Le projet l'indique dans son exposé des motifs
: il est inséparable d'une révision constitutionnelle en
2004, explicitement prévue par les accords de Matignon, pour satisfaire
aux exigences des indépendantistes. |
Le projet l'indique dans son exposé des motifs
: il est inséparable d'une révision constitutionnelle
en 2004, explicitement prévue par les accords de Matignon,
pour satisfaire aux exigences des indépendantistes. Cette réunion
octroierait à la Corse un pouvoir législatif propre
et un statut de territoire d'outre mer après suppression des
départements. Elle ne pourrait s'opérer que par voie
de référendum, en l'absence d'une majorité des
trois cinquièmes au Congrès. Référendum
dont il n'y aurait d'autre précédent que sur l'Algérie
et sur la Nouvelle-Calédonie, et qui ne manquerait pas de creuser
encore plus le fossé entre une Corse apeurée et une
opinion continentale lassée, qui se dirait, comme un jour l'a
exprimé un Raymond Barre excédé : " S'ils
veulent l'indépendance, qu'ils la prennent ! ".
Ce projet est donc le hors d'uvre d'un menu que vous devez accepter
ou refuser en bloc. En le votant vous devez savoir que vous prendrez
un engagement pour le futur, dont ni Lionel Jospin ni Jacques Chirac
ne pourraient facilement se délier.
Pour utiliser une comparaison qui parlerait sans doute à M.
Talamoni -que je n'aperçois plus dans les tribunes- c'est une
bombe à retardement dont le minuteur est réglé
sur 2004 (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe
UDF et du groupe DL).
Ce texte que le Gouvernement s'efforce de rendre anodin, en prétendant
en limiter les risques d'inconstitutionnalité, est d'abord
un leurre, un exercice d'illusion à l'intention de ceux qui
voudront bien se laisser convaincre qu'il pourrait permettre le retour
à l'ordre républicain et à la paix civile. Qui
ne le souhaiterait ?
Dans l'exposé des motifs, le Gouvernement se prévalant
d'une " démarche transparente " se fixe trois objectifs
: d'abord " mettre un terme à la violence et assurer la
paix civile " ; ensuite " enraciner durablement la Corse
dans la République ; enfin " clarifier les responsabilités
dans la gestion des affaires de l'île ".
Si je défends la question préalable c'est que la démarche
qui a présidé à l'élaboration du texte
n'est nullement transparente
M. Pierre Lellouche - Très bien.
|
L'incendie de la paillote, surmédiatisé,
a surtout été le prétexte saisi par tous ceux qui
ne rêvaient, à droite comme à gauche, que d'un retournement
de la politique de l'Etat en Corse.
C'est l'occasion saisie en mai 1999 par M. Rossi et par une partie de
l'opposition pour déposer une motion de censure. |
M. Jean-Pierre Chevènement -
qu'il
ne répond à aucun des objectifs qu'il se fixe et qu'il
aurait, non seulement pour la Corse, mais pour la République
tout entière, des conséquences funestes. Car ce qui
est en cause ici, ce n'est pas tant le règlement du dossier
corse que la crise de la France en tant que nation politique, en tant
que " communauté de citoyens ", vouée par
les prophètes du post-national à s'effacer dans une
Europe des régions.
D'abord ce texte n'est pas le fruit d'une démarche transparente
mais d'un pacte implicite.
Le Gouvernement, depuis juin 1997, suivait une politique claire :
il s'agissait de " faire appliquer la loi républicaine
en Corse comme partout ailleurs sur le territoire de la République
". Le retournement de la politique gouvernementale le 30 novembre
1999, la levée du préalable de la renonciation à
la violence, l'érection de l'Assemblée de Corse en matrice
d'une volonté générale dans l'île, le choix
de débattre avec ses élus y compris avec les indépendantistes
de Corsica Nazione, qui n'avaient pas condamné la violence,
n'ont jamais été clairs à mes yeux. Un récit
publié ce matin par Libération, et dont je ne sais s'il
est corroboré par les faits, ne peut que renforcer ce sentiment.
Ce retournement fut-il l'effet à retardement de la ridicule
affaire des paillotes ? Je n'y ai jamais cru une seconde. Certes ce
fut un mauvais coup porté à l'Etat par ceux qui étaient
chargés d'en faire appliquer les lois. Mais comme l'a fort
bien dit sur le moment le Premier ministre, " C'est une affaire
de l'Etat. Ce n'est pas une affaire d'Etat. " L'incendie de la
paillote, surmédiatisé, a surtout été
le prétexte saisi par tous ceux qui ne rêvaient, à
droite comme à gauche, que d'un retournement de la politique
de l'Etat en Corse.
C'est l'occasion saisie en mai 1999 par M. Rossi et par une partie
de l'opposition pour déposer une motion de censure. Le Président
de la République à Nancy se croit obligé de flétrir
des " dysfonctionnements dans l'Etat ", comme si le
Gouvernement portait la moindre responsabilité dans ce grotesque
incident (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe
UDF et du groupe DL).

|
Le consensus national sur une question touchant à
l'intégrité territoriale de la République, dont on
pouvait penser qu'il s'était cimenté après le lâche
assassinat du préfet Erignac, a volé en éclats ! |
M. José Rossi - Si le ministre n'est pas
responsable, qui l'est ?
M. Jean-Pierre Chevènement - Bref, le consensus national
sur une question touchant à l'intégrité territoriale
de la République, dont on pouvait penser qu'il s'était
cimenté après le lâche assassinat du préfet
Erignac, quand Jacques Chirac et Lionel Jospin s'étaient exprimés
tour à tour, à Ajaccio, pour affirmer la volonté
de l'Etat de faire appliquer la loi, ce consensus, ce jour-là,
a volé en éclats ! A partir de ce moment-là,
la Corse pour son malheur, et pour le nôtre, est devenue un
enjeu de politique intérieure, ce qu'elle a, hélas,
rarement cessé d'être depuis 1981, ce qui explique d'ailleurs
l'absence de continuité dans la politique de l'Etat. Elle est
redevenue un enjeu dans la cohabitation : il ne s'agissait plus dès
lors que de savoir laquelle des deux têtes de l'exécutif
paraîtrait porter devant l'opinion la responsabilité
de la prolongation des violences. Je dois à la vérité
de dire que nombreux furent les parlementaires de droite qui, au moment
de cette censure politicienne, me firent savoir qu'ils ne partageaient
pas la position de la majorité de leur groupe.
Pour beaucoup dans l'île, la chute du préfet Bonnet a
été le signal d'une nouvelle donne politique. Je n'en
veux pour preuve que la circulaire parfaitement illégale signée
en septembre 1999 par le recteur Pantaloni
M. Georges Sarre - Exactement.

|
je considère qu'il n'y a pas de nation corse,
mais seulement une nation française qui se définit par la
citoyenneté et non par l'origine |
M. Jean-Pierre Chevènement -
lequel
est toujours en poste. Cette circulaire, sans texte de loi ni tergiversations
constitutionnelles, organise déjà l'enseignement obligatoire
de la langue corse, avec convocation des parents à un entretien
d'explication, en cas de refus de leur part (" Scandaleux
! " sur les bancs du groupe RCV et du groupe du RPR).
Quant aux indépendantistes, privés de perspective, ils
se regroupent alors dans un " Front du Fiumorbu " puis dans
une organisation " Unita " où les Verts corses côtoient
le FLNC Canal historique et Corsica Viva et autres organisations dont
vous connaissez les pratiques, tout en maintenant une organisation
armée clandestine, dite " Union des combattants ".
Dans une partie de la gauche aussi, l'affaire des paillotes et ses
suites constituèrent une " divine surprise " pour
tous ceux qui ne rêvaient que de faire de la Corse un tremplin
pour une République dite " plurielle ", fédéraliste,
destinée à se fondre dans une Europe des régions
: Ainsi M. Rocard assimile la situation de la Corse à une situation
coloniale, alors que 90 % des Corses veulent rester dans la République.
Quant à M. Lipietz, député européen vert,
dans sa préface à un ouvrage de M. Talamoni, il prône
un " développement identitaire et écologique "
reposant sur " le pari d'un développement par en bas,
pour peu que la volonté enflamme les citoyens " -je cite-,
le tout débouchant sur une " Ligue alliant la Corse,
la Sardaigne et les Baléares ". Et vous-même, Monsieur
le rapporteur, déclariez au Parisien en janvier dernier "
être nationaliste n'est pas un délit " -dès
lors bien sûr que c'est du nationalisme corse qu'il s'agit,
ou plutôt du prétendu nationalisme corse puisque pour
ma part, je considère qu'il n'y a pas de nation corse, mais
seulement une nation française qui se définit par la
citoyenneté et non par l'origine (Applaudissements sur plusieurs
bancs du groupe RCV et sur plusieurs bancs du groupe du RPR).
Je vous fais grâce d'autres citations, qui seraient pourtant
un régal (Rires sur les mêmes bancs).

|
Comment se fait-il que l'expression majoritaire de l'Assemblée
de Corse ait été subvertie en moins de quatre mois et que
44 conseillers sur 51 aient accepté le 28 juillet ce qu'une majorité
d'entre eux refusait quatre mois plus tôt ? |
Le Gouvernement invoque constamment la transparence,
comme si le fait de discuter publiquement avec les élus valait
sanctification d'une démarche politique. Alors, parlons-en
! C'est sans délibération gouvernementale préalable
que le Premier ministre a, par sa déclaration du 30 novembre
1999, levé le préalable de la renonciation à
la violence politique et institué l'Assemblée territoriale
en " matrice " d'un statut à venir. Mais celle-ci,
ainsi érigée en assemblée quasi constituante,
a hésité à s'engager en dehors de ses attributions.
Majoritairement, elle a refusé le 10 mars 2000 le pouvoir législatif
réclamé par les indépendantistes comme substitut
de la reconnaissance du peuple corse et succédané de
la souveraineté. La motion Zuccarelli a obtenu 26 voix, la
motion Rossi 22.
Comment se fait-il que l'expression majoritaire de l'Assemblée
de Corse ait été subvertie en moins de quatre mois et
que 44 conseillers sur 51 aient accepté le 28 juillet ce qu'une
majorité d'entre eux refusait quatre mois plus tôt ?
M. José Rossi - Ce n'était plus la même
motion.
M. Jean-Pierre Chevènement - J'observe d'abord que M.
Zuccarelli a été promptement écarté du
Gouvernement.
Le retournement du groupe social-démocrate de M. Renucci, ancien
mandataire de M. Jospin à l'élection présidentielle
de 1995, n'est pas un grand mystère.
Le ralliement du RPR est à peine plus difficile à comprendre.
M. Guazelli, ancien directeur du Crédit agricole de Corse,
et numéro deux du RPR insulaire derrière M. Baggioni,
en donne l'explication la plus franche dans le compte rendu de la
réunion des présidents de groupe de l'Assemblée
territoriale du 12 juillet diffusé par M. José Rossi
: " La majorité avait refusé le pouvoir législatif,
mais il s'agit aujourd'hui d'obtenir un accord politique " -avec
les indépendantistes s'entend.
Nicolas Alfonsi, président du groupe du parti radical de gauche
à l'Assemblée territoriale, évoque dans une interview
récente " de sombres affaires fiscales opportunément
évoquées vis-à-vis de certains élus encore
hésitants ". Aussi bien faudrait-il être un Romain
-comme M. Alfonsi- pour refuser 12 milliards de subventions, des exonérations
fiscales et un surcroît de pouvoir pour l'Assemblée territoriale.
Ajoutons à cela la peur très répandue de paraître
archaïque et le désir d'être dans le vent, c'est-à-dire
du côté du manche.
Mme Christine Boutin - Ah ça

|
C'est contre l'avis de tous les ministres réunis
le 6 juillet, qui se sont alors unanimement prononcés contre toute
délégation du pouvoir législatif, que le Premier
ministre a décidé de jouer la carte de l'expérimentation
législative... |
M. Jean-Pierre Chevènement - Les élus
communistes eux-mêmes votent à deux sur trois le relevé
de conclusions gouvernemental le 28 juillet ! Ange Rovere, premier
adjoint communiste au maire de Bastia dénoncera le 6 septembre
2000 " un retournement de toute l'histoire des communistes
corses et du mouvement social de notre île ", " un
véritable coup de poignard à la Corse ", par volonté
de " coller au Gouvernement ". Selon lui, " la Corse
fournit un terrain d'expérience à tout ce qui, à
droite comme dans une certaine gauche, veut casser le pacte républicain
". On ne saurait mieux dire.
Certes des entretiens ont réuni d'avril à juillet 2000,
dans la salle de la Chapelle du 32 rue de Babylone, les élus
de Corse et les collaborateurs du Premier ministre, du ministre de
l'intérieur, et occasionnellement du ministre des finances
et du ministre des transports. A aucun moment d'ailleurs l'examen
des problèmes posés à la Corse et des compétences
exercées par ses assemblées élues n'a fait ressortir
le besoin d'une délégation du pouvoir législatif.
Mais c'est au mépris de toute concertation avec les autres
représentants du Gouvernement aux entretiens de la rue de Babylone
que le cabinet du Premier ministre a, le 3 juillet, communiqué
aux élus de Corse des fiches préparant le relevé
de conclusions du 20 juillet et laissant entrevoir l'éventualité
d'un pouvoir législatif partagé.
C'est contre l'avis de tous les ministres réunis le 6 juillet,
qui se sont alors unanimement prononcés contre toute délégation
du pouvoir législatif, que le Premier ministre a décidé
de jouer la carte de l'expérimentation législative,
ouvrant la voie à la révision constitutionnelle et à
la dévolution du pouvoir législatif que les indépendantistes,
secondés par M. Rossi, n'avaient cessé de réclamer.
Ils l'obtiennent de la majorité des présidents de groupe
de l'Assemblée territoriale le 12 juillet 2000, puis du Gouvernement
le 19 juillet.
Alors oui, il y a bien eu une concertation avec les élus corses
! Jusqu'au 3 juillet 2000, elle a été relativement transparente
et aurait pu conduire à faire comme je l'avais proposé
au Premier ministre, " du neuf et du raisonnable " en responsabilisant
les élus corses. Une assemblée unique, après
fusion des deux départements, aurait été concevable
dès lors que, devant tenir compte de la représentation
territoriale, elle aurait été élue au moins pour
moitié selon un mode de scrutin majoritaire. Dans ces conditions,
les indépendantistes auraient cessé d'être la
clé de la majorité dans une assemblée où
ni la droite ni la gauche ne l'obtiennent pour leur seul compte. Alors,
une décentralisation plus poussée et la mise en uvre
d'un plan de développement doté d'importants fonds publics
eût été raisonnable.
Au lieu de cela, on a choisi de culpabiliser l'Etat, en faisant d'un
accord avec des indépendantistes, qui n'ont renoncé
ni à leur objectif d'indépendance, ni à l'utilisation
de la violence, la clé d'une solution politique.
M. Nicolas Dupont-Aignan - Eh oui

|
Le nombre d'attentats commis en Corse dans les premiers
mois de 2001 nous ramène au niveau d'avant 1998. |
M. Jean-Pierre Chevènement - Cette démarche
n'a pas mis et ne peut pas mettre un terme à la violence.
Le Premier ministre a transformé le préalable de la
renonciation à la violence politique en simple condition suspensive
d'une promesse de révision constitutionnelle. Ce message a
été parfaitement compris et exploité par les
mouvements clandestins, qui ont retourné la condition suspensive
à leur profit.
Certains esprits pragmatiques m'objecteront peut-être que la
trêve annoncée par ces mouvements en décembre
1999 et la baisse du nombre d'attentats constatés en Corse
au cours de l'année 2000 -encore cent vingt- peuvent être
considérées comme un premier pas vers le retour à
la paix civile. Ce n'est qu'un leurre : le nombre d'attentats commis
en Corse dans les premiers mois de 2001 nous ramène au niveau
d'avant 1998. Le FNLC a revendiqué trois attentats le mois
dernier, dans un communiqué qui précise sans rire qu'il
ne s'agit pas d'une rupture de la trêve décrétée
en décembre 1999 ! (Rires sur plusieurs bancs du groupe
RCV et du groupe du RPR) On croit rêver ! M. Talamoni, dans
son discours du 28 juillet 2000, rendait hommage à la lutte
des clandestins " quelle que soit la manière "
-vous saisissez le sous-entendu. Dans une interview donnée
à l'Irish Times le 26 août dernier, il déclarait
que la violence et le spectre de la violence ont été
depuis 1975 les adjuvants indispensables de la lutte pour l'indépendance.
Sans doute pensait-il en s'exprimant dans un journal irlandais échapper
à l'attention du ministre de l'intérieur que j'étais
encore à l'époque (Rires sur les bancs du groupe
RCV, du groupe du RPR et du groupe UDF). C'est se leurrer de croire
que les indépendantistes ont renoncé et renonceront
à leur objectif.
A ceux qui ont des yeux pour ne pas voir et peut-être aussi
hélas, des oreilles pour ne pas entendre, je veux lire la déclaration
d'un des leaders du nouveau parti indépendantiste " Indipendenza
" : " le cap vers l'indépendance est mis et
il ne s'arrêtera pas ". La motion de synthèse adoptée
par le congrès de la nouvelle formation précise : "
Indipendenza ne condamne pas la lutte armée clandestine et
comprend les raisons d'une telle démarche ".
La même résolution préconise le combat pour la
corsisation des emplois et n'hésite pas à menacer :
" La plupart des députés ne connaissent rien au
dossier corse. Nous serons très attentifs au prochain débat
". Chers collègues, vous voilà avertis ! Dans le
même temps, des hommes cagoulés et armés distribuent
en plein jour et dans toute la Corse des exemplaires du journal U
Ribellu, célébrant le vingt-cinquième anniversaire
du FLNC, vingt-cinq ans de violences et de meurtres ! Ainsi va le
processus. Mais nous étions déjà avertis par
M. Talamoni : dans Corse-Matin, le 9 février 2001, celui-ci
prévenait : " l'objectif essentiel est d'obtenir la reconnaissance
juridique du peuple corse d'une part, de l'Assemblée de Corse
dotée du pouvoir législatif d'autre part, des instances
internationales ". Les clandestins sont passés maîtres
dans l'art d'une stratégie de dissuasion du faible au fort
qui consiste à faire comprendre au Gouvernement qu'il reste
sous la menace d'une reprise ou plutôt d'une accentuation de
la violence, partout sur le territoire national, et surtout au moment
où la nuisance électorale sera maximale pour le Premier
ministre.
Je ne vous ferai le compte ni des assassinats ni des mitraillages
de caserne, ni des plasticages de bâtiments publics ou de domiciles
privés de fonctionnaires d'autorité ces dernières
semaines. Je me bornerai à évoquer la montée
de la violence raciste anti-maghrébine en Corse, rapportée
par un journal peu suspect de complaisance à mon endroit, Le
Monde, le 20 avril 2001. Sous la plume de Mme Sylvia Zappi, il dénonce
le plasticage d'un foyer Sonacotra, une ratonnade à l'université
de Corte, les menaces proférées à l'encontre
de l'association antiraciste " Ava Basta ", courageuse mais
unique sur l'île. En 2000, le consulat du Maroc à Bastia
a enregistré deux fois et demi plus de départs que les
années précédentes. C'est aussi à cela
que se juge une politique.
Non, mes chers collègues, ce débat parlementaire n'est
décidément pas le fruit d'un " dialogue mené
dans la clarté ", mais celui, délétère,
de la cohabitation et d'un marchandage obscur, lourd de calculs et
d'arrière-pensées. Je suis désolé de devoir
le dire car je sais que cela vous fait de la peine, mais c'est la
vérité (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe
RCV, du groupe du RPR et du groupe UDF).
Ce projet de statut ne permettra en aucune manière de clarifier
les responsabilités dans l'administration de la Corse.
Le projet d'expérimentation législative, objet de l'article
1er ne répond à aucun besoin objectif, à aucune
demande rationnellement argumentée. C'est une concession faite
aux indépendantistes, qui ne renonceront pas pour autant à
la violence. C'est leur permettre de mettre le pied dans la porte,
et d'eux ne viendra qu'une surenchère d'exigences. En votant
ce projet, vous ne pourriez qu'abaisser l'Etat républicain,
le mettre encore un peu plus à la merci de ceux qui, depuis
une génération, piétinent ses lois.
Ce que l'on demande aujourd'hui à l'Assemblée d'examiner,
c'est une loi " jetable ". M. Rossi, dans son enthousiasme,
a proposé à la commission des lois un amendement précisant
que la loi avait une valeur " transitoire " en attendant
la révision de la Constitution ! (Exclamations et rires
sur plusieurs bancs du groupe RCV, du groupe du RPR et du groupe UDF).

|
Quel meilleur signal envoyer aux Corses pour leur signifier
que la loi n'a qu'une valeur relative et que le respect de la loi n'est
qu'une concession provisoire ? Quelle meilleure façon de dire aux
Français que la Constitution n'est qu'une convention précaire,
révisable au gré des opportunités politiques ? |
M. José Rossi - Il s'agit de dispositions
s'inscrivant dans un processus transitoire !
M. Jean-Pierre Chevènement - Flaubert, déjà,
disait que notre époque était une époque de transition
! (Rires)
Quel meilleur signal envoyer aux Corses pour leur signifier que la
loi n'a qu'une valeur relative et que le respect de la loi n'est qu'une
concession provisoire ? Quelle meilleure façon de dire aux
Français que la Constitution n'est qu'une convention précaire,
révisable au gré des opportunités politiques
?
L'ardente obligation du législateur est au contraire de consolider
et de clarifier le rôle de la loi comme expression de la volonté
générale, comme règle partagée de la communauté
des citoyens (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RCV,
du groupe du RPR et du groupe UDF).
Que l'application de la loi ait besoin, dans des domaines comme l'urbanisme
et l'environnement, de modalités définies localement,
élaborées avec la participation des citoyens, négociées
pour être acceptées, c'est le sens même de la décentralisation
et de la démocratie locale que j'ai voulue comme vous et que
j'applique comme maire et cela peut justifier des délégations
du pouvoir réglementaire correspondant à l'exercice
de blocs de compétences précis. Encore faut-il que ces
pouvoirs décentralisés reposent sur un socle commun,
garantissant la pérennité des règles et l'égalité
des citoyens.
La loi doit être la même pour tous : ce n'est pas moi
qui le dis, c'est la déclaration des Droits de l'homme et du
citoyen !
En traitant la loi, non comme l'expression d'une règle commune
et comme l'outil de la volonté collective mais comme un obstacle
juridique à la flexibilité de la gestion des affaires
locales, vous ruineriez le cur même du pacte républicain,
vous abandonneriez les citoyens au maquis des règles locales,
des conventions particulières et des normes internationales
ou européennes, dont vous savez bien qu'elles sont établies
dans la plus totale opacité (Applaudissements sur plusieurs
bancs du groupe RCV et du groupe du RPR).
Vous ne pouvez prétendre ancrer la Corse dans la République
en affaiblissant la République elle-même, en inoculant
au cur de la Constitution le virus de la loi incertaine et provisoire,
de la loi d'intérêt local ! Que vaudra demain l'expression
de la souveraineté populaire, qui seule fonde ici votre légitimité,
face aux juridictions internationales, aux cours européennes
et autres comités de gouvernance ? Que restera-t-il de cette
Assemblée quand elle sera réduite à transposer
des directives et à prendre acte des jurisprudences ? (Applaudissements
sur plusieurs bancs du groupe RCV et du groupe du RPR).
Le projet de loi gouvernemental ne met aucunement un terme à
la dilution des responsabilités, propice à tous les
jeux de mistigri qu'avaient mis en lumière la commission d'enquête
présidée par M. Glavany et la concertation entre l'Etat
et les élus corses, rue de Babylone.
Je n'en prendrai que deux exemples. La multiplication des offices
et agences d'abord. Ces établissements publics avaient été
prévus par le statut de 1991 pour permettre à l'exécutif
d'exercer ses nouvelles compétences. Le constat, dressé
par les représentants de l'Etat qui siégeaient rue de
Babylone, confirmé par M. Baggioni, président du conseil
exécutif, et qui n'a été contesté par
personne, c'est que, loin de jouer ce rôle technique, les offices
et les agences se sont comportés comme des instances supplémentaires
de délibération politique sur les décisions prises
par l'exécutif, obligeant celui-ci à renégocier
sans cesse chacune de ses actions avec tel ou tel groupe de pression.
La suppression des offices et des agences a cependant disparu du projet
du Gouvernement, à la demande expresse de M. Rossi -celui-ci
l'a confirmé lors des débats de la commission.

|
|
M. José Rossi - C'est faux ! C'est une
demande figurant dans l'avis de l'Assemblée de Corse, adopté
par 42 élus sur 51 !
M. Jean-Pierre Chevènement - En la relayant, vous vous
êtes fait le porte-parole des intérêts particuliers
en tout genre, qui ont su trouver dans ces offices des niches propices
à la gestion des clientèles.
Second exemple, particulièrement significatif de la confusion
entretenue par les uns et les autres : l'application de la loi littoral
(" Ah ! " sur plusieurs bancs du groupe du RPR).
Certains élus de Corse ont fait de la loi littoral l'exemple
même du texte législatif qu'il convenait d'adapter aux
spécificités insulaires. Le Gouvernement, informé
des difficultés rencontrées par les services de l'Etat
dans la mise en uvre du droit de l'urbanisme en Corse, avait
demandé aux inspections générales de l'Equipement
et de l'Administration, une enquête comparative sur l'application
de la loi littoral en Corse et dans cinq autres départements
: les Alpes-Maritimes, le Var, les Bouches-du-Rhône, la Charente-Maritime
et le Morbihan.
Il est dommage que l'esprit de transparence n'ait pas conduit le Gouvernement
à communiquer ce rapport aux parlementaires, car il montre
que si la loi s'applique mal, c'est faute de bons instruments d'application.
Les textes réglementaires auraient dû donner aux principes
généraux énoncés par la loi une traduction
concrète, adaptée à la variété
géographique du littoral, au lieu de quoi ils se sont employés
à élargir et à durcir les principes de la loi,
multipliant ainsi les motifs de contentieux, et laissant au juge
administratif le soin de définir par la jurisprudence les critères
d'application de la loi.
Pour sortir de cette situation malsaine, nos inspecteurs généraux
suggèrent au Gouvernement de généraliser la procédure
des directives territoriales d'aménagement, qui permettent
d'adapter à chaque type de littoral les modalités d'application
de la loi.
M. Christian Estrosi - Très bien !

|
Ce qui a conduit le représentant de l'Etat, Claude
Erignac, à rejeter, en janvier 1998, le projet de schéma
d'aménagement, c'est que celui-ci n'avait pas, comme il aurait
dû le faire, dégagé les orientations fondamentales
de la protection, de l'aménagement et de l'exploitation du littoral,
c'est-à-dire arbitré entre des intérêts particuliers
au nom de l'intérêt général. |
M. Jean-Pierre Chevènement - Or, que s'est-il
passé en Corse ?
L'article 59 du statut de 1991 a confié à la collectivité
territoriale l'élaboration d'un schéma d'aménagement,
qui a la même valeur qu'une directive territoriale d'aménagement
après son approbation par un décret en Conseil d'Etat.
L'élaboration de ce schéma s'est trouvée bloquée
lorsque, quelques semaines avant sa mort, le préfet Claude
Erignac a estimé que le projet élaboré par l'Assemblée
de Corse ne pouvait être transmis en l'état et devait
être revu.
La conséquence qu'en tire le projet de loi qui vous est soumis,
c'est qu'il faut court-circuiter le représentant de l'Etat
pour simplifier la procédure ! Mais s'est-on un instant interrogé
sur les motifs de la décision d'un préfet à qui
chacun rend hommage ? (" Très bien ! " sur
plusieurs bancs du groupe RCV, du groupe RPR et du groupe UDF)
La réalité est pourtant simple. Ce qui a conduit le
représentant de l'Etat, Claude Erignac, à rejeter, en
janvier 1998, le projet de schéma d'aménagement, c'est
que celui-ci n'avait pas, comme il aurait dû le faire, dégagé
les orientations fondamentales de la protection, de l'aménagement
et de l'exploitation du littoral, c'est-à-dire arbitré
entre des intérêts particuliers au nom de l'intérêt
général. Les auteurs du projet s'étaient bien
gardés de choisir, pour ne froisser personne, quelles étaient
les zones du littoral à aménager et quelles étaient
celles qu'il fallait protéger.
Au lieu d'encourager les élus de Corse à assumer les
responsabilités que leur confie la loi, on bricole une expérimentation
législative dont les conséquences en matière
de loi littoral effrayent même ces paladins de l'autonomie que
sont M. Mamère et ses amis verts (Rires sur plusieurs bancs
du groupe RCV, du groupe du RPR et du groupe UDF). Quel symbole
manifestera mieux l'affaiblissement de l'autorité de l'Etat
que l'autorisation d'édifier des constructions légères,
c'est-à-dire des paillotes, sur la bande des cent mètres,
tout au long des côtes de la Corse !
M. José Rossi - Ce que vous dites est honteux ! Il est
inadmissible de lier l'assassinat du préfet Erignac au schéma
d'aménagement ! C'est indigne et c'est faux ! (Exclamations
sur plusieurs bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe RCV)
M. le Président - Monsieur Rossi, calmez-vous ! Vous aurez
tout loisir de répondre !

|
Vous vous ne pouvez pas à la fois satisfaire
les indépendantistes qui veulent l'indépendance à
travers le pouvoir législatif, et le Conseil constitutionnel, dès
lors que le Président de la République s'est mis aux abonnés
absents |
M. Jean-Pierre Chevènement - Vous le savez
bien, l'expérimentation législative est vouée
à l'échec. En effet, le Conseil constitutionnel ne manquera
pas d'observer qu'on ne peut pas considérer la Corse comme
une vaste université en étendant à l'île
la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1993, relative à
la loi sur l'enseignement supérieur de janvier 1984. Le Gouvernement
peut bien donner par mille contorsions le sentiment qu'il veut passer
par le chas de l'aiguille pour éviter la censure du Conseil
constitutionnel. Mais à qui fera-t-on croire qu'il suffit de
substituer, dans l'article premier, au mot " adaptation ",
le mot " dérogation " pour changer le fond des choses
? Vous êtes pris dans vos contradictions, car vous ne pouvez
pas à la fois satisfaire les indépendantistes qui veulent
l'indépendance à travers le pouvoir législatif,
et le Conseil constitutionnel, garant en dernier ressort de l'intégrité
territoriale de la République, dès lors que le Président
de la République s'est mis aux abonnés absents, quand
il pouvait intervenir efficacement le 14 juillet 2000, soit deux jours
après la réunion par M. Rossi des présidents
de groupe de l'Assemblée de Corse. On ne peut pas contenter
tout le monde et son père. La censure du Conseil constitutionnel
démontrera ainsi par l'absurde qu'on ne peut décidément
rien faire sans modifier la Constitution -peut-être est-ce,
d'ailleurs, le but recherché
Et c'est ainsi que le législateur, après l'Assemblée
territoriale, après le Gouvernement, après le Président
de la République, est invité à se défausser
de ses responsabilités ! Tel est le constat que dressera, dans
dix ans, la commission d'enquête que vous ne manquerez pas d'élire
pour savoir comment on a pu en arriver là ! (Applaudissements
sur plusieurs bancs du groupe RCV, du groupe du RPR et du groupe UDF)
Ce projet de loi, enfin, s'il était voté, ouvrirait
la voie à des dérives funestes. Qui peut croire de bonne
foi que l'inscription dans la loi de l'enseignement de la langue corse,
alors que jamais la loi n'a fixé les programmes d'enseignement,
soit autre chose qu'un premier pas vers la corsisation des emplois
ouvertement réclamés par le nouveau parti indépendantiste
?
Qui ne craindra une dérive semi-mafieuse de l'île, formidable
gisement de beauté livré aux appétits de quelques
décideurs sous influence, dans un climat de chantage et de
peur ? Les liens entre les clandestins et la mafia italienne n'ont
pas été mis au jour avec assez de diligence, mais ils
existent bel et bien et il suffit de lire l'ouvrage très documenté
de François Santoni et de feu Jean-Michel Rossi " Pour
solde de tous comptes " pour comprendre ce qu'a été
la dérive mafieuse des mouvements clandestins.
Le rapport Glavany l'avait explicitement relevé, l'accaparement
des fonds publics par quelques coteries se réclamant de l'indépendance
est chose bien connue dans la culture, et dans l'agriculture, dans
l'université et dans l'éducation nationale, où
les agrégés d'origine continentale étaient plastiqués
quand j'étais ministre de l'éducation, et où
maintenant plus de deux cents enseignants d'origine corse refusent
d'être mutés sur le continent et obtiennent du Recteur
des affectations provisoires dans l'île.
Qui peut croire que la faiblesse de l'Etat devant le chantage d'une
minorité violente ne servira pas d'exemple à toutes
les féodalités qui veulent substituer le contrat à
la loi ou se tailler des fiefs, qu'il s'agisse des fameux " pays
" trop souvent découpés à la mesure d'un
notable influent ou du territoire d'une banlieue accaparée
par quelques petites bandes ?

|
On parle aujourd'hui de " glocalisation "
pour décrire cet alliage curieux entre la globalisation financière
du monde et l'exacerbation des particularismes locaux. |
Qui peut avoir la naïveté de penser que
ce qui aura été accordé aux Corses ne sera pas
revendiqué demain par les Basques et après-demain par
les Bretons, les Savoisiens, les Alsaciens, -et pourquoi pas- par
les Francs-Comtois ? (Murmures sur les bancs du groupe socialiste)
Ainsi s'engagera un processus de dissociation territoriale destiné
à confluer dans le projet d'une Europe des régions,
sorte de nouveau Saint-Empire juxtaposant les ethnies, à supposer
qu'il ne les hiérarchise pas.
Ecartons de même le prétendu statut particulier des îles
méditerranéennes car il ne s'agit que d'un trompe-l'il
: aux termes de l'article 117 de la Constitution italienne, la Sardaigne
et la Sicile ne peuvent légiférer que dans le cadre
des principes fondamentaux posés par le Parlement italien,
c'est-à-dire dans le champ de ce qui est chez nous, aux termes
de l'article 37 de la Constitution, le domaine réglementaire.
Au-delà de la question corse se pose ainsi la question de la
France comme nation politique, communauté de citoyens capable
de définir à travers le débat républicain
des règles valables pour tous, bref un intérêt
général et un projet.
La France s'est faite avec l'Etat et avec la citoyenneté. Elle
est une construction politique et culturelle qui mêle depuis
le début tous les peuples du Nord et du Sud de l'Europe, et
même depuis le XXe siècle tous les peuples du monde.
Un Français se définit simplement : c'est un citoyen
français, rien de plus, rien de moins : il peut être
noir, jaune, flamand ou franc-comtois, c'est un citoyen français.
Voilà ce qui est en cause. Ce qu'on nous propose c'est de sacrifier
la France républicaine sur l'autel d'une Europe des régions
qui signerait tout simplement la victoire du marché sur le
politique. Je rappelle que vous avez fait Monsieur Rossi de M. Talamoni
le président de la commission des affaires européennes
de l'Assemblée de Corse et qu'il négocie à ce
titre directement avec M. Barnier ou avec M. Prodi qui ne ménage
pas ses encouragements. C'est à se demander si l'histoire ne
bégaye pas !
On comprend que les apôtres de la mondialisation libérale,
tels M. Madelin et d'autres, applaudissent à cette perspective.
Je voudrais être sûr que les tenants d'une prétendue
République " plurielle " qui, au nom d'un girondinisme
mal compris, veulent assurer le triomphe de cette nouvelle Sainte
Trinité que forment ensemble le marché, l'opinion et
les juges, ont pleinement mesuré l'issue inéluctable
de leur démarche : assurer sans contrepoids le règne
de l'argent sur l'ensemble de la société.
Dans cette prétendue République plurielle qu'on nous
vante tous les jours comme un inéluctable et plaisant destin,
le citoyen n'a curieusement plus sa place, ni bien sûr la souveraineté
populaire. L'idéologie molle de la République plurielle
ne fait qu'accompagner la logique des marchés financiers imposant
leurs exigences exorbitantes de rentabilité à tous les
aspects de l'existence. Les grands Etats, ils gênent ; la France
en Europe ? elle gêne : la dérive libérale et
la dérive post-républicaine marchent ainsi de pair.
A ce point, je veux attirer l'attention des députés
de gauche sur l'inconséquence qu'il y aurait à laisser
démanteler la République face au marché mondialisé.
Comment peut-on prétendre équilibrer le marché
par la démocratie, refuser " la société
de marché " comme y invite le Premier ministre, et ne
pas voir en même temps que le capital mondialisé, non
seulement s'accommode de la fragmentation territoriale, mais qu'il
l'encourage et la sollicite ?
Quoi de plus tentant en effet que de mettre en concurrence les territoires,
à travers la recherche de subventions publiques ou au nom du
" moins disant fiscal " ? Les paradis fiscaux ne tombent
pas du ciel, ils sont une création du capitalisme financier
lui-même. Sommes-nous si loin du dossier corse ? Je ne le crois,
hélas, pas. Il y a d'autres îles dont la souveraineté
n'est qu'un paravent, comme l'a fort bien montré une récente
commission d'enquête parlementaire.
Comment ne pas voir que la victoire des ethnismes serait une terrible
régression historique ? Les nouveaux conflits ne se livrent
plus en Europe entre les vieilles nations mais à partir de
mouvements ethnicistes comme l'ETA ou l'UCK.
On parle aujourd'hui de " glocalisation " pour décrire
cet alliage curieux entre la globalisation financière du monde
et l'exacerbation des particularismes locaux. On se garde bien de
rappeler, comme le fait à juste titre Pierre-André Taguieff,
que " le croisement de l'européisme et de l'ethnopluralisme
a déjà eu un laboratoire historique : l'entreprise de
création d'un ordre nouveau en Europe il y a soixante ans ".
Rappelez-vous de la légion Wallonie ! Il existe à la
devanture de nos librairies toute une littérature d'extrême-droite
pour chanter l'Europe des régions ethno-raciales ; la saga
des patries charnelles. Je renvoie non pas à Drieu, qui anticipait,
mais à Saint-Loup, vendu à des dizaines de milliers
d'exemplaires ! Dans cette Europe des ethno-nationalismes, on comprend
que les indépendantistes corses se retrouvent pleinement !
On comprend moins bien la pulsion de démocrates sincères
qui, comme le directeur du Monde, M. Jean-Marie Colombani, propose
de " déverrouiller l'organisation du territoire pour faire
de chaque région, de chaque métropole un atome français
d'Europe ". Cette vision méconnaît le sens
profond de notre Histoire, et à quel point l'unité française
est d'abord une unité politique. Elle déséquilibrerait
l'Europe qui a besoin d'une France forte pour équilibrer la
puissance recouvrée de l'Allemagne et cela, dans l'intérêt
de l'Europe et de l'Allemagne elle-même.
Les valeurs de la République, laïcité, égalité,
n'ont pas fait leur temps même si les libéraux ont toujours
voulu confondre l'égalité avec l'uniformité !
Elles ont encore du chemin à parcourir en Europe et dans le
monde. C'est pourquoi nous devons résister à tous ceux
qui, pour hâter le démantèlement de la nation,
la démonisent, en cherchant, jour après jour, à
discréditer et à ringardiser la France.
Notre pays a encore un grand rôle à jouer, non seulement
pour équilibrer l'Europe mais aussi pour l'ouvrir vers le Sud.
C'est dans cette perspective que la Corse française et républicaine,
celle à laquelle sont attachés 90 % des Corses, trouvera
un avenir digne d'elle.
Nos compatriotes corses sont d'abord des citoyens. Ils ont besoin
d'être respectés et traités en citoyens. La Corse
a besoin de l'Etat républicain. Elle n'a pas seulement besoin
de notre solidarité financière, elle a aussi et surtout
besoin d'une France dans laquelle elle puisse se reconnaître,
d'une France qui porte un projet pour elle-même, pour l'Europe
et pour le monde.
Une nouvelle loi n'est pas nécessaire pour ancrer la Corse
dans la République. Elle y est depuis la venue de ses représentants
à la fête de la Fédération de 1790.
Certes, les malentendus et les crises se sont multipliés depuis
vingt-cinq ans, accentués par les surenchères entre
la droite et la gauche, les divisions dans l'appareil de l'Etat, les
hésitations et les changements permanents des politiques gouvernementales,
offrant un terrain propice à toutes les démagogies.
Il ne s'est pas passé trois ans d'affilée depuis 1981
qu'une même politique ait été suivie, sans changement
de cap. Nul ne conteste, ni ici, ni en Corse, que l'île ait
besoin d'investissements publics et d'un vigoureux soutien à
l'investissement privé pour rattraper son retard de développement.
Mais qui peut croire de bonne foi qu'on rapprochera les Corses de
la République en vendant à crédit à quelques-uns
d'entre eux la chimère d'un pouvoir législatif s'exerçant
sur une île d'à peine 250 000 habitants ?
En vous invitant à ne pas débattre de ce texte, je ne
plaide pas pour autant pour le statu quo en Corse. Ma position, telle
que je l'ai maintes fois exposée, a toujours été
en faveur de réformes audacieuses et de mesures permettant
à la collectivité territoriale d'assumer pleinement
sa responsabilité.
Mais la dévolution de blocs de compétences et de pouvoirs
réglementaires correspondants n'a de sens que si les institutions
de l'île sont gouvernables. Tel n'est pas le cas et le serait
de moins en moins, si ce texte lourd de sous-entendus et d'engagements
implicites, lourd de graves dérives, était voté.
Pour toutes ces raisons, je vous invite à ne pas abdiquer le
pouvoir de faire la loi, qui n'appartient qu'à vous. L'histoire
ne retient le souvenir que des parlementaires qui savent dire non
dans un vote historique. En votant la question préalable et
en refusant de débattre, vous servirez la République
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RCV et du groupe
du RPR).

|
|
M. José Rossi - Je souhaite présenter
un rappel au règlement sur la base de l'article 58, alinéa
1, dans la mesure où M. Chevènement a tenu des propos
qui portent directement atteinte à la dignité des élus
insulaires et au crédit de l'Assemblée de Corse.
M. le Président - Je vous autoriserai à faire
un rappel au règlement après le vote de la question
préalable.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur - J'ai écouté
avec la plus grande attention le propos de M. Chevènement,
qui ne m'a du reste guère surpris et où je n'ai trouvé
aucun argument susceptible de me faire changer d'avis ! Je n'ai pas
davantage l'intention, Monsieur le député, de polémiquer
avec vous. Le Gouvernement -et vous en étiez- s'est saisi d'un
problème auquel notre pays était confronté depuis
trop longtemps et vous avez vous-même participé à
la rédaction d'un certain nombre de dispositions que je défends
aujourd'hui. Notre objectif essentiel est de régler les problèmes
qui restent en suspens et de trouver les voies et moyens du règlement
de la question corse dans la transparence et dans le respect de l'unité
de la République.
La grandeur de la gauche (Murmures sur les bancs du groupe UDF,
du groupe du RPR et du groupe DL) est de faire appel à
la responsabilité des élus républicains, dans
le cadre d'une décentralisation à laquelle j'avais compris,
Monsieur le député, que vous adhériez ! S'agissant
de la Corse, l'organisation territoriale doit en outre être
adaptée à la spécificité de l'île.
Le processus porte ses fruits. Il devra se poursuivre, conformément
aux engagements, et, évidemment, si les conditions sont réunies,
parmi lesquelles figure le rétablissement de la paix civile.
Ceux qui soutiennent le texte, Monsieur le député, sont
tous des républicains, et je tiens à vous le dire :
vous n'avez pas le monopole de la République.
J'ai trouvé les Corses très absents de votre intervention.
Pour ma part, je souhaite que ce projet, qui colle au cadre constitutionnel
-dont le Gouvernement ne souhaite pas s'éloigner-, permette
à la Corse, grâce à l'évolution du statut
et à une politique de développement et de responsabilité
des élus, de s'enraciner dans la République, dès
lors qu'on aura reconnu sa spécificité et qu'elle sera
apaisée.

|
|
M. Pierre Lellouche - " Apaisement " est bien le mot
M. le Ministre - Vous avez dispensé les bons et les mauvais
points, y compris à des fonctionnaires et à des élus.
Ce n'est pas la vision que j'ai de la République. Etre républicain,
c'est d'abord savoir rassembler plutôt que diviser (Applaudissements
ironiques sur les bancs du groupe du RPR). Tracer un chemin pour
la Corse dans la République, c'est pour les parlementaires une
manière de ne pas renoncer à faire la loi, pour le bien
du pays et l'intérêt général. Au nom du Gouvernement,
j'appelle donc à repousser la question préalable (Applaudissements
sur les bancs du groupe socialiste).
M. le Président - Sur la question préalable, je
suis saisi par le groupe RCV d'une demande de scrutin public.
M. Pierre Albertini - Nous ne partageons pas les conclusions
de M. Chevènement, même si nous partageons certaines de
ses inquiétudes. La première concerne -point fondamental-
le maintien de la Corse dans la République. La deuxième
porte sur le nécessaire retour à l'état de droit,
qu'appellent les Corses eux-mêmes. Je m'exprime en tant que citoyen
français, et fier de l'être -car c'est partager une communauté
de destin, d'histoire, et surtout, Monsieur Chevènement, d'avenir-
mais qui est fier aussi d'assumer ses origines corses. Vous avez conclu
qu'il n'y avait pas lieu de délibérer sur la Corse.
M. Jean-Pierre Chevènement - Sur ce projet !

|