LA POLITIQUE INDUSTRIELLE FRANCAISE

 

 

Le maintien et le développement de l'industrie en France et en Europe sont l'objet de préoccupations sinon de commentaires des plus hautes autorités de l'Etat. C'est ainsi que Jacques Chirac a rencontré, il y a près de trois  mois, neuf grands patrons français pour discuter du "maintien des activités industrielles en Europe". Le premier ministre, quant à lui, appelle les "entreprises et les salariés à mener le combat contre la désindustrialisation". Des journalistes comme Nicolas Baverez ou Jean-Marie Rouart dressent un tableau assez sombre de la France en général et de l'industrie française en particulier.

 Qu'en est-il ? L'activité industrielle est-elle en crise profonde ? Quel est le sort de l'emploi industriel ? Y a-t-il des remèdes ou mieux des solutions à long terme pour sortir de cette situation ? Que proposons-nous au MRC ?

 

Etat de l'industrie en France                                                                      

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 * La contribution du pôle industriel à la richesse nationale représentait 20,5 % du PIB en 1980; elle ne représente plus que 14,3 % du PIB en 2002. Ces chiffres qui traduisent une décroissance du poids de l'industrie, mesurée en francs ou euros courants, sont à relier à la baisse des prix industriels due à la concurrence mondiale et aux gains de productivité. Cependant, une évaluation en volume- euros constants- fait apparaître, pour la même période, une évolution de 15,6 % du PIB à 16,7 %.

Quant à l'emploi industriel, il présente, pour la même période, une baisse nette passant de 21 % à 14%., l'industrie française a perdu 90 000 emplois en 2002 et devrait perdre 60 000 emplois en Globalement 2003.

 Alors, déclin industriel ? Stagnation ? Il convient d'examiner quelques exemples significatifs.

 

 * Très récemment, on a assisté aux attaques contre deux fleurons industriels de la France. C'est d'abord l'OPA du canadien ALCAN sur PECHINEY afin de grossir le fabricant canadien d'aluminium; cette opération conduisant à terme à une réduction d'effectifs. Plus récemment, les avatars des plans gouvernementaux- soumis à la Commission de Bruxelles- pour sauver ALSTOM ont projeté au premier plan ce groupe industriel auquel on doit, en particulier, l'électrification du réseau ferré Un dépôt de bilan de ce groupe-phare de l'industrie française aurait mis fin à  l'emploi de près de 120 000 salariés dont 23 000 en France.

 

* Un autre exemple pour illustrer l'état de l'industrie provient du secteur textile. La "vieille industrie textile" semble avoir été bradée et ne constituer qu'une simple monnaie d'échange dans les transactions internationales. Un ministre de l'industrie ne déclarait-il pas, il y a dix ans, que "si nous voulons vendre des satellites et des Airbus il faut accepter de comprendre qu'ils seront payés en meubles, en vêtements et en bimbeloterie"...

 Malgré l'accord "multifibres" de 1973, dans le cadre du GATT, limitant les volumes d'exportation, la concurrence des pays émergents et de certains voisins européens ont ruiné des régions textiles du Nord et du Nord-Est (groupe Boussac). La filiale textile-habillement qui comptait, il y a trente ans, un million de salariés n'en compte plus, aujourd'hui que le cinquième de ce nombre. Les industriels français délocalisent brutalement, en transférant les sites de production ou de façon plus souple en recourrant à la sous-traitance à l'étranger.

 

* L'internationalisation croissante des grands groupes industriels, d'une part, et les délocalisations, d'autre part, ont considérablement augmenté les investissements à l'extérieur. C'est ainsi que les investissements français, hors du territoire national, ont dépassé 70 milliards d'euros en 2002. Mais si le mouvement n'est pas à sens unique- voir l'installation de TOYOTA en France- et si la France a accueilli plus de 52 milliards d'euros en investissements industriels en 2002, la balance reste globalement déficitaire. Enfin, il faut signaler les risques inhérents à ces investissements trans-nationaux: DAEWOO, dans le nord de la France, délocalisa après avoir bénéficié, pendant plusieurs années, d'investissements publics. 

 

* En trente ans, l'industrie a subi, en France et en Europe,

 de profondes transformations. Les cathédrales industrielles ont fait place à des unités flexibles qui emploient de moins en moins de personnes par unité. L'automatisation des tâches répétitives comme du contrôle de l'exécution des produits manufacturés ont fortement contribué à ce phénomène. La mondialisation du marché de la main-d'oeuvre, mettant en concurrence les pays bénéficiant d'une protection sociale élevée avec des pays émergents, a fait le reste.

 

* Ces transformations du tissu industriel ont eu des répercussions nettes sur l'emploi et contribué à la montée du chômage. Cette baisse de l'emploi se produit dans une conjoncture financière où la remontée de l'euro face au dollar pénalise les exportations, la plupart des monnaies, hors zone euro, étant alignées sur le dollar.

Documents MRC 

Sur ce contexte économique est venu se greffer, depuis juin 2002, une politique incohérente destructrice d'emplois. Le gouvernement, au lieu de se lancer dans une politique de grands travaux susceptible de faire redémarrer l'économie et au lieu de consolider la fonction publique afin de satisfaire au mieux les besoins de la population- en particulier en ce qui concerne l'éducation et la santé- torpille l'espoir de reprise en procédant à des dégraissages massifs dans le secteur public et en ménageant des cadeaux fiscaux aux plus fortunés....

 

Que faire  ?

 

Si l'on s'en tient aux déclarations répétées du premier ministre, relayant les préoccupations du MEDEF, les ratés de la politique de l'emploi seraient de la responsabilité des "faux chômeurs, faux RMistes ou faux malades". L'avenir de la France n'étant pas d'être "un immense parc de loisirs", il faudrait en somme remettre la France au travail. En découlent des mesures telles que la limitation à deux ans du versement de l'allocation spécifique de solidarité (ASS), jusque là versée aussi longtemps que le demandeur en fin de droits rechercherait un emploi. En 2004, 130000 chômeurs de longue durée basculeraient dans le RMI. Ces mesures sont supposées pousser les gens au travail en s'attaquant aux minima sociaux. De telles mesures font fi de quelques évidences:

   1) Il est faux de prétendre que les bénéficiaires des allocations chômage se complaisent dans cette situation. Selon une étude de l'INSEE un tiers de ceux qui acceptent de reprendre un  emploi assurent n'y avoir aucun intérêt financier et 12% déclarant, même, y perdre.

  2) La diminution du nombre de chômeurs que vise le remplacement du "welfare" [responsabilité de l'Etat dans la prévoyance sociale, les soins médicaux, l'aide aux chômeurs,...]  par un "workfare" où on renforce la conditionnalité des allocations à un travail effectif de façon à "rendre plus actifs" les bénéficiaires de transferts sociaux, dépend essentiellement du contexte économique et plus précisément, de la création d'emplois.

La création d'emplois, notamment dans le secteur industriel, dépend avant tout de la croissance. Celle-ci, liée à la compétitivité des entreprises, ne sera pas assurée seulement , du moins à moyen et long terme, par une simple diminution des charges, procédé qui trouve vite ses limites.  Les entreprises, pour assurer leur pérennité sur le long terme, doivent investir dans  la formation et l'innovation. C'est là que doit intervenir l'Etat afin d'assurer une progression de l'activité industrielle à long terme.

La formation

 La misère de l'enseignement supérieur français, en dehors de quelques formations d'élite, constitue un sérieux handicap. Selon l'OCDE, la France consacre moins de 8000 dollars par an à chacun de ses étudiants contre 9500 pour un étudiant anglais, un peu plus de 10 000 pour un étudiant japonais ou allemand, 18 000 pour un étudiant suisse et 19 000 pour un étudiant américain. Un effort réel d'investissement paraît nécessaire. Les travaux pratiques, l'accès aux outils informatiques performants, la formation dans les laboratoires de recherche,... tout cela nécessite des moyens en appareillages, logiciels mais aussi en subventions individuelles (bourses).

Documents MRCParallèlement à la formation générale, la formation continue, en plus de son rôle de moyen d'adéquation aux techniques industrielles en mutation, permettrait de contribuer à la diminution du chômage. Le rapport étant de près de trois pour les chances de trouver un emploi entre un diplômé de l'enseignement supérieur et un non-diplômé. Qu'elle soit dispensée dans un cadre privé ou public, la formation doit être axée sur les bénéfices qu'elle apporte, tant au niveau individuel que pour l'entreprise. Elle ne doit pas être soumise à des critères de rentabilité immédiate sous peine de bâtir des plans de formation aussi coûteux qu'inadaptés.

L'innovation

L'innovation, qui est une des clefs principales de la croissance et de l'emploi futurs, est en panne. En 2001, la France a déposé 4500 brevets aux Etats-Unis, comparée au Japon qui en a déposé 35 000, Taiwan, 6500 et la Corée, 3800. Les dépenses de Recherche et Développement stagnant à des niveaux plutôt bas; soit 2,1 % du PIB

en France contre 2,7 % aux USA, 3 % au Japon mais aussi 3,6 % en Finlande et 3,7 % en Suède.

Le rôle-clé joué par les achats et la recherche publics dans la domination technologique américaine est bien connu. En Europe, les principaux pays innovateurs (Finlande, Suède, Danemark, Pays-Bas) se distinguent par un niveau très élevé des dépenses publiques. Dans ce contexte, le gouvernement mène une politique en accordéon où l'annulation de 10 % des crédits de fonctionnement des organismes de Recherche, en mars dernier, est suivie quelques mois plus tard par la création d'un fonds de 150 millions d'euros destiné à financer des "actions prioritaires"..En fait, le gouvernement n'a pas de stratégie visible. De plus, le reproche fait à la recherche française d'être insuffisamment orientée vers les besoins du marché s'accompagne d'une baisse des crédits et des effectifs dans le domaine des sciences dures, notamment en Physique. Cette politique, plutôt "simpliste" perd de vue un certain nombre de points essentiels:

   1) Beaucoup d'applications, notamment en médecine "nucléaire" ont été possibles parce qu'une recherche fondamentale existait en amont. Des appareillages, utilisés largement aujourd'hui dans le diagnostic et la thérapie, ont été, à l'origine, des outils nécessités par la recherche fondamentale: accélérateurs de particules, chambres à fils, caméras à positons, IRM,...C'est donc un mauvais calcul de diminuer les moyens de la recherche fondamentale sous le prétexte d'alimenter en priorité la recherche appliquée.

  2) Les travaux des économistes de l'innovation ont amplement démontré que le lien entre croissance et recherche aux USA est la résultante d'un système d'innovation où le principal effort de recherche est à la charge des entreprises qui disposent cependant d'un environnement favorable au partenariat avec une recherche fondamentale et un enseignement supérieur puissants financés essentiellement sur fonds publics  par le DOE (Department of Energy) et la NSF ( National Science Fondation).

Documents MRC 3) La chasse au fonctionnaire-gaspi, lancée par le gouvernement, repose elle aussi sur une mauvaise analyse. Le statut de fonctionnaire dans la recherche n'empêche en rien d'améliorer la gestion de celle-ci. Au contraire, des "intermittents de la recherche" que le gouvernement veut créer, en substituant des CDD aux chercheurs-fonctionnaires qui partent, cela aurait pour effet de dynamiter le système en empêchant tout projet à long terme. L'amélioration de la capacité de la recherche publique à coopérer avec l'industrie est, avant tout, un problème de "management". Là encore, on pourrait s'inspirer d'expériences heureuses de coopérations entre les universités et les entreprises menées outre-atlantique (dans le domaine de l'informatique et de l'électronique, par exemple).

 

Comme on peut le voir, le "déclin industriel de la France" n'est pas quelque chose d'inéluctable. Les remèdes résident dans une politique industrielle ambitieuse et soutenue dans laquelle l'initiative publique en matière de développement technologique constitue le "terreau indispensable du développement futur" comme le déclarait Jean-Pierre Chevènement à Vincennes. Cette politique implique un effort accru dans le domaine de la formation, un renforcement significatif de la part de la Recherche dans le PIB le portant à 3 % comme il le suggérait à Vincennes et comme il l'avait programmé lors de son passage en 1981 au ministère de la Recherche; un plan de recrutement pluri-annuel des personnels de la Recherche devant accompagner les moyens financiers. Une amélioration de la gestion des organismes de recherche rendant plus efficaces les partenariats avec l'industrie ainsi qu' un effort symétrique du coté des entreprises très hésitantes à se lancer dans l'innovation devraient aussi constituer des moyens pour atteindre ce but. Enfin, un actionnariat stable, à l'abri des prédateurs boursiers, constitue une des conditions pour mener une politique industrielle qui s'inscrive dans la durée.