup de cœur".
Certes, admet l'ancien ministre de l'Intérieur, il y a encore beaucoup à faire pour consolider les relations spéciales entre les deux pays, notamment en matière d'intégration des jeunes binationaux. Il y a encore des discriminations plus ou moins conscientes, des problèmes d'identité et d'enfermement. Pour que ces relations soient durables, il faudra "fonder l'avenir sur le respect et la solidarité entre les deux nations".

Sur la question très frustrante des visas, de 50.000 visas en 1997, on est passé à 150.000 puis à 300.000 en 2001.

Sur la question très frustrante des visas, dont le nombre était tombé de 500. 000 en 1992 à 50.000 seulement en 1997, il y a eu, souligne l'ancien ministre de l'Intérieur, une amélioration progressive depuis sa nomination au gouvernement Jospin. "De 50.000 visas en 1997, on est passé à 150.000 puis à 300.000 en 2001. Cela va encore se développer, promet Chevènement, avec l'ouverture du consulat de France à Annaba et à Oran".
Concernant la question de la dette extérieure algérienne envers la France, Chevènement reconnaît que toutes les possibilités, qui sont réelles, n'ont pas été explorées. Il est souhaitable de convertir au moins une partie de cette dette en investissements privés.
La mondialisation tant vantée comme une panacée au sous-développement, montre dans ce domaine ses limites et ses contradictions. La libre circulation des marchandises est-elle concevable sans la libre circulation des hommes ? Bien qu'adversaire déclaré de la mondialisation sauvage, l'ancien ministre appelle pourtant de ses souhaits la "libre circulation des personnes entre les deux rives de la Méditerranée et la gestion des flux migratoires". L'accord d'association que l'Algérie vient de parapher avec l'Union européenne, contribuera à poser ces problèmes différemment dans la mesure où ce partenariat va aider à gérer la transition en Algérie, avec une politique d'accompagnement des réformes.

Lever immédiatement l'embargo et reconnaître aux Palestiniens enfin un véritable Etat indépendant
Le drame que vit le peuple palestinien, tout comme le blocus barbare imposé depuis bientôt douze ans à l'Irak, ont été aussi abordés avec franchise. Sur ces deux sujets, le fondateur du MDC ne mâche pas ses mots : il faut lever immédiatement l'embargo et reconnaître aux Palestiniens d'avoir enfin un véritable Etat indépendant. Car, dit-il à l'adresse du gouvernement israélien, "on ne peut traiter les problèmes par les missiles et les bombes".
Tout au long de ce périple, tant à Alger qu'à Tunis ou à Rabat, c'est ce message de dialogue, d'espoir et de foi en l'avenir des relations franco-maghrébines que J.-P. Chevènement est parvenu à établir avec ses interlocuteurs.
Ami de toujours de l'Algérie, en tout cas l'un des rares à rester à ses côtés dans les années les plus difficiles de son histoire

Un homme de conviction
Ami de toujours de l'Algérie, en tout cas l'un des rares à rester à ses côtés dans les années les plus difficiles de son histoire, pariant imperturbablement sur la capacité des forces vives du pays à rebondir et à terrasser la bête immonde de l'intégrisme, Chevènement est perçu par l'opinion publique comme un homme de convictions, de principes et de fidélité. A l'issue de l'audience que lui avait accordée Abdelaziz Bouteflika au Palais d'El-Mouradiya, en présence, du côté algérien, du directeur de cabinet à la Présidence de la République, M. Larbi Belkheir, et du conseiller diplomatique du Président de la République, M. Abdellatif Rahal, et du côté français de Jean-Yves Autexier, sénateur de Paris, et de Sami Nair, député européen.
Jean-Pierre Chevènement a souligné que "les relations entre l'Algérie et la France ont pris un nouvel essor, particulièrement depuis la visite d'Etat effectuée en France par le Président Bouteflika". Une visite dont l'ancien ministre de l'Intérieur de Jospin avait été l'un des principaux initiateurs. "Nous avons effectué un large tour d'horizon et je peux dire que peu de choses ont échappé à ce tour d'horizon (...). Nous avons parlé de la relation franco-algérienne, des problèmes de l'islam en France et de la consultation en cours (…). Nous avons évidemment abordé, a-t-il ajouté, les questions relatives à la politique étrangère, à l'après-11 septembre, à la lutte contre le terrorisme et aussi à la solution qu'il faudrait apporter à des problèmes pendants depuis très longtemps".