POINT DE VUE
L'irruption de la directive "Bolkestein", par Nicolas Dupont-Aignan
LE MONDE | 18.02.05 | 14h23

Après avoir fait mine de découvrir le projet de directive services dite "Bolkestein", les partisans du "oui" à la Constitution ont fait semblant de s'y opposer. Avec sa suspension temporaire (et non son retrait), opportunément décidée par la Commission de Bruxelles, ils font désormais mine de crier victoire. Cela fait beaucoup de faux-semblants. Sans doute trop pour que les Français soient dupes d'une aussi grossière mise en scène.

Le Parti socialiste ignorerait-il donc que la directive Bolkestein pourrait tout aussi bien s'appeler directive Jospin, puisqu'elle a été commanditée par les chefs d'Etat et de gouvernement lors du sommet de Lisbonne, en 2000 ? Le PS, l'UMP et l'UDF ignoreraient-ils que la France n'a d'ores et déjà plus les moyens de s'opposer individuellement à ce texte, puisque les traités qu'ils ont signés placent la décision correspondante sous la règle de la majorité qualifiée ? Michel Barnier, qui réclame une remise à plat du projet, aurait-il oublié qu'il lui avait donné son feu vert lorsqu'il était commissaire européen ? Renierait-il les déclarations de la délégation française à Bruxelles, il y a moins de deux mois : "Le principe du pays d'origine est un élément essentiel pour aller de l'avant, cet acquis politique doit être pris en compte au sein du Conseil" ?

En vérité, les partisans du "oui", très embarrassés par l'irruption dans le débat référendaire d'une directive qui montre le vrai visage de l'Europe actuelle, cherchent à s'exonérer de leur responsabilité, à faire croire qu'ils peuvent encore s'opposer à la directive et, surtout, à la dissocier de la Constitution européenne.

Comme on les comprend ! En effet, ce projet de la Commission européenne, qui vise à libéraliser le commerce des services dans l'Union, n'y va pas de main morte : sa doctrine, résumée par le fameux "principe du pays d'origine", consiste à permettre à des entreprises de l'Union européenne d'intervenir dans n'importe quel Etat membre selon la réglementation en vigueur dans leur pays d'attache.

 Ce projet, qui va profondément à l'encontre de l'idéal et du projet de société républicains, représente quatre dangers majeurs. Tout d'abord, un dumping social massif qui risque de se traduire par une désertification économique accélérée de la France, au profit des pays moins-disants. Ensuite, cette directive menace collatéralement nos services publics - hors transports, eau et énergie -, qui délivrent des prestations contre rémunération (y compris les services de santé et de culture). Troisièmement, elle provoquerait une insécurité juridique insoluble, obligeant les fonctionnaires français à connaître et à faire appliquer la réglementation de nos 24 partenaires. Enfin, elle tirerait inévitablement vers le bas les formations et les diplômes français.

Elle est tout bonnement inacceptable, et il est impossible de l'arrêter, la France s'étant placée avec les traités existants dans une situation où il suffit d'une majorité d'Etats membres (cette majorité existe) pour l'imposer à l'ensemble de l'Union. Sauf si... les Français rejettent la Constitution européenne, ce qui provoquerait une crise salutaire et bloquerait les politiques européennes les plus insensées.

En fait, cet autre "télescopage" de calendrier (qui s'ajoute à celui de la Turquie) ne pouvait pas mieux tomber pour la clarté du débat référendaire. La directive services est le cas d'école de ce que la construction européenne est déjà devenue et... de ce qu'elle deviendra définitivement si la Constitution est ratifiée !

 En effet, la directive Bolkestein ne fait qu'anticiper deux dispositions-phares du traité constitutionnel, les articles 137 et 144, qui interdisent toute restriction à la liberté d'établissement et de prestation de services. Enfin, par son article 122, elle prévoit la définition de services publics au rabais par un vote à la majorité qualifiée, ce qui laissera sans défense nos services publics face aux empiétements de tous ordres de la directive services.

On entend souvent dire que la Constitution rendrait l'Europe plus efficace. Mais ce que les partisans du "oui" omettent de préciser, c'est que cette efficacité serait surtout mise au service de politiques qui condamnent à mort notre modèle de société national et républicain.

Le dernier recours des Français contre la directive Bolkestein est évident : un "non" franc et massif à la Constitution européenne.

Nicolas Dupont-Aignan est député UMP de l'Essonne
 ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 19.02.05