plaidoyer et réflexions pour une Europe républicaine
dites NON à la constitution européenne
Ainsi, l’Histoire se dissoudrait dans la mondialisation et la Nation dans l’Europe des régions, modalité continentale de cette mondialisation. L’Humanité donc n’aurait plus qu’à s’en remettre à la Main invisible du marché, comme hier elle se soumettait aux décrets de la sainte Providence. Les multinationales auraient désormais en charge l’avenir de l’Humanité. Il n’y aurait plus qu’une seule politique possible, libérale quant à l’économie, libertaire quant à la société . Voilà ce qui nous est exposé à longueur d’intervention médiatique et politique de tout bord, c’est le discours convenable et convenu qui nous est imposé.
Alors, que proposer dans ce contexte quand les grandes idéologies se sont étiolées ?
Comme toujours, il faut revenir à la source. Et la source, en France, c’est la République.
Mais, il faut je crois sortir d’une vision purement institutionnelle de la République. La République, ce n’est pas l’Elysée contre Buckingham. La République, c’est un espace public de débat démocratique entre les citoyens; et les limites de cet espace sont bien entendu définies par le débat lui-même. L’objectif ultime de ce débat étant de déterminer la loi. En dehors de l’espace de débat, tout le reste appartient à la sphère du privée.
La République ne peut donc admettre comme un postulat ou un dogme préalable, la domination du marché. Car, elle serait alors une République amoindrie, amputée. Elle priverait les citoyens d’une partie de leurs prérogatives. Certes, la République peut réserver un espace aux marchés, et même un espace important, mais elle le fait souverainement, en fonction de l’utilité commune. Elle peut réduire cet espace selon la nécessité publique légalement constatée et sous la condition d’une juste et préalable indemnité des individus qui pourraient s’en trouver lésés.
Bien sûr, cette possibilité d’intervention dans l’économie a d’abord une dimension sociale et si la République reconnaît la légitimité des distinctions qui reposent sur les vertus et sur les talents de chaque individu, elle proclame au préalable l’égalité en droit des citoyens . Elle doit se donner les moyens pour tendre vers cette égalité. Dans sa logique, la République ne peut donc être qu’une République sociale.
L’utilité commune peut aussi relever directement du champ de l’économie. Pour des raisons qui remontent loin dans l’histoire, la France est une Nation de rentiers, comme le disait Lénine dans une formule à la fois polémique et ramassée. Le rentier peut, à l’occasion, devenir agioteur et spéculateur. Mais dans l’ensemble il préfère sa tranquillité, ne pas prendre de risques. La bourgeoisie française, elle, a eu le rôle politique éminent, révolutionnaire, que nous lui connaissons. En revanche, elle n’a jamais fait preuve en tant que classe sociale d’un dynamisme économique autonome. Des individualités ont pu surgir, mais rien de comparable à la Hanse ou aux grandes compagnies commerciales anglaises. Toujours, l’Etat a dû impulser l’économie pour répondre aux défis imposés à la Nation successivement par les Provinces Unies, la Grande Bretagne et enfin l’Allemagne.
Cette attitude s’est prolongée en suscitant dans toute la population un dédain culturel pour l’industrie. La France n’a jamais vraiment aimé son industrie. Et quand est venu le moment où certains ont proclamé l’avènement de l’ère post-industrielle, la France a commencé à casser ses usines avec une certaine délectation. Seuls ceux qui craignaient pour leur emploi ont manifesté, parfois avec vigueur, souvent dans l’indifférence. L’industrie en France a toujours été entraînée par un Etat qui voulait maintenir sa puissance. Toutefois, et peut être paradoxalement, cet Etat a été aidé par ceux qui ont su rendre à la classe ouvrière sa dignité. Car, avec la classe ouvrière, l’industrie toute entière était réhabilitée. A cet égard, en dehors de son rôle dans la Résistance, le grand service historique que le parti communiste aura rendu à la France est cette réhabilitation concomitante de la classe ouvrière et de l’industrie. Le déclin de l’une a entraîné celui de l’autre et réciproquement.
Le rôle de la République dans l’économie ne peut pas se confondre avec le contrôle bureaucratique. Celui-ci n’est qu’une excroissance de l’Etat-gendarme cher au libéralisme. Les peuples possèdent en toute légitimité un droit d’ingérence économique, surtout quand il s’agit de choix décisifs pour leur avenir. Ils ont le droit inaliénable de défendre leurs intérêts économiques nationaux et de ne pas le subordonner au seul jeu des fusions-acquisitions. Au-delà de capacités d’expertise et de prospective, la République doit disposer des masses financières nécessaires à l’aménagement du territoire et au soutien des secteurs qu’elle juge importants.
A cette fin, la République s’est dotée d’un certain nombre d’outils, le principal étant constitué par les entreprises publiques. L’organisation de l’égal accès de tous les citoyens à des prestations de première nécessité, comme le transport, l’électricité, le gaz, la poste ou le téléphone, a conduit à la création de grands services publics nationaux. Jouissant d’un monopole légal, ils peuvent pratiquer la péréquation des tarifs sans craindre la distinction entre rentable et non rentable. Mais à Bruxelles, les intégristes du libre-échange veulent réduire la portée du service public en proposant le « secteur universel ». Celui-ci se contente de reprendre en fait le vieux principe : privatiser les profits, collectiviser les déficits.
Mais le service public (même le service public à la française), c’est bien autre chose que la seule assistance aux parties les plus défavorisées de la société. C’est l’instrument qui a permis, au cours des cinquante dernières années, de mener tous les grands programmes de modernisation de la France, de l’électronucléaire au TGV en passant par le téléphone. D’ailleurs, chacun sait que les nationalisations de 1982 ont sauvé un grand nombre des entreprises qui en ont bénéficié. L’histoire récente de Thomson multimédia est trop connue pour y insister : elle illustre l’efficacité de la gestion publique. Plutôt que de continuer à privatiser sans retenue, il vaudrait mieux déployer toutes les possibilités ainsi réunies pour surmonter les fractures grandissantes de notre société,notamment la fracture numérique.
Ainsi, loin d’opposer ambition nationale et coopération, il convient de proposer la coopération des ambitions nationales, en remettant au centre de la construction européenne la politique, la volonté et les projets. Comment ? En assignant à l’Union Européenne une forme confédérale, en lui attribuant seulement des compétences que les Etats souhaitent exercer en commun, en soumettant la Banque centrale européenne à un étroit contrôle de l’autorité politique, en fixant le cadre de coopérations renforcées à géométrie variable entre ceux des Etats qui souhaitent conduire des projets communs. Dans le domaine industriel, Ariane et Airbus préfigurent les programmes qui devraient être lancés.
L’Europe confédérale pourrait être élargie afin d’assumer la pluralité que notre continent tient de son histoire. Elle ouvrirait ainsi la voie à un monde multipolaire, à un monde qui ne serait plus dominé par une seule et unique hyper-puissance. Certes dans ce contexte, il faudra adapter les institutions européennes et je crois que la prééminence doit aller sans ambiguïté au Conseil représentant les gouvernements légitimement élus. Le Parlement Européen devra représenter les parlements nationaux, tant que ne sera pas constitué un espace public européen de débat.
Aujourd’hui, nous sommes devant une alternative. Soit, nous nous soumettons, nous acceptons le Marché comme une sorte de catégorie métaphysique, qui s’impose religieusement à nous et nous nous résignons à n’être bientôt plus qu’un appendice des Etats-Unis d’Amérique du Nord. Soit, nous nous engageons dans une construction européenne rénovée qui respecte les nations telles que l’Histoire les a forgées. Alors dans cette hypothèse, nous proposerons au monde cette République qui est le moyen trouvé par le peuple français pour tendre vers l’Universel.
Mais, avant tout et d’ici là, il faut de la volonté politique, une forte volonté politique. C’est bien aujourd’hui cette volonté politique qui manque le plus.
l faut réaffirmer que la tradition républicaine n’est pas antinomique avec la construction européenne.C’est pourquoi la France devrait prendre la tête, à mon sens de la républicanisation de l’Europe, en raison notamment de sa vocation universelle.
Elle peut apporter une certaine idée de la démocratie, de l’Europe des peuples face à une organisation politique qui est celle des princes et des monarques. Elle peut défendre ainsi une conception citoyenne de la vie publique. L’instauration de la souveraineté du peuple,faut il le rappeler, suppose que le peuple participe le plus largement possible à la vie publique, aux décisions publiques.
Mais alors se pose inévitablement la question fondamentale du divorce existant entre la République et l’Europe achoppant sur la question de la Nation.
Car il existe bien,aujourd’hui ,un sentiment de rébellion légitime contre une entité qui se construirait sans les peuples, nourrissant non pas un retour au sentiment national, mais du sentiment nationaliste.
A cet égard, il est très important de rappeler l’opposition radicale entre les deux conceptions de la Nation qui se sont affrontées au 19e siècle.
A la conception absolutiste, allemande, de la nation incarnée par Fichte, qui ne laisse aucune place au contrat, qui légitime la guerre entre les peuples, les Républicains français ont très tôt opposé un principe des nationalités, un sentiment de la Nation qui est moins dangereux.
Renan, par exemple, n’exclut nullement qu’une nation se manifeste par une histoire, par un territoire, par une langue, par un principe spirituel qui est l’âme des peuples, mais il ajoute la nécessité d’un contrat social renouvelé à chaque génération.
Deux peuples peuvent parler une même langue sans être une nation (USA/GB). A l’inverse, une nation peut être composée d’ethnies différentes comme la France ou réunir plusieurs langues comme la Suisse.
Fustel de Coulanges donne une définition amusante et ramassée de la Nation : « la Nation, c’est ce qu’on aime ».
La Nation se construit dans l’histoire. Mais le principe moderne, comme l’écrit Renan, c’est l’autodétermination des peuples : l’histoire plus la décision.
Il convient donc de trouver une bonne articulation entre les déterminants fondamentaux de l’histoire et la décision, qui se matérialisent par la constitution, le contrat.
Avoir un minimum de prospérité économique et de répartition ne suffit pas.
Même si nous sommes des agents économiques, des consommateurs, même si nous avons des intérêts privés qui ne se dissolvent pas entièrement dans ceux de la communauté, nous éprouvons une ardente nécessité de liberté, de démocratie et je dirais même de spiritualité. La mission de la France est donc de rappeler à l’Europe cette vie républicaine.
Eric FERRAND,
Conseiller de Paris,
Adjoint au Maire de Paris Chargé de la Vie Scolaire et de l’Aménagement des Rythmes Scolaires,
Conseiller Régional d’Ile de France.