Le « non socialiste » est-il « hypocrite, grossier, menteur, et anti-européen »  ?

On a entendu beaucoup de petites phrases sur les « dérapages » dans le débat du referendum. Il faut en effet porter l'effort sur le fond, plutôt que de tomber dans des diversions. Mais alors, cela vaut visiblement, si on lit Le Figaro du 14 mars, pour les dérapages du « oui »  socialistes, car ceux qui se sont produits dimanche 13 mars sont pires que tous les autres, en ce qu'ils portent sur le fond du débat !  Au cours d'un débat entre 400 socialistes délégués départementaux du « oui », réunis dimanche, il s'est tenu des propos dont le contenu, s'il est vrai, est carrément effrayant : «Il faudra simplifier la question», a estimé l'ancien ministre Dominique Strauss-Kahn : «Oui ou non, sommes-nous pour la construction européenne ?» Et d'affirmer : «Ceux qui votent non ne sont pas pour la poursuite de la construction européenne.» Pour le député européen Harlem Désir, c'est aussi sur ce terrain qu'il faut se battre : «Il y a une idée que les partisans du non voudraient installer : qu'on peut être pour le non tout en étant pro-européen. C'est un bluff, un mensonge grossier.» Pour lui, ce «non» est «hypocrite, insupportable» Là, c'est un dérapage infiniment plus grave, car il porte sur des idées de fond ! Il s'agit de dénaturer, de travestir sciemment des arguments, d'accuser les défenseurs du non de gauche, socialistes, Nps, Nm ou Fm, ou autres, d'ailleurs, d'être des « hypocrites, des menteurs grossiers », ne pas laisser s'installer l'idée qu'il peut y avoir un « non » - pro européen »....

La réunion qui s'est interrogée là-dessus, si elle s'est passé ainsi, et il n'y a pas eu de démenti, selon le récit du Figaro, est une réunion d'entraînement au trucage : ses arguments visent à organiser la tromperie délibérée de l'opinion,  en faisant croire que on ne peut être à la fois pour le « non » et pour l'Europe !   Alors que, justement, les partisans socialistes du « non » sont totalement et à fond pour l'Europe, pour une Europe fédérale, pour une Europe sociale, démocratique, pour une constitution européenne. JUSTEMENT,  ils veulent sauver l'Europe de cette constitution-là ! Et c'est ce qui permet d'ailleurs aux socialistes de pouvoir rester unis, et de se retrouver demain, car par-delà le oui et le non, ils veulent théoriquement défendre une même Europe sociale. On doit pouvoir dire librement, en étant respecté, que la constitution de Giscard, et ses corollaires, les directives Bolkestein et de l'opt out, ce serait cela qui nuirait à l'Europe, cela qui opposerait les peuples entre eux, les salariés entre eux, ce serait la guerre du salarié letton contre le salarié suédois, la guerre du salarié polonais contre le salarié français, le principe du pays d'origine contre celui de l'harmonisation des droits par le haut. Or la directive Bolkestein est toujours en selle et elle est fondée explicitement juridiquement dans la constitution, ainsi que la directive opt out, ainsi que la remise en cause des services publics.
 

Discutons de cela, au lieu d'organiser les diversions sur autre chose. La constitution est une chose décidément trop sérieuse aux yeux des européens sincères que nous sommes pour qu'on la laisse ainsi passer.

Gérard Filoche (Démocratie & socialisme n°123 du 14 mars 2005)