Taxe antisociale
Le gouvernement étudie une augmentation de la TVA pour financer la protection
sociale.
Par Liêm Hoang-Ngoc, délégué national à l’économie du Parti socialiste.
QUOTIDIEN : lundi 30 juillet 2007
Eric Besson a été chargé par Nicolas Sarkozy d’évaluer les effets du basculement
vers l’impôt du financement de la sécurité sociale. Une telle réflexion n’est
pas hors de propos car la santé appartient au champ de la solidarité nationale
et des dépenses universelles (elles bénéficient à chaque citoyen et pas
seulement au salarié). Celles-ci, en tant que telles, doivent donc être
financées par l’impôt et non par la cotisation sociale. Cette réflexion s’impose
a fortiori car l’actuel système de financement des dépenses sociales est injuste
et pénalisant pour l’emploi.
A cet égard, l’ex-secrétaire national en charge de l’économie du Parti
socialiste n’a pas pu oublier que le chantier d’un financement «moderne» de la
protection sociale est un de ceux où la gauche est particulièrement en avance.
La création d’un grand impôt citoyen progressif sur le revenu (à partir de la
fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu), proposée par les socialistes, est
le moyen le plus juste de faire participer chaque citoyen à la solidarité
nationale selon sa faculté contributive.
Cette solution évite d’augmenter la TVA ou de multiplier franchises et
déremboursements. Le PS propose d’autre part de remplacer les cotisations
patronales par une sorte de CSG entreprise, assise sur la valeur ajoutée (plus
favorable aux petites entreprises de main-d’œuvre). Cette contribution sur la
valeur ajoutée, mettant à contribution les profits, n’a rien à voir avec la TVA,
qui taxe le consommateur au premier centime d’euro. Ces propositions sont
malheureusement exclues du champ de l’évaluation du gouvernement, qui envisage
un seul scénario de fiscalisation : le remplacement des cotisations par une
hausse de la TVA dont le taux serait majoré de 3 à 5 points. Eric Besson a bien
pris soin, comme il le faisait jadis, de ne pas trop se mouiller en attendant
les «arbitrages», en désignant trois «experts» : un «pour» (Michel Didier de
Rexecode, institut de recherche du MEDEF), un présumé «contre» (Jean-Paul
Fitoussi de L’Observatoire français des conjonctures économiques) et un «dans le
vent», Gilbert Cette de la Banque de France.
Défendue par le sénateur Jean Arthuis, proche de François Bayrou, cette mesure
s’inscrit dans la compétition fiscale, lancée par la «grande coalition»
allemande, qui a récemment augmenté de 3 points la TVA, réduit l’impôt sur les
sociétés et abaissé les cotisations sociales. La réduction des coûts de
production permettrait aux entreprises de baisser leurs prix sans entamer leurs
marges.
La hausse de la TVA renchérirait quant à elle les importations et freinerait
l’intérêt à délocaliser. Cette TVA serait «sociale» parce que les travailleurs
sont présumés doublement gagnants, premièrement sur le terrain du pouvoir
d’achat (grâce à la baisse des prix), deuxièmement sur celui de l’emploi (grâce
aux délocalisations évitées). Malheureusement, la TVA est la solution la plus
injuste socialement et la plus discutable quant à ses effets macroéconomiques.
Le système fiscal français est déjà faiblement redistributif, en raison du poids
des impôts non progressifs (TVA, CSG.). La part de l’impôt progressif sur le
revenu dans les recettes fiscales n’est que de 17 % alors que le poids de la TVA
est de 51 % ! Les pauvres la paient au premier centime d’euro dépensé.
Les 10 % des ménages les plus pauvres consacrent 8 % de leur revenu au paiement
de la TVA. Les 10 % des ménages les plus riches ne lui concèdent que 3 % de leur
revenu. La hausse de la TVA rendra l’impôt encore plus injuste en reportant sur
les ménages modestes une part croissante du financement du budget social. Les
effets pervers d’une hausse de la TVA sont évidents. Malgré la «baisse des
charges», personne ne baissera les prix, ni les grandes entreprises
monopolistiques, sommées par leurs actionnaires de maximiser leurs marges, ni
les PME, étranglées par leurs donneuses d’ordre. Les baisses de cotisations
sociales qui se sont déployées depuis 1993 n’ont aucunement enrayé la «vie
chère» et ont occasionné de faibles créations nettes d’emplois.
La hausse de la TVA sera donc répercutée sur les prix, tout comme lors de la
précédente augmentation de deux points, opérée par Alain Juppé en 1995. Elle
déprimera à nouveau le pouvoir d’achat et cassera la consommation, actuellement
le seul moteur de la croissance. Si les salaires s’indexaient sur l’inflation,
l’effet recherché sur la compétitivité serait nul. La Banque centrale européenne
(BCE), dont l’œil est rivé sur l’indice des prix, relèvera une fois de plus ses
taux d’intérêt. La croissance ralentie amenuisera les recettes fiscales, de
surcroît entamées par les baisses d’impôts directs. Les déficits se creuseront
et seront prétextes à de nouvelles restrictions budgétaires en matière de
redistribution. Il en résultera une aggravation du chômage et une montée des
inégalités.
La hausse de la TVA allemande a relancé en un trimestre l’inflation de 0, 5
point et freiné la consommation intérieure. La stratégie allemande est en
apparence gagnante sur le terrain commercial parce que les industries d’outre-Rhin
sont spécialisées sur des créneaux «hors coût» qui leur garantissaient déjà des
débouchés mondiaux. La réforme fiscale permet surtout aux actionnaires allemands
de bénéficier de dividendes en hausse. Si tous les pays européens s’engageaient
dans cette stratégie de «désinflation compétitive», le jeu serait à somme nulle.
Aucun gain de part de marché de part et d’autre, mais un marasme économique
généralisé qui condamnerait une fois de plus le projet européen auprès des
peuples.
Enfin, il est tout aussi illusoire de penser qu’une hausse de la TVA permettrait
de lutter contre les délocalisations. Pour cela, l’Europe doit utiliser le tarif
extérieur commun et réorienter la politique menée par la BCE, défavorable aux
industries européennes. Pour lutter contre le dumping social, source de
délocalisations intra-européennes, l’Europe doit accroître ses fonds structurels
et favoriser l’harmonisation des normes fiscales et sociales. Ces choix seraient
sérieusement compromis par la ratification d’un minitraité, consacrant un super
marché européen à 27 et sonnant le glas d’une Europe politique à même de
maîtriser les effets pervers du libre-échange.
Auteur de Vive l’impôt!, Ed. Grasset.
http://www.liberation.fr/rebonds/269680.FR.php