Travail illégal : «Hortefeux entretient la confusion»
François Brun, chercheur, revient sur les propos du ministre de l’Immigration :
Par SONYA FAURE
QUOTIDIEN : mardi 31 juillet 2007
Le gouvernement répète depuis quelques semaines son nouveau credo : lutter
contre le travail des sans-papiers. Hier, le Parti socialiste évoquait une
«chasse aux sorcières». Et mettait au défi le gouvernement de «s’attaquer aux
vraies racines de l’immigration clandestine». Dans le Parisien d’hier, le
ministre de l’Immigration, Brice Hortefeux, a encore insisté sur «sa
détermination totale». François Brun, du Centre d’études de l’emploi (CEE),
revient sur quelques-unes de ses affirmations.
Le gouvernement parle de 200 000 à 400 000 étrangers clandestins en France. Ces
chiffres sont-ils fiables ?
Notons déjà que l’écart entre ces deux chiffres est considérable. Mais même avec
une fourchette si large, il est assez imprudent de vouloir chiffrer le nombre de
sans-papiers en France ou ailleurs. Un récent rapport d’Eurostat, l’office de
statistiques européen, a montré que les mesures de l’immigration irrégulière
avaient partout des degrés d’imprécision considérables. Ce que souligne en
revanche cette estimation c’est, en regard, la goutte d’eau que représente le
passage de 20 000 à 25 000 environ du nombre d’étrangers reconduits à la
frontière. Les mesures du gouvernement, au-delà des gesticulations, ont des
conséquences humaines dramatiques pour ceux qu’elles frappent et leurs familles,
mais leur impact économique est minime : on n’est pas prêt de se priver des
services rendus à des pans entiers de l’économie par les sans-papiers !
Selon Brice Hortefeux, 10 000 personnes ont été contrôlées depuis janvier, 275
employeurs et 536 étrangers interpellés.
Il entretient la confusion en mettant sur le même plan les employeurs et les
employés. Mais dans le droit français, seuls les employeurs peuvent être
poursuivis pour travail dissimulé ; les employés, eux, en sont les victimes !
C’est si vrai que l’article L.341-6-1 prévoit que l’étranger employé
irrégulièrement est «assimilé, à compter de la date de son embauchage, à un
travailleur régulièrement engagé en ce qui concerne les obligations de
l’employeur relatives à la réglementation du travail.» Le ministre veut-il alors
dire que 536 étrangers ont été interpellés pour séjour irrégulier à l’occasion
de ces contrôles ? Ou tente-t-il plutôt d’inventer insidieusement un délit
d’exécution d’un travail illégal ? En 2003 déjà, Nicolas Sarkozy avait réussi à
faire voter un article à l’Assemblée nationale en première lecture, selon lequel
les étrangers qui travaillent sans autorisation de travail pouvaient être
poursuivis et sanctionnés pénalement. Avant de reculer face à une levée de
boucliers.
Le ministre dit vouloir responsabiliser les employeurs : depuis le 1er juillet,
ceux-ci doivent saisir les préfectures pour qu’elles vérifient les titres de
séjour des candidats au poste à pourvoir.
Il ne s’agit que d’un décret d’application de la loi du 25 juillet 2006. Il n’y
a donc pas là d’innovation considérable. Comme les récentes décisions de
justice, plus sévères (1), cette nouvelle obligation accentue la pression sur
les employeurs, au moins les sous-traitants et les petites sociétés, car pour
les donneurs d’ordre, c’est une autre affaire. Mais beaucoup prendront encore
sans doute le risque d’embaucher un sans-papiers, compte tenu du bénéfice qu’ils
en tirent.
Brice Hortefeux justifie sa politique en disant que les premières victimes de
l’immigration clandestine sont les étrangers «légaux». Est-ce légitime ?
C’est un grand classique : on sait que la grosse majorité des sans-papiers
travaillent. Ils sont en effet très «attractifs» pour des patrons qui par le
biais des horaires qu’ils imposent et du travail à la tâche, parviennent, en les
employant, à abaisser considérablement le coût du travail. Le même mécanisme
joue d’ailleurs pour les étrangers réguliers dotés d’un titre de séjour
précaire. Et ce qui est exact, c’est que les étrangers dotés d’un titre de
séjour durable, exposés à la conjonction des discriminations et du dumping
social provoqué par la politique migratoire, en pâtissent également.
(1) Le responsable d’une des plus grosses entreprises de BTP de Bretagne a été
condamné il y a dix jours à dix-huit mois ferme pour «travail dissimulé» après
avoir employé des ouvriers turcs en situation irrégulière.
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