1-03-06

 

Jean-Michel Aphatie : Bonjour, Jean-Pierre Chevènement.

Jean-Pierre Chevènement : Bonjour.

Gaz-de-France et Suez vont fusionner, pour créer un géant français de l'énergie. Vous qui avez souvent défendu "des solutions françaises", "des solutions nationales", on imagine que vous êtes content de la nouvelle, ce matin.

Je ne me place pas de ce seul point de vue. L'Europe toute entière est très dépendante, pour ses approvisionnements énergétiques. Nous n'avons pas de gaz : celui de la mer du Nord s'épuise, nous dépendons, par conséquent, de la Russie, de l'Algérie, du Qatar et de l'Iran pour nos approvisionnements en gaz. Nous avons besoin d'un grand opérateur gazier national.

Et nous l'aurons !

Et nous l'aurons dans certaines conditions. Il faut, naturellement, que l'Etat continue de garder une minorité de blocage dans le capital de ce grand opérateur. Il faut, naturellement, que l'identité de Gaz-de-France soit préservée, que le statut de ses personnels le soit également, c'est bien normal. Enfin, qu'on ne détruise pas les connexions de travail qui se sont établies entre E.D.F et Gaz-de-France.

A ces conditions, je considère que, dans la situation actuelle, la décision du gouvernement était, sans doute, la moins mauvaise possible face au risque d'O.P.A sauvage d'Enel. Disons que ce paysage fait suite à la libéralisation du marché de l'électricité : on voit comment cela se passe. L'Allemagne a deux champions nationaux, à vocation plus qu'européenne. Pourquoi pas la France !

Donc, on peut le dire, ce matin, Jean-Pierre Chevènement, sur RTL. Vous êtes la première personnalité de gauche à soutenir ce projet initié par Dominique de Villepin.

Je pense que la gauche doit assumer l'intérêt national. Je ne le soutiens pas à n'importe quelle condition. J'attends d'y voir. Je comprends que les syndicats défendent leur bifteck, c'est tout à fait normal : c'est leur rôle. Mais je pense que la gauche doit se hausser à une conception de l'intérêt national qui lui fasse comprendre que l'énergie, au 21ème siècle, c'est tout à fait capital. Et le fait d'avoir deux champions, non pas nationaux, mais mondiaux comme E.D.F et Gaz-de-France- Suez/Electrabel, c'est important.

Laurent Fabius vous précédait, hier matin, à ce micro. Et lui était plutôt hostile. Vous pensez donc que les dirigeants de gauche, aujourd'hui, font une erreur d'analyse, dans ce dossier ?

Je pense que chaque point de vue doit être discuté. Laurent Fabius pense que Gaz-de-France avait assez de disponibilités, assez de cash, pour lancer lui-même une O.P.A sur Suez-Electrabel. Je ne le crois pas, et je ne pense pas qu'E.D.F l'aurait aidé. On ne peut pas demander à E.D.F de créer ce qu'il faut bien appeler aussi : un concurrent. Donc, je pense qu'il faut regarder les choses dans l'état où nous sommes.

La libéralisation du marché de l'énergie a été décidée, en 2002. C'est maintenant la position de la France et la politique européenne future, qui passera par un équilibre entre la France et l'Allemagne. Je vous rappelle qu'en Allemagne, il y a Eon et R.W.E, qui sont deux géants. Je suis tout à fait pour que l'Italie et l'Espagne conservent leur géant national. En Italie, Enel et, en Espagne, Endesa.

On entend souvent, en France, des moqueries à propos du "patriotisme économique" que défend Dominique de Villepin, dans cette affaire. Jean-Pierre Chevènement, cela vous paraît fondé de parler de "patriotisme économique" ?

Je pense que le patriotisme économique est juste, quand il est suivi d'effets. J'ai déploré que, par exemple, on cède Pechiney. Je suis le seul homme politique qui a protesté quand on a cédé Pechiney qui, aujourd'hui, supprime ses laboratoires de recherche en France. J'ai protesté quand on a abandonné Usinor, où l'Etat ai conservé longtemps une participation dans le capital, pour créer un géant, soi-disant européen, Arcelor. On voit où on en est : aujourd'hui, Arcelor est sous le coup d'une O.P.A de Mittal, et nous risquons bien de perdre une entreprise dans laquelle le contribuable français a mis 200 milliards.

Vous avez protesté et là, ce matin, sur Suez/Gaz-de-France, vous approuvez ?

Mais parce que c'est le contraire ! Il s'agit de maintenir un centre de décision, en France : et cela, c'est important. Je ne suis pas pour à n'importe quelles conditions. Je demande, naturellement, que l'identité de Gaz-de-France soit préservée.

On se souvient de vous, Jean-Pierre Chevènement, comme ministre de la Défense. Le Clemenceau va rentrer à Brest : c'est un fiasco. Cela coûtera 10 millions d'euros aux contribuables. Il n'y a pas de responsables, pas de coupables. Qui est responsable de ce fiasco, d'après vous, Jean-Pierre Chevènement ?

C'est la logique économique !

Non, non. Il n'y a pas d'individus, il n'y a pas de responsables politiques qui soient responsables ?

Disons qu'en interministériel, c'est le ministère de la Défense et le ministère des Finances, qui ont jugé que c'était la meilleure solution parce que c'était la moins coûteuse.

On s'imagine que, dans d'autres pays, une démission aurait sanctionné un tel fiasco. On se trompe ?

Il m'est arrivé de démissionner pour des grandes choses.

Oui, c'est au spécialiste de la démission que je m'adresse !

Oui, mais je l'ai fait sur le tournant libéral de 1983.

On ne va pas refaire l'histoire, mais là, en l'occurrence, cela ne méritait pas une sanction ? Que quelque chose se passe ?

Je pense qu'il faut raison garder. Je ne suis pas de ceux qui participent à toutes les curées qui se présentent.

La responsabilité politique, en France, a du mal à s'incarner ?

Je dirai qu'elle est diffuse, en l'occurrence. Je pense que c'est une responsabilité interministérielle.

Croyez-vous, Jean-Pierre Chevènement - je suis désolé de vous interrompre - au retour de Lionel Jospin ?

Un député socialiste, Eric Besson, a dit que Lionel Jospin ne pourrait revenir que s'il était appelé par François Hollande, par la grande porte, si je me souviens bien. C'est le texte de cet article, paru dans "Libération", au mois de janvier. Mais je vois mal François Hollande, avec la cote de Ségolène Royal, se tourner vers Lionel Jospin. Ce serait du Feydeau !

C'est une façon de dire que vous ne croyez pas au retour de Lionel Jospin ? Ou que vous ne le souhaitez pas ?

Je décris une situation.

Et votre souhait ?

Disons que Lionel Jospin a défendu le "oui", à la constitution européenne : que j'étais pour le "non". Que, sur maints sujets - que je ne vais pas rappeler - nous n'étions pas d'accord. Par conséquent, il me semble que Lionel Jospin est toujours dans la disposition d'esprit qu'il a émise.

Beaucoup de vos amis vous demandent-ils, à vous, de revenir et d'être candidat, en 2007 ? C'est comme cela que ça se passe en politique : si vous amis vous le demandent, vous l'êtes ?

Certains le souhaitent. Mais je ne le serai que s'il y avait des idées claires à s'il n'y avait pas d'autre solution pour donner un débouché politique à ce que souhaite une majorité du peuple français. Je vous le rappelle, 55% des français n'ont pas voulu de la constitution européenne : ils voulaient autre chose. Il faut donner un sens positif à cette démarche.

Jean-Pierre Chevènement - qui a 55% d'amis - était l'invité de RTL, ce matin. Bonne journée !