Fondation Res Publica - Fondation de recherche reconnue d'utilité publique par décret du 30 décembre 2005 - République, mondialisation, dialogue des civilisations et des nations - www.fondation-res-publica.org
Politique étrangère : priorités
Par Alain Dejammet
Ne pas
dissocier la « politique étrangère » de la « politique » tout court. La «
politique » est la gestion courante de la « chose publique », la république
dans laquelle nous vivons et, dans un monde qu'il est banal de dire «
mondialisé », c'est-à-dire ouvert à tous les vents, affaires extérieures et
intérieures se tiennent. Tout projet, tout programme doit donc prendre en
considération l'état de nos voisins ou de nos lointains cousins. Evidence
moins répandue qu'il n'y paraît. La mondialisation ou plus exactement la
juste conscience de la mondialisation consisterait à agir en tenant compte
des effets sur autrui de ses actes en prévoyant donc en amont conséquences
et réactions de ce qui est encore aujourd'hui l'étranger. Exemple : Il était
sage de la part de la France d'imaginer ce qu'une invasion militaire de
l'Irak risquait de susciter (terrorisme, guerre civile, hausse des prix de
l'énergie, montée en puissance de l'Iran) et de s'éloigner de cette funeste
opération.
La priorité apparente d'un gouvernement, c'est de traiter les affaires comme
elles viennent, toutes graves, toutes urgentes, les crises. Et bien sûr, il
faut le faire. Mais la priorité des priorités est de réfléchir lucidement à
l'avenir, d'avoir à vie humaine une vision des chances mais aussi des
risques, sur le temps au moins d'une génération, et d'en tirer les leçons.
De ce point de vue, simple mais exigeant, la première priorité est de
prévoir les principaux défis qui s'imposeront à notre pays et réfléchir,
travailler dès à présent à les relever.
Trois défis, trois conséquences.
Le premier défi est celui de l'empire du
marché et de sa conséquence mécanique, compte tenu de la
disparité des coûts de production : le passage destructeur et aveugle d'une
économie réelle à un économie hypothétique de niches virtuelles et de
rentes.
Si la concurrence absolue est laissée libre cours, les écarts de population,
de protection sociale et de charges de production sont tels à travers le
monde que tout notre système de création de biens réels sera jeté bas. Les
ateliers, les services seront délocalisés, mais les rentes, accaparées par
quelques fonds, ne reviendront pas longtemps vers ceux que l'on licencie. Et
que l'on ne nous dise pas, sur le ton de la suffisance intellectuelle, que
la France et d'autres peuvent, à raison de leur extrême sophistication,
conserver à l'avenir quelques niches de haute technologie, l'interrupteur en
céramique plutôt que l'assiette en porcelaine, la robe du soir
époustouflante plutôt que le bleu de travail. Ces « niches » auront un
temps, court. Tout ce que nous faisons, de la centrale nucléaire, de
l'Airbus, du train magnétique allemand à la nanotechnologie peut être fait à
terme (cinq, dix, quinze ans) par un Chinois, un Indien, un Brésilien, un
Africain. La réalité des réalités, c'est de ne pas se croire plus malin que
les autres.
Conséquence : on peut projeter l'image d'une France, dans trente ou
cinquante ans, terre de tourisme, parcourue de retraités et de randonneurs,
monde d'hôtels, de logis campagnards, de cafés, de sympathiques plagistes,
moniteurs de ski, serveurs de restaurant, gardiens de musée. Tout cela est
bel et bon jusqu'au jour où Japonais et Chinois se lasseront des châteaux de
la Loire, du Luberon et de l'Ile de Ré, et préfèreront ce qui reste de la
banquise arctique et des sables du Sahara.
Soyons donc réalistes : Exaltons comme tout le monde les vertus du marché
mais d'un marché qui ne soit pas structurellement inégal, un marché dont les
acteurs ont à peu près les mêmes chances, les mêmes changes, les mêmes
avantages. Il n'est pas illogique ni immoral que les pays qui ont fait
progresser l'humanité en améliorant les conditions de vie des populations
s'emploient à généraliser et préserver cet « acquis » (pour parler comme
autrefois on parlait dans la Communauté Européenne).
Etre réaliste, c'est ne pas céder à l'économie-fiction, à la fiction tout
court. Croit-on vraiment qu'un pays tout entier puisse vivre d'une économie
virtuelle, faite de simples échanges d'informations, de communication, ou
même de services, financiers, bancaires, assurances ? Le tout, très excitant
à décrire devant son écran d'ordinateur, sera, une fois de plus à la merci
d'une soudaine et meilleure performance venue par rafales d'Asie, d'Afrique
ou d'Amérique latine. Quitte à parler de bien immatériel, constatons que le
travail productif, industriel, agricole, est aussi une valeur indissociable
encore de notre mode de vie. L'Allemagne, si souvent citée, en est aussi
l'exemple. Les contempteurs d'une France laborieuse nous opposent les taux,
placements, rendements d'un modèle britannique ou américain. Opposons leur
la réalité d'une France qui ne se borne pas à communiquer et à facturer et
qui ne renonce pas à manufacturer. De ceci dérive, on le sait, une exigence
: celle que l'économie, c'est-à-dire la vie d'un pays, ne soit pas
abandonnée aux seuls calculs des gestionnaires de fonds et aux commentaires
apitoyés des experts, mais qu'elle soit barrée par des équipages
démocratiques, donc élus, volontaristes, bien décidés à remettre de l'ordre
dans le désordre des monnaies et à sauver, quand l'équilibre d'une région
l'exige, les gisements de ressources et de travail.
Le deuxième défi est celui de l'énergie.
On en parle. On subit soudain les emballements de prix du pétrole. On
s'affole. On court à Bruxelles consulter un livre qualifié de « vert » pour
faire écolo. Mais on n'y trouve pas, alors que tant célèbrent l'Europe qui a
réponse à tout, de « politique énergétique ». Chacun pour soi, le libre
faire l'emportant, et de loin, sur les jalons de ce qui serait une
authentique et pragmatique « construction européenne ». Etre sérieux en ce
domaine, c'est admettre que nous n'avons ni pétrole ni gaz mais
qu'heureusement une politique volontaire nous dota à temps d'un fort
potentiel nucléaire. Gardons celui-ci, accroissons le, perfectionnons le (en
s'attaquant surtout au problème de l'élimination des déchets). Mais restons
clairvoyants. La France ne fonctionnera pas de sitôt aux rayons de Phébus,
aux bourrasques de vent, aux vapeurs du purin, au jus de tournesol. Charbon,
pétrole vont encore longtemps rester nécessaires ; une génération au moins.
Où sont-ils ? En Chine qui s'en repaîtra seule ; en Afrique ; au Moyen
Orient ; en Europe, c'est-à-dire pour ceux qui veulent l'ignorer, en Russie.
De ce constat physique suit une conséquence froide. Il faut garder un accès
aux ressources énergétiques de ces régions et pays. On voit assez les effets
en matière de politique étrangère. Peu chaut que l'angélisme souffre. Mais
l'important sera de combiner des approches appelant au respect et au
contrôle du respect des droits de l'homme et l'accès garanti à long terme au
pétrole, au gaz russe ou moyen-oriental. Il y va du legs à la génération
suivante d'un mode de vie convenable.
Le troisième défi, on le voit
bien, est celui de la réflexion sur les
paramètres acceptables, à vingt ou trente ans, d'un mode de vie sage,
c'est-à-dire de l'équilibre à ménager entre consommation d'énergie et
protection de l'environnement.
Relever ce défi exige d'abord un effort technologique national, justiciable,
une fois de plus, d'une action volontaire. Qui jugerait encore rentable, si
l'Etat n'était pas là, d'élever des parcs d'éoliennes, de poursuivre les
travaux sur l'énergie solaire, celle des marées ? Qui, si l'Etat ne se
décidait un jour à y mettre obstacle, résisterait à la course stupide à
l'embonpoint des voitures, aux prétentions de ces S.U.V. à sillonner
Saint-Germain-des-Prés comme à transporter de malheureux marines
patrouillant à Bagdad ? Mais la dimension internationale, diplomatique est
tout aussi importante puisque les frontières n'arrêtent ni le vent, ni le
soleil, ni le CO2. Il y a là beaucoup à faire. Deux certitudes : si nous ne
prévenons pas à temps les grands pays émergents du risque d'adopter le
modèle de consommation occidental actuel, qui devra impérativement changer,
cette planète est perdue. L'Agence des Nations Unies chargée de ces
problèmes a-t-elle été efficace, suffisante ? La réponse est évidemment non.
C'est marquer la direction des efforts multilatéraux à entreprendre.
Voici donc les trois défis qui portent sur le moyen et long terme mais que
nous devons avoir à l'esprit dès aujourd'hui : préserver l'équilibre de la
société française et maintenir en particulier sa capacité manufacturière. Ne
pas attendre des miracles en matière énergétique et donc compter sur les
ressources là où elles se trouvent ainsi – tâche plus difficile – que sur
les gouvernements de ces régions. Faire de l'écologie comme Monsieur
Jourdain fait de la prose mais en convaincre les derniers arrivants, plutôt
goulus, au banquet de la consommation.
* * *
Dans l'immédiat, les mois qui viennent, ce sont cependant les questions du
jour qui mobiliseront la réflexion : Europe, Afrique, Moyen-Orient,
puissances émergentes, Nations Unies.
Quelle priorité ?
Le sujet quotidien sera bien sûr l'Europe
parce que, jour après jour, se présenteront les échéances, le calendrier
qu'il faut honorer et qui, vite, glouton, avale tout : réunions innombrables
de Bruxelles, du Luxembourg, de Strasbourg, binômes, triangles, dialogues,
sommets etc. Le sujet qui presse, c'est bien celui-ci : la vie quotidienne
de l'Europe. Vivons la, prosaïquement à la manière de beaucoup des
partenaires dits sérieux de l'Europe, les Hollandais, les Luxembourgeois…,
sans chaise vide, sans effets de manches et d'annonce. Gardons nous bien, on
l'aura compris, de replonger tête baissée dans le potage amer d'une
redélibération d'une Constitution qui n'était ni réclamée ni aimée.
Ce Traité n'était pas bon. Il fut l'œuvre d'une élite, sans doute savante,
peut-être bien intentionnée mais qui, comme il arrive dans le feu des
cuissons, perdit ses bases. Il a été rejeté ! Ne perdons pas notre temps à
en recoller les morceaux. L'Europe économique et sociale que l'on imagine ne
tient pas dans les chapitres actuels, reflets de la pratique passée, sur les
politiques. Mais les titres institutionnels ne sont pas non plus la bonne
recette. Ils tendent à guinder l'Europe, à lui placer carcan alors que
celle-ci, élargie surtout de nouveaux pays, se forme pragmatiquement, par
expériences. Deux exemples : si les règles du Traité avaient prévalu, une
majorité aurait contraint, en 2003, l'Allemagne, la Belgique, la France, à
suivre l'engouement anglais pour l'invasion de l'Irak, sauf à faire jouer la
clause d'intérêt vital. Et l'Europe se serait compromise durablement dans la
plus grave erreur politico-militaire de ce début de siècle.
Que l'on ne nous dise pas que le Traité jetait les bases d'une Europe
puissance, d'une Europe de la défense. Les chantres du Traité n'ont jamais
osé citer in extenso le
paragraphe 7 de l'article du Traité relatif à la politique de sécurité et de
défense commune qui dit, explicitement, que
« l'Organisation du Traité de l'Atlantique
Nord reste, pour les Etats qui en sont membres, le fondement de leur défense
commune et l'instance de sa mise en œuvre ». Si l'OTAN, avec son
commandement militaire américain est reconnue par les Européens, par leur
propre Traité, comme « l'instance de la
mise en oeuvre de leur défense commune », quelle place, quel rôle
reste-t-il pour une politique et une entreprise de défense propres aux
Européens ? La supériorité du Traité de l'Atlantique Nord est tout
simplement consacrée et scellée dans le projet rejeté de Constitution
européenne.
Que l'on ne dise pas non plus qu'il faut à tout le moins sauver la
protection des droits de l'Homme et donc la Charte des droits fondamentaux.
Avec une petite différence : Certains textes de la Convention, notamment en
matière de laïcité, sont plus précis et satisfaisants.
Ne nous hâtons donc pas de remettre l'ouvrage sur l'établi. Concentrons-nous
sur les problèmes urgents à régler, sur les projets pratiques à
configuration variable, à poursuivre ou forger. Les programmes
d'infrastructure, les choix énergétiques, l'avenir à donner à la recherche,
à l'éducation s'imposent. Prenons à bras le corps la responsabilité d'une
politique de l'euro au lieu de laisser les Etats-Unis achever, à coups de
dollar faible, de nous chasser des marchés extérieurs. Soyons d'autant plus
concrets, décidés, que nous ne perdrons pas notre temps à sombrer dans la
schizophrénie, à baptiser un Ministre des Affaires étrangères alors qu'aucun
ministre de l'Union Européenne ne renonce à parler au nom de son pays à New
York, aux Nations Unies, alors que Monsieur Solana n'a pas vraiment compté
dans le dernier cessez-le-feu arraché par la France, cet été, au Liban.
L'Europe, donc, au quotidien, preuve de notre application, à l'écart des
débats et ratiocinations constitutionnelles qui viendront à leur temps quand
une volonté commune européenne, une «
affectio societatis », comme diront alors les juristes, se sera
mieux dégagée.
Mais la réalité du monde, en dehors de cet exercice obligé et permanent,
exige, de la France en particulier, un effort exceptionnel, face à deux
régions : l'Afrique et le Moyen-Orient.
Plaçons l'Afrique avant le Moyen-Orient,
et ceci en dépit de l'insistance médiatique qui braque l'attention sur l'Est
méditerranéen et le Golfe.
Plaçons l'Afrique en tête de nos préoccupations et d'un calendrier
d'actions.
Parce que l'Afrique, à terme un continent d'espoir (population ouverte
croissante, dynamique, richesses évidentes) est aujourd'hui un foyer
tragique de tensions et de guerres.
A nos portes, l'Afrique est à notre heure, à la portée aussi, peut-être
d'efforts français et européens :
- Pour tenter de régler les conflits qui la déchirent – et qui traînent – de
la Sierra Leone, de la Côte d'Ivoire à la Somalie, en passant par la
République Centre Africaine, la République Démocratique du Congo, le Tchad,
le Soudan… la France est engagée, diplomatiquement, militairement.
L'exercice est dangereux, tel qu'il est déjà apparu en Côte d'Ivoire. Il
doit être en permanence apprécié, réévalué mais l'enjeu est le retour à une
certaine stabilité, c'est-à-dire très simplement l'arrêt des combats
meurtriers. Il veut que l'implication française, qui n'est pas contestée, se
poursuive à la double condition que tous efforts soient également tentés
pour amener à côté de nous, comme en RDC, des forces européennes, et qu'en
dehors des accords stricts de défense, la caution des Nations Unies soit
donnée pour légitimer, comme en Côte d'Ivoire, RDC, Soudan, le recours à la
force.
- Pour ordonner le développement économique de l'Afrique. Les ressources
européennes et africaines ne sont pas concurrentes. La perspective d'une
relation équilibrée où l'Europe se pourvoit en priorité en Afrique de
plusieurs matières premières et produits de base, du pétrole, bois, au coton
alors que l'Afrique continue de s'ouvrir à la technologie et aux biens
d'équipement ou aux services européens, est raisonnable. Elle supposerait
des accords. Elle impliquerait que l'on redonnât vie aux anciens fonds de
stabilisation des recettes africaines d'exportation. Elle supposerait donc
un écart par rapport aux impératifs les plus intransigeants d'une libération
radicale des marchés. Au nom de ce dernier principe, des entreprises
chinoises arrachent des marchés de matières premières mais exportent
également des systèmes entiers de production (usines et main d'œuvre venues
de Chine) qui ruinent les industries locales. Déjà plusieurs pays et régimes
regimbent devant les signes d'une nouvelle exploitation de l'homme et du sol
africains. Il y a place pour une approche inédite de la France et des
Européens qui souhaiteraient s'y associer.
- Pour tenter d'asseoir un nouveau système, plus réaliste, d'institutions
politiques et de défense des droits de l'Homme. Chacun sait bien, en
Afrique, que la démocratie ne règle pas tout si l'élection porte au pouvoir
une équipe qui accaparera les ressources du pays et amènera l'opposition,
ainsi rejetée, à recourir aux armes. Il faut donc aider à prôner le partage
du pouvoir de sorte que toutes les familles politiques jouent le jeu des
élections, sans crainte de tout perdre. Pareillement faut-il encourager
toutes formes de défense des droits de l'Homme et donc de justice pour les
coupables de violations. Mais l'Europe et la France ne peuvent rester
insensibles à la manière, propre aux Africains, dont ils ont réglé ou
cherchent encore à régler les situations d'après conflit, en préférant
parfois, comme en Afrique du Sud, l'établissement de la vérité puis le
pardon à la punition. Etre proche de l'Afrique, c'est aussi l'écouter et ne
pas l'astreindre à suivre nos verdicts.
Pour agir ainsi face à l'Afrique, la France et les Européens doivent changer
d'approche et de rythme. L'Afrique, ou plutôt telle ou telle crise, ne sont
pas un point de l'ordre du jour, coincé entre des thèmes plus médiatiques,
lors d'une réunion de Bruxelles. L'Afrique ne doit pas être non plus le
parcours sans cesse rebattu de voyages-éclair, mi-politiques,
mi-humanitaires où s'encombrent dans les antichambres, les délégations
nationales, régionales, départementales, internationales.
Prendre au sérieux l'Afrique n'est pas l'affaire d'un sommet de deux jours
avec photo de famille, discours et tapes dans le dos. C'est un engagement
qui doit être affirmé par toute une équipe gouvernementale de travailler,
par visites, déplacements ou autres moyens d'échange plus modernes,
durablement, fréquemment, de faire des bilans réguliers, d'annoncer les
résultats de sorte que l'opinion sera consciente et jugera.
L'effort médiatique n'est pas nécessaire
pour le Moyen-Orient tant ici, les informations, les commentaires
abondent. On en connaît aujourd'hui le ton général : désastreux. Faut-il
tourner la page de la malaventure américaine en Irak et regarder ailleurs ?
Pas nécessairement, parce que certaines leçons doivent être méditées si l'on
veut à tout prix éviter à l'avenir la répétition d'erreurs très coupables,
très coûteuses. Oui, la France avait eu raison à propos de l'Irak, face aux
Etats-Unis, au Royaume-Uni et malheureusement aussi à cette poignée de
jeunes membres de l'Union européenne qui donnèrent un si mauvais visage à
l'élaboration d'une politique étrangère commune. Oui, la France avait eu
raison de plaider pour un système de contrôle sans limite de temps qui
aurait prévenu l'Irak d'acquérir des armes de destruction massive tout en
recommandant une suspension des sanctions, afin de sauver ce qui pouvait
être sauvé de l'économie irakienne civile et donc de sa classe moyenne. Oui
la France avait eu raison de soupçonner, sans le dire cependant ouvertement,
les ambitions pétrolières de certains de nos amis auxquels souriait l'idée
de contrôler les gisements irakiens. Oui enfin la France avait eu raison de
prévoir l'abominable gâchis qui en est résulté et qui déstabilise
aujourd'hui l'ensemble du Moyen et du Proche Orient.
Rappeler ceci n'est pas de la « délectation morose » quand on mesure que le
pire est toujours possible et qu'une lamentable erreur de calcul, comme
celle faite par l'administration américaine en 2002-2003 pouvait se
renouveler à propos d'autres secteurs du Moyen-Orient, l'Iran par exemple.
D'où la nécessité d'avoir bonne mémoire et de rester sur ses gardes quitte,
de temps à autre, à rafraîchir les souvenirs de nos amis.
Sur le fond, aujourd'hui, quant à l'Irak, aucune solution n'est sûre. Mais
une préconisation absolue s'impose, aux fins à tout le moins de désarmer les
préventions des populations du Moyen-Orient ; et qui serait l'engagement
pris par tous les pays importateurs de pétrole de renoncer à se disputer et
acquérir des parts de gisements ou de production du pétrole irakien. James
Baker, dans son rapport récent sur la situation en Irak, va dans cette sage
direction. Tout dans ce rapport, excessivement axé cependant sur la défense
des « intérêts américains », est d'ailleurs raisonnable, y compris et
surtout la recommandation faite au pouvoir irakien de partager équitablement
les richesses pétrolières entre les régions et de réintégrer dans le système
les anciens Baassistes.
S'attaquer au cœur des tensions irakiennes, alors que les communautés se
déchirent, dépasse sans doute aujourd'hui les capacités des Occidentaux. Du
moins ceux-ci pourraient-ils jouer modestement à la périphérie en évitant
des flambées du côté iranien ou syrien.
Le cas de l'Iran est connu. Vieille civilisation, vieil orgueil, vieille
aspiration à se doter, comme le Shah le souhaitait lui-même, de la panoplie
de la puissance, y compris dans le nucléaire, civil ou militaire. Civil, on
ne peut le contester à l'Iran car les textes signés ou votés en font
obligation. Malgré le raisonnement de ceux qui plaident pour les vertus
apaisantes de l'équilibre nucléaire militaire, à l'instar du calme observé
entre Inde et Pakistan, l'accession de Téhéran à l'arme nucléaire qui ne
paraît pas cependant immédiate, doit être combattue. Elle susciterait par
ricochets les ambitions des pays arabes sunnites, Arabie, Egypte ; elle
pourrait réveiller les desseins libyens et donnerait des idées aux
Algériens. Quel moyen d'amener l'Iran à renoncer au nucléaire militaire ?
L'isolement, entrepris depuis longtemps par les Etats-Unis n'est pas, malgré
le caractère inacceptable des déclarations d'Ahmaninejad, la solution.
L'homme, qui bénéficie d'un réel soutien dans tout l'arc chiite du Proche
Orient, a des appuis en Russie et en Chine et il peut poursuivre des
campagnes insidieuses en Irak comme en Syrie et au Liban. Mais il faut bien,
tout en se refusant à des contacts gouvernementaux directs, maintenir un
dialogue avec l'Iran. Les écarts de Téhéran par rapport aux résolutions
votées par le Conseil de sécurité justifient enfin quasi machinalement
l'adoption de sanctions qui n'auront peut-être pas grand effet sur le
programme nucléaire iranien mais pourraient faire réfléchir les dirigeants
moins fanatiques, comme ce fut le cas en Libye.
Ne nous y trompons pas cependant. Le jour où Washington aura renoué avec
Téhéran, ce seront les Européens qui devront prier les Etats-Unis de ne pas
précipiter le pas.
La même démarche peut s'appliquer à Damas. Il est excellent d'avoir obtenu
du Conseil de sécurité en septembre 2004 (mais avec l'abstention des Russes
et des Chinois) une résolution (1559) qui a forcé la Syrie à retirer ses
troupes du Liban et qui prévoit aussi la dissolution des milices
(Hezbollah). Il est juste que nous réclamions que tous les efforts soient
faits pour permettre à la justice de juger, si on les identifie, les
responsables des assassinats politiques, Rafic Hariri et autres. Mais
peut-on asseoir la paix au Liban sans Damas et le Hezbollah ? Peut-on, pour
la France, seule d'ailleurs en Europe à préconiser une ligne aussi
intransigeante, tourner le dos au fils – qui ne vaut pas le père mais qui
est là – d'Hafez El Assad ? La réponse raisonnable est non. On ne peut
ignorer l'influence, brutale ou insidieuse, de Damas. Les Européens sont
trop heureux sur ce point de se démarquer de nous. Retenons-les sur la pente
des retrouvailles faciles et des concessions mais acceptons ensemble de
travailler à préserver l'essentiel : une formule permettant, tout en
reconnaissant le rôle du Hezbollah et ses bons rapports avec la Syrie et
l'Iran, de sauvegarder la souveraineté et l'indépendance du Liban.
La partie sera amère. Voyez l'évolution du Général Aoun, sauvé par la
France, à sa prière, de la vindicte syrienne et qui, aujourd'hui, par
ambition, peut-être aussi par réalisme, recherche l'alliance du Hezbollah et
campe, vêtu d'orange, sur les places de Beyrouth dans la meilleure tradition
de ces mouvements de contestation, parrainés de Belgrade à Tbilissi et Kiev
par les Américains pour renverser les pouvoirs établis.
Des urgences gravissimes se présenteront peut-être bientôt touchant la
Finul. Cette force des Nations Unies, déployée après le cessez-le-feu entre
Israël et le Hezbollah, en août 2006 et qui comprend un fort contingent
français, n'a pas mission explicite de désarmer la milice chiite, ce qui
assurément provoquerait conflit. Mais la résolution, durement négociée par
les Américains en contrepartie d'un cessez-le-feu qui stoppait l'offensive
blindée israélienne, contient, comme il est de règle dans un compromis, des
formules ambiguës. A la demande des forces armées libanaises, la Finul
devait aider celles-ci à faire respecter la démilitarisation d'une zone
d'exclusion au Nord de la frontière. On peut imaginer que l'armée libanaise
ne réclamera pas avec beaucoup d'insistance l'appui de la Finul pour obtenir
le désarmement que le Liban tardera à mettre en œuvre. Le risque est
évidemment qu'Israël juge alors sous peu que la Finul pas plus que l'armée
libanaise n'exécutent leur mandat en ce qui concerne la
création-démilitarisation de la « zone d'exclusion ». Prétexte serait alors
trouvé pour plaider, au moins devant le gouvernement américain la nécessité
d'une opération de Tsahal. La Finul présente deux risques : affronter le
Hezbollah, servir par une relative inaction de prétexte à une offensive
israélienne à laquelle, logiquement, dans l'exercice général de son mandat
(préserver la souveraineté et l'intégrité du Liban) elle devrait s'opposer.
Le dilemme qui peut se présenter bientôt est grave. Il ne pourrait vraiment
être éloigné que si les gouvernements libanais, syrien et le Hezbollah
convenaient d'une formule d'allègement des milices qui satisferait, au moins
en apparence, Israël. Force est de reconnaître que le poids américain
réclamé par James Baker, autant sur Israël que sur Beyrouth et Damas serait
utile.
La scène s'éclaircirait si progressait le règlement du conflit
israélo-palestinien. Les données d'une solution sont connues depuis soixante
ans : retrait - reconnaissances réciproques - garanties de sécurité.
Faut-il, une fois de plus, attendre un revirement américain et plaider, par
habitude, pour une Conférence internationale ? Ne pouvons-nous pas faire un
peu plus, avoir le courage de discuter, là encore comme pour l'Afrique,
longuement, sérieusement, avec tous les secteurs de l'opinion publique
israélienne ? Est-il impossible de faire revivre un courant de pensée proche
de celui qui s'affirmait sans embarras au temps du Premier ministre
israélien Isaac Rabin, assassiné ? Si Israël, comme il est nécessaire aux
termes des résolutions du Conseil de sécurité, se retire de la
quasi-totalité des territoires occupés, nous devons, en revanche, être
intransigeants sur les contreparties : la reconnaissance juridique de l'Etat
d'Israël qui est une condition indispensable à l'instauration d'une
situation de non-belligérance et l'établissement de garanties de sécurité.
Le mur, s'il est ramené au tracé des frontières, pourrait bien être, malgré
le coup porté à l'idéologie très onusienne des relations amicales, une
précaution physique acceptable pendant une phase. Le déploiement à la
frontière, de part et d'autre, d'une présence armée internationale,
englobant des contingents des cinq membres permanents du Conseil de
Sécurité, pourrait enfin être compris par Israël. Quant à Jérusalem, cœur ô
combien symbolique et disputé du conflit, rien ne s'oppose à ce que la ville
soit proclamée capitale de l'un ou l'autre Etat.
Mais la difficulté cruciale sur laquelle butèrent, à l'été 2000, les
négociations de Camp David, est le statut des lieux saints des trois
religions. Palestiniens comme Israéliens rejetteront toute idée de vivre
dans une ville à statut international, mais il n'est pas impossible
d'imaginer que les seuls lieux saints (bâtiments - espaces cultuels nombreux
mais identifiables) soient placés, tout en restant propriété souveraine des
Etats d'Israël et de Palestine, sous la protection juridique d'une instance
internationale, garantissant l'accès des fidèles et pèlerins et bannissant
toute nuisance ou gêne de voisinage. Ce statut international, non pas de la
ville mais des lieux saints, sans préjudice aucun des questions litigieuses
de souveraineté, a été parfois évoqué, sans beaucoup d'insistance, par le
Saint Siège. La France y fit allusion dès 1949 en imaginant avec justesse
confier ce régime de protection aux Nations Unies (Conseil de sécurité
aujourd'hui).
* * *
Proche et Moyen-Orient, Afrique, ce sont là les priorités diplomatiques.
Elles ne peuvent se confiner au politique et à l'économique et elles
doivent, en ce début de XXIe siècle, embrasser la sphère culturelle.
Dialogue des cultures ! Combien de structures qui, de part et d'autre de la
Méditerranée sont censées s'en préoccuper à grands renforts de colloques,
conférences, réunions savantes où chefs d'Etats et ministres passent en
courant. Tenons-nous en à un seul souhait : qu'un jour les ministres de tous
bords acceptent de passer un ou deux jours entiers à feuilleter (avec
traductions) les manuels d'Histoire respectifs de leurs pays, et à comparer.
Ils seront édifiés sur l'étendue du fossé et l'urgence d'un retour à la
raison.
Hors l'Afrique et le Moyen-Orient, le reste du monde peut directement
affecter notre existence économique quotidienne mais il exige moins
d'initiative politique.
Ainsi paradoxalement des Etats-Unis
: Nous sommes alliés, en rapport excellent compte tenu de l'ancienneté de
nos relations, des valeurs communes et de l'aide qui nous lie réciproquement
en cas de défense (et sachons à ce sujet, sans jouer les fanfarons, ne pas
minimiser les pertes françaises de 1939 à 1945, supérieures en nombre,
soldats et civils confondus, à celles de nos libérateurs américains ;
sachons calmement remémorer l'aide très précieuse apporté par la Résistance
et les services de renseignement français à la préparation du débarquement).
Alliance donc naturelle, sans complexe, où chacun, avec ses moyens, joue sa
partie. Mais ne faisons pas de l'OTAN plus qu'elle n'était destinée à être,
et ne la transformons pas en organisation à vocation mondiale, concurrente
de l'ONU. Ne croyons pas non plus indispensable d'équilibrer ou pis racheter
quelques vérités saines dites au début de 2003 par des apports
disproportionnés pour se « rabibocher » à propos ou sous prétexte de Liban
ou de Syrie. Soyons donc présents, jamais très éloignés des Etats-Unis,
amicaux, tranquilles, lucides sur la tendance profonde qui portera de plus
en plus ceux-ci à traiter avec embarras la Russie, à s'intéresser, en
revanche, de plus en plus, à la santé de leur principal créancier : la
Chine. Ayons donc, avec les Etats-Unis, loin des cabrioles britanniques,
bien mal récompensées, une relation « benoîte ».
La Russie exige davantage de
manœuvres, non pour être très proche mais pour gérer une relation « saine ».
Terminons-en donc avec cette vague de gloriole et de suffisance qui
conduisit tout ce que l'Occident avait d'experts en nouvelle économie, à se
répandre sur la Russie de Eltsine comme les Carpetbaggers d'après la Guerre
de sécession. Terminons-en avec les années de capitalisme effréné qui ont
abouti à créer une caste de « nouveaux riches » dont l'écume se retrouve
aujourd'hui, poursuivie par Poutine, de Londres à Monaco. Soyons donc moins
arrogants, tâche facile quand il s'agit de comprendre les hantises russes
devant ce que Moscou perçoit comme un processus d'encadrement, via l'Otan,
et de dépècement sans fin. C'est à la mesure de la distance que nous
mettrons vis-à-vis des manœuvres atlantiques en direction des Baltes ou de
l'Ukraine que nous devons d'autant mieux rappeler nos exigences en matière
de respect des droits de l'Homme. Mieux notre fermeté vis-à-vis de
l'élargissement de l'OTAN sera comprise, meilleures seront les chances de
faire passer un message de réprobation devant les excès militaires ou
policiers à l'intérieur. Reste – c'est une évidence – que les Russes
connaîtront notre dépendance future à l'égard de leurs ressources
énergétiques. Ils font déjà affaire avec Berlin. Voilà bien un terrain où
peut se ranimer l'entente franco-allemande.
Et la Chine, l'Inde, et puis
l'Amérique latine, le Brésil ? Soyons francs. La France se fait entendre en
Afrique, au Proche et au Moyen-Orient, aux Etats-Unis, en Russie. La France
compte moins au Japon, en Chine, où l'Italie la dépasse comme partenaire
commercial. Est-ce regrettable sur le plan politique ? Pas nécessairement.
La Chine s'absorbe fiévreusement dans son développement économique, faisant
flèche de tout bois, qu'il s'agisse de transfert de technologie ou
d'investissements et elle accueille Paris aussi bien que Londres ou Berlin.
Mais Pékin ne commence que très lentement à peser sur la scène diplomatique
mondiale. Pendant les années de contentieux irakien, la Chine, jusqu'à la
crise de 2003, s'est abritée derrière les prises de position françaises,
autrement vives et claires. Même prudence vis-à-vis de l'Iran, de Damas,
d'Israël. Pékin observe, suit, s'abstient. Il n'est aucun sujet, hors
Taiwan, où la Chine prenne l'initiative, recherche notre appui ou s'étonne
d'une de nos attitudes. Même indifférence politique à l'égard de l'Afrique,
Pékin voulant bien s'entendre avec tous ceux, la très grande majorité
aujourd'hui, qui ont rompu avec Taiwan. Mais à couvert de cette politique
lisse qui mène la Chine à courtiser du Soudan au Zimbabwe tous les hommes
forts quasi dictateurs, Pékin mène en revanche une offensive économique très
structurée, visant au contrôle du plus grand nombre de sites d'énergie et de
matières premières. Parfois, la Chine franchit les bornes de ce qui est
acceptable quand des armées de travailleurs, sans doute repris de justice en
quête d'allègement de peine, sont déversés sur un territoire africain dans
des conditions qui bafouent toutes les normes d'humanité. Un geste, une
indignation ne seraient pas mal venus.
L'Amérique latine séduit parce
qu'une vague de dirigeants, pas toujours nouveaux mais se réclamant d'idées
de justice sociale, d'égalité, de gauche au sens large, est aujourd'hui aux
affaires dans la plupart des pays. Belle revanche sur la période où les
Etats-Unis imposaient leur loi et tentaient de tenir à distance les
Européens. Ces pays (Venezuela, Bolivie) contestent les Etats-Unis. Se
rapprochent-ils de l'Europe ! Bien peu, hors de l'Espagne pour des raisons
de culture, car ils n'aiment pas notre politique agricole commune, nos
quotas sucriers, bananiers etc. Se rapprochent-ils des autres continents du
Sud, Afrique, Asie, pour reconstituer un bloc Sud-Sud, opposé au Nord,
souvent évoqué, jamais vraiment consolidé ? Non, car les grandes puissances
de l'Amérique latine, Brésil en tête, jouent leur jeu national avec une rare
rudesse et se placent en Afrique en concurrents directs de la Chine et de
l'Inde. Le monde se dissocie, se complique. Il n'évolue pas vers l'émergence
de quelques blocs. Il éclate en unités très distinctes allant de la future
puissance ambitieuse, le Brésil au trublion bolivien ou vénézuélien.
Mais raison de plus pour la France si, s'estompant l'héritage culturel, les
chaudes sympathies cariocaises, de se retrouver à l'aise face à un mouvement
rapide, inégal, changeant. Soyons donc mobiles. Allions-nous ici (Angola -
Cameroun) contre la guerre d'Irak, là pour un changement du Conseil de
sécurité (Brésil – Inde – Japon). Soyons mobiles, sans fausse modestie mais
sans illusion. Ces pays, qui auront leur heure de gloire puis des
difficultés et connaîtront peut-être dans dix, vingt ans une perte
d'influence, nous sauront au moins gré de les avoir pris au sérieux à temps,
de les avoir écoutés, encouragés sans nous être tenus aux stricts canons,
politiques ou moraux, de l'Alliance atlantique.
* * *
Mobilité, Le mot est dit. C'est celui qui doit, en fin de compte, rythmer le
souffle de notre politique étrangère, notamment sur ce théâtre naturel que
sont les Nations Unies.
L'ONU est loin d'être
l'arbitre des conflits, l'organisateur d'un développement économique
équilibré, le protecteur des droits de l'Homme. Pour une raison simple qui
est que dans le monde tel qu'il est, les Etats se déclarent encore avant
tout comme des Nations, corps vivants, indépendants, avec passé et avenir et
défendent avec acharnement leur droit de disposer d'eux-mêmes, autre facette
de ce que la Charte de l'ONU appelle « l'égalité souveraine des Etats ».
Mais l'ONU est la scène par excellence où se heurtent, compromettent et
peuvent s'accommoder toutes ces volontés. Sur cette scène, par une
disposition irréfragable, coulée à jamais dans le marbre de la Charte, la
France bénéficie d'un rôle permanent. Il n'y a aucune raison de s'en
excuser, d'avoir honte de ce privilège. Certains pays ont du pétrole, du
gaz… et en tirent sans vergogne toutes sortes d'avantages. La France est
membre permanent du Conseil de sécurité mais elle justifie ce statut en
s'acquittant sans relâche de ses responsabilités. Gardons donc ce siège. Il
n'est pas un Etat aux Nations Unies pour nous le contester et il est évident
que les pays membres de l'Union Européenne sont loin, sur des sujets
décisifs (Moyen-Orient : Irak, Proche-Orient, Syrie ou même Israël) de
pouvoir dégager rapidement – clef du succès en cas de crise – une position
commune, un vote unique. Parlons bien sûr comme tout le monde de la réforme
des Nations Unies et d'abord de celle du Conseil de sécurité, mais soyons
réalistes et ne pensons pas que celle-ci est pour demain. Voyons les choses
en face au lieu de rêver : les pays d'Amérique latine ne s'entendent pas sur
le choix du Brésil pour rejoindre le club fermé des cinq permanents, ceux
d'Afrique se disputent un ou deux sièges supplémentaires, la Chine, dans un
rare geste public et froidement déterminé, a fait savoir qu'elle opposerait
son veto à la candidature japonaise.
Voyons plutôt ce qui est du domaine du possible :
- Une augmentation raisonnable, pas plus de dix mais de préférence cinq, du
nombre des Etats non permanents qui pourraient cependant être aussitôt
reconduits, après leur premier mandat de dix ans, pour un second mandat. A
quinze, chiffre actuel, le Conseil de sécurité qui se réunit en fait tous
les jours, comme une instance très professionnelle de régulation des crises,
débat sérieusement, équitablement. A vingt, le tour de table sérieux est
encore possible. A plus de vingt, on glissera vite vers l'aménagement de
sous-groupes, d'instances de sous-traitance ou, plus grave, de commandement
par les cinq membres permanents. Le Conseil, paradoxalement, deviendrait
moins représentatif de la diversité des Nations Unies.
- La mise sur pied d'une commission de consolidation de la paix associant
Conseil de sécurité, Conseil Economique et Social, Secrétariat des Nations
Unies et institutions spécialisées pour gérer les situations d'après crises.
C'est chose faite, et cette nouvelle constitution devrait mieux répartir les
responsabilités et mieux sensibiliser l'ensemble des Nations Unies à
l'entreprise commune de reconstruction d'un pays.
- La constitution d'un Conseil des Droits de l'Homme, plus actif et plus
représentatif que l'ancienne Commission des Droits de l'Homme. C'est chose
faite également depuis le sommet de 2005. Mais les Etats restent ce qu'ils
sont comme on le voit aujourd'hui avec les réticences des pays africains et
surtout musulmans à traiter énergiquement de l'affaire du Darfour. Or on ne
peut se défendre du sentiment que nous réagissons aujourd'hui face à cette
situation un peu comme les membres des Nations Unies début 1994 avant
l'éclatement du génocide au Rwanda, avec distance, hésitations. Qu'en est-il
exactement au Darfour où les ONG dites humanitaires se disputent sur les
causes et la gravité de pertes humaines ? Au Secrétaire général de prendre
au moins ses responsabilités, de passer plusieurs jours sur le terrain et
d'en tirer leçon. A l'Union Européenne également d'écouter son envoyé et de
dire ce qu'elle juge.
- Le renforcement du rôle du Conseil Economique et Social. Il ne s'agit pas,
comme le suggérait Monsieur Camdessus et le Président de la République, de
créer un nouveau Conseil compétent en matière économique et sociale, puisque
celui-ci a existé depuis 1945 tout en ayant aujourd'hui perdu l'autorité et
le prestige dont il disposait quand les ministres de l'Economie et des
Finances participaient à Genève à ses discussions. Forçons donc nos
ministres à reprendre le chemin du Conseil Economique et Social pour
revitaliser son rôle, en rencontrant les pays du Sud au lendemain des
réunions des pays du Nord au G8.
- Le renforcement du rôle du Secrétariat général.
C'est déjà chose faite pour le département du maintien de la paix, doté
désormais d'effectifs et de compétences notamment militaires. Quant au
sommet de l'édifice, le Secrétaire Général, le vrai problème est de garantir
son indépendance. L'expérience prouve que Monsieur Koffi Annan fut poussé
par les Américains à prendre des décisions administratives contre sa
volonté. Le moyen de rendre le Secrétaire Général inaccessible aux
intimidations serait de l'élire pour un mandat assez long (sept ans) mais
unique, non renouvelable.
Peut-on encore rêver de francophonie ?
Oui, mais à la condition de se concentrer sur le multilinguisme et
d'encourager, contrairement aux postures suffisantes des prétendus
polyglottes, le travail des interprètes et traducteurs. Question de
financement. Une surcharge très légère sur les transactions internationales
(comme pour la lutte contre le sida) suffirait à sauver le corps des
fonctionnaires interprètes et traducteurs et par là à sauver le recours aux
différentes langues de l'organisation, et donc la nôtre.
On le voit, l'ONU offre à la France un terrain de manœuvre sans égal.
L'avenir n'est pas à la recomposition du monde en blocs ou en pôles. Il est,
paradoxalement, tourné vers un mouvement quasi brownien d'alliance, de
rapprochement où une puissance moyenne comme la France, flanquée
éventuellement de quelques parlementaires européens, a toutes ses chances de
peser. Le monde multilatéral qui s'affirme n'est pas un monde multipolaire.
Il nous offre davantage de perspectives d'action.
Sachons rendre celle-ci utile.
Source :
http://www.fondation-res-publica.org