« La Directive Bolkestein  au cœur de la Constitution européenne »

 

 Sami Nair, ancien député européen, Secrétaire National du MRC

Patrick Quinqueton, Secrétaire National du MRC

 

La directive Bolkestein adoptée par la Commission le 13 janvier 2004 et relative aux services dans le marché intérieur va bouleverser la vie de millions de femmes et d’hommes en Europe.

 

En consacrant la libéralisation de la plupart des services, cette directive opère une profonde mutation culturelle aux conséquences économiques et sociales sans précédent. 

 

Aujourd’hui, un vaste mouvement social opposé à cette directive semble se lever. Suffira-t-il à répondre au vaste dessein politique ultra-libéral ?

Cette Directive ultra-libérale – loin de contredire la future Constitution européenne – annonce tout simplement les principes fondamentaux du projet Constitutionnel européen qui va s’imposer à tous.

Nous examinerons, d’une part, le contenu du projet ultra-libéral de la Directive (I) pour constater, d’autre part, qu’il est d’ores et déjà présent au cœur de la future Constitution européenne (II).

 

I - le contenu du projet ultra-libéral de la Directive…

 

         La directive Bolkestein énonce des principes (A) dont la mise en œuvre entraînera d’immenses conséquences économiques et sociales (B).

 

A -Des Principes :

 

La Directive s’inscrit dans le processus de réforme économique lancée par le Conseil européen de Lisbonne et qui vise à faire de l’UE – à l’horizon 2010 – « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ».

Pour cela, « est indispensable la réalisation d’un véritable Marché intérieur des services ».

En raison de multiples obstacles qui « entravent le développement des activités de services dans le Marché intérieur », il faut travailler à « supprimer ces obstacles ».

L’objectif de la proposition de directive est d’établir « un cadre juridique qui supprime les obstacles à la liberté d’établissement des prestataires de services et à la libre circulation des services entre les Etats membres et qui garantit aux prestataires, ainsi qu’aux destinataires des services, la sécurité juridique nécessaire à l’exercice effectif de ces  deux libertés fondamentales du traité. »

 

La proposition prévoit notamment :

 

pour supprimer les obstacles à la liberté d’établissement :

la mise en place de guichet unique pour les prestataires qui pourront accomplir les procédures par voie électronique 

l’interdiction de certaines exigences juridiques restrictives qui peuvent exister dans les législations de certains Etats membres ;

l’obligation d’évaluer la compatibilité d’un certain nombre d’autres exigences juridiques avec les conditions fixées dans la directive, en particulier leur proportionnalité ;

Afin de supprimer les obstacles à la libre circulation des services :

Le principe du pays d’origine selon lequel le prestataire est soumis uniquement à la loi du pays dans lequel il est établi et les Etats membres ne doivent pas restreindre les services fournis  par un prestataire établi dans un autre Etat membre.

Le droit des destinataires d’utiliser de services d’autres Etats membres sans en être empêchés par des mesures restrictives de la part de leur pays ; pour les patients, la proposition clarifie les cas dans lesquels un Etat membre peut soumettre à autorisation le remboursement des soins de santé fournis dans un autre Etat membre ;

Un mécanisme d’assistance au destinataire qui utilise un service fourni par un prestataire établi dans un autre Etat membre ;

En cas de détachement des travailleurs pour « prester » un service, la répartition des tâches entre Etat membre d’origine et l’Etat membre de destination et les modalités des procédures de contrôle.

 

Afin d’établir la confiance mutuelle entre Etats membres :

L’harmonisation des législations pour assurer une protection équivalente de l’intérêt général sur des questions essentielles ;

Une assistance mutuelle renforcée entre les autorités nationales pour assurer un contrôle efficace des activités de services ;

Des mesures d’encouragement sur la qualité des services comme la certification volontaire des activités, l’élaboration de chartes de qualités ;

D’encourager les codes de conduite élaborés par les parties intéressées au niveau communautaire sur certaines questions identifiées ;

 

 B – d’immenses conséquences économiques et sociales :

 

Près de 70 % de nos emplois et de la création de richesse de l’Union ont pour origine les Services.

La Directive Bolkestein concerne donc la vie quotidienne de millions de Français.

En privilégiant des principes comme celui du « pays d’origine » ou de la « libre circulation des prestations de services », la Directive va entraîner un nivellement par le bas et porter ainsi atteinte au pacte social français.

Grâce à ce principe du « pays d’origine », le prestataire de services est dorénavant soumis à la loi du pays dans lequel il est établi et non à celle du pays dans lequel il vend sa prestation !

Ainsi les contrôles légaux échapperont à l’administration française et devront être faits par l’Etat où l’entreprise s’est établie.

Une véritable concurrence par le Dumping se mettra en place !

Cette directive instaurera alors un alignement général sur la réglementation la moins  favorable.

C’est ainsi un encouragement direct aux délocalisations.

De plus, le champ d’application de la Directive concerne tous les services : les services marchands mais aussi certains services publics comme l’Enseignement, la Santé, la Culture et le Logement !

La Directive Bolkestein veut harmoniser plus de 5000 métiers différents dans les vingt-cinq pays de l’UE, même si sont exclus les activités de transports, de télécoms et de services financiers. Pour combien de temps ?

 

Cette Directive obligera ainsi aux médecins, pharmaciens, infirmiers, architectes, avocats et notaires de se livrer aux joies de la guerre commerciale au nom de la « liberté de prestation ».

 

Ainsi, nous assisterons à la généralisation de situations concurrentielles déplorables comme dans le secteur du transport routier avec la concurrence de chauffeurs lituaniens ou slovaques, mal payés, multipliant les heures supplémentaires et augmentant l’insécurité routière.

Cette culture va bouleverser nos systèmes de santé, avec  le dumping à la formation et au paiement, mais sans garantie.

Cette "culture" mondialisée" américaine, produisant en Europe de l'Est à bas coût, va inévitablement casser nos systèmes de protection/promotion de la culture française, et porter atteinte aux systèmes  d'aide au cinéma comme aux systèmes de quotas de films à la télévision.

En proclamant la nécessité d’ « émanciper les marché » pour assurer la libre circulation des services et l’harmonisation des systèmes, cette Directive annonce également la disparition des « Services Publics ».

L’obsession de la baisse des coûts salariaux et du rationnement des dépenses publiques et sociales est en effet au cœur du projet.

 Les Services d’ « intérêt économique général » n’ont pas vocation à remplacer les services publics. Strictement encadrés, les services d’intérêt économique général seront simplement tolérés au titre de « dérogations ».

Mais le pire réside encore dans le double langage adopté par les textes européens : les paroles lénifiantes sur le « dialogue social » voire sur la « démocratie participative » s’efface devant le processus subtil adopté par cette Directive .

Cette Directive en effet consacre l’influence considérable de la CJCE (Cour de Justice de la Communauté Européenne). C’est la CJCE qui – saisi par les Etats - aura à se prononcer sur la règle applicable dans un pays, du fait des conflits naissant de la confrontation du principe « d’harmonisation des législations » des Etats membres à celui de « reconnaissance mutuelle ».

C’est une fois de plus la démission du politique au profit de la soumission aux « Lois du marché ».

***

Le projet ultra-libéral porté par la Directive Bolkestein n’est que la face émergée d’un projet plus vaste encore.

Le projet ultra-libéral est en effet porté par l’immense projet de Constitution européenne. L’esprit ultra-libéral irradie en effet l’ensemble de ce projet constitutionnel et annonce ainsi la révolution qui vient.

 

II - …est déjà présent au cœur de la future Constitution européenne.

 

La révolution Ultra-libérale annoncée par la Directive Bolkestein ne doit pas masquer l’essentiel : le projet de Constitution européenne consacre les principes fondamentaux de la révolution libérale.

Constitutionalisée, la révolution ultra-libérale peut dorénavant s’imposer à tous durant le prochain demi-siècle.

 

A – la constitutionalisation du projet ultra-libéral…

 

Le projet de constitution européenne consacre sa troisième partie «  les politiques et le fonctionnement de l’Union »  aux « politiques et actions internes » - titre III -.

Le chapitre I consacré au « Marché intérieur » dessine ainsi les contours d’une politique dont les principes ne font aucun doute et dont les conséquences sont prévisibles.

 

La section 1 de ce chapitre est consacré aux dérogations aux règles de libre concurrence : il s’agit essentiellement des situations relevant de la force majeure (risques de guerres ou de tensions internationales) – art.III-130 , 131, 132.

La section 2 « Libre circulation des personnes et des services » proclame le droit de circuler à l’intérieur de l’Union (art.III 133).

La loi ou loi-cadre européenne (art.III- 134–b) vise « à éliminer les procédures et pratiques administratives, ainsi que les délais  d’accès aux emplois disponibles découlant soit de la législation interne, soit d’accords antérieurs conclus entre les Etats membres(…) » puis « à éliminer tous les délais et autres restrictions prévus  par les législations internes, soit par des accords antérieur conclu entre les Etats membres(…) » (art.III-134-c).

 La loi ou loi-cadre européenne vise également à « établir des mécanismes propres à mettre en contact les offres et les demandes (…) » (art.III 134-d).

Dans le domaine de la sécurité sociale (art.III – 136), « la Loi ou Loi-cadre européenne établit les mesures nécessaires pour réaliser la libre circulation des travailleurs en instituant notamment un système permettant d’assurer aux travailleurs migrants salariés et non salariés : 1) la totalisation(…) de toutes périodes prises en considération par les différentes législations nationales ; 2 ) le paiement des prestations aux personnes résidant sur les territoires des Etats membres. »

Le Conseil se prononcera désormais à la majorité qualifiée sur les mesures relatives aux prestations sociales nécessaires pour réaliser la libre circulation des travailleurs dans le cadre de la codécision.

 

Concernant la « Liberté d’établissement », l’article III – 137 précise que «  les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un Etat membre sur le territoire d’un autre Etat membre sont interdites. »

« Les ressortissantes d’un Etat membre ont le droit, sur le territoire d’un autre Etat membre, d’accéder aux activités non salariées et de les exercer ainsi que de constituer et de gérer des entreprises, et notamment des sociétés dans les conditions prévues par la législation de l’Etat membre d’établissement pour ses propres ressortissants (…) »

 

« La Loi ou Loi-cadre européenne établit les mesures pour réaliser la liberté d’établissement dans des activité déterminée. » (art.III 138)

 

A titre anecdotique, l’article III- 138-e précise : «  Le Parlement européen, le Conseil et la Commission exercent les fonctions qui leur sont dévolues, notamment : (…) en rendant possibles l’acquisition et l’exploitation de propriétés foncières situées sur le territoire d’un Etat membre par un ressortissant d’un autre Etat membre(…) ».

L’article III – 141-2 affirme que : « la Loi ou Loi-cadre européenne facilité l’accès aux activités non salariées(…) En ce qui concerne les professions médicales, paramédicales et pharmaceutiques, la suppression progressive des restrictions est subordonnée à la coordination des conditions d’exercice de ces professions dans les différents Etats membres. »

 

L’article 142 consacre : « les sociétés constituées conformément à la législation d’un Etat membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de l’Union sont assimilées (…) aux personnes physiques ressortissantes des Etats membres. »

 

Ainsi nous le constatons le principe du « pays d’origine » – hérité de la Directive Bolkestein est constitutionalisé – combinaison de l’article III-142  et art.III-137-.

 

La Constitution consacre les principes ultra-libéraux dans de nombreuses autres dispositions.

 

L’article III- 148 énonce ainsi : « Les Etats membres s’efforceront de procéder à la libéralisation des services au-delà de la mesure qui est obligatoire (…) »

 

L’article III-153 affirme ainsi que : « les restrictions quantitatives tant à l’importation qu’à l’exportation ainsi que toutes mesures d’effet équivalent sont interdites entre les Etats membres. »

 

Enfin, il n’est pas possible d’ignorer les dispositions relatives aux entreprises publiques.

L’article III- 166 précise : « Les Etats membres en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n’édictent ni de maintiennent aucune mesure contraire à la Constitution(…). »

De même cet article précise : « Les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux dispositions de la Constitution, notamment aux règles de concurrence, dans la mesure où l’application de ces dispositions ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été confiée. »

 

De toute évidence, ce texte Constitutionnel vise à instaurer un espace dans lequel les secteurs entiers d’activités les plus divers seront soumis aux règles de la concurrence. Ceux-là même qui  hier encore relevaient du champ d’activités des services publics.

Cette Constitution porte bien un projet ultra-libéral.

 

B – … sonne l’heure de la résistance politique :

 

De toute évidence, nous voilà face à un double obstacle : la Directive Bolkestein porte un projet ultra-libéral que la Constitution européenne va inscrire dans l’histoire européenne du prochain demi-siècle !

 

La mobilisation sociale qui est entrain de naître contre la Directive Bolkestein est certes salutaire.

 

Obtenir le retrait de la Directive semble ainsi à la portée d’une possible mobilisation syndicale et politique. Rappelons que la France s’était retiré des négociations de l’AMI, précurseur de l’AGCS, sous la pression de la mobilisation citoyenne.

 

Mais la révolution Ultra-Libérale est d’ores et déjà portée par un projet qui dépasse largement le cadre d’une simple Directive !

 

La révolution ultra-libérale est maintenant inscrite au cœur des institutions européennes avec l’adoption de la future Constitution européenne.

 

Le retrait de cette Directive Bolkestein ne suffit pas !

Il faut retirer le projet de Constitution européenne qui rend possible cette Directive