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POLITIQUE DU LOGEMENT : Pistes de réflexion

François MARTOT

 

 

Toute réflexion sur la politique du logement s'appuie sur :

-          un diagnostic

-          des principes d'action

-          des outils d'intervention

 

I – Le Diagnostic

 

La situation du logement en cette fin d'année 2005 relève du paradoxe : alors que la production globale des logements n'a jamais été aussi forte depuis plus de 20 ans – 360 000 logements en 2004 et plus de 380 000 en 2005 – alors que l'INSEE estime les besoins annuels à 320 000 – la perception d'une situation de crise grave ne cesse de progresser.

 

Ses indicateurs sont connus :

 

 

Cette situation contrastée qui prend à Paris une dimension toute particulière, fait écho à deux phénomènes que nous analysons depuis longtemps : la mondialisation de l'économie et le recul de l'Etat face au marché.

 

Ø La crise du logement est une nouvelle expression de la libéralisation et de la globalisation de l'économie. Le décalage entre l'offre et les besoins réels de logements ne peut en effet expliquer à lui seul la hausse des prix de l'immobilier. S'y ajoutent les multiples arbitrages qu'opèrent désormais les investisseurs institutionnels et particuliers entre les nombreuses possibilités de placements qui s'offrent à eux. Ainsi, l'effondrement de la nouvelle économie en 2000 a entraîné un important report de capitaux du marché des actions vers le marché de l'immobilier et donc une forte hausse des prix de l'immobilier.

Face à ces mouvements profonds, il est difficile de mobiliser les instruments macroéconomiques traditionnels. Si, d'un côté, la faiblesse historique des taux d'intérêt a stimulé les emprunts des institutionnels et des particuliers au point de générer une masse extraordinaires de liquidités qui alimente les bulles financières sur les marchés mondiaux du logement (mais aussi du pétrole), il n'est pas souhaitable d'un autre côté de riposter par une hausse des taux d'intérêt dans la zone euro, compte tenu de la faible croissance de sa production. Avec la libéralisation et la globalisation des marchés, les déséquilibres qui sont au cœur de l'économie mondiale se retrouvent aux niveaux les plus essentiels de nos vies quotidiennes.

 

Ø La crise du logement est également une crise des politiques publiques. Il ne s'agit pas de souligner ici la lente mise en œuvre des projets immobiliers publics et privés que l'on impute à l'administration. Bien sûr, les administrations françaises doivent acquérir, pour une plus grande efficacité, la culture de projet qui leur fait défaut; Mais les délais de réalisation des projets s'expliquent  par d'autres facteurs importants.

 

D'abord les carnets de commande des entreprises de BTP sont saturés et la pénurie de main d'œuvre que le secteur connaît n'incite pas à l'optimisme. Ensuite, les projets immobiliers ne sont plus ce qu'ils étaient souvent dans les années 1970, des grands ensembles construits hors de tout contexte en marge des villes. Intégrés dans la continuité du tissu urbain, ils doivent désormais s'inscrire, et c'est heureux, dans un temps relativement long, celui de la concertation et de l'évolution urbaine à rythme humain. Plutôt que l'inertie des projets immobiliers, c'est la mauvaise anticipation des besoins en matière de logement que nous devons pointer du doigt. Affaibli par une décentralisation mal conduite et par l'absence de volonté politique, l'Etat n'a tout simplement pas joué son rôle.

 

 

II – Les principes d'action

 

II.1 – Mieux articuler politiques urbaines, politiques de l'habitat et production de logements

 

L'explosion de la production en diffus est une caractéristique majeure de la production de logements en France.

Ses conséquences sont catastrophiques, elle est consommatrice d'espaces, génératrice de déplacements essentiellement automobiles et surtout très inflationniste comme l'atteste l'explosion du coût des terrains alors que la France est le moins densément peuplé des grands pays européens.

Ses causes sont pour partie conjoncturelles : relance de la construction, réorganisation des territoires et redéfinition des compétences dans un contexte de multiplication d'initiatives législatives qui se télescopent : loi SRU, mise en place des intercommunalités (lois Chevènement et Voynet), loi relative aux libertés et responsabilités locales qui ont radicalement modifié les réponses aux questions : qui fait ? comment fait-on ? En matière de planification urbaine, les outils d'intervention S.C.O.T., POS/PLU, PLH sont provisoirement "sens dessus dessous".

Mais les causes structurelles sont une des grandes défaillances de la société française qui ne s'est jamais donné les moyens politiques de maîtriser l'articulation propriété privée/ intérêt général.

Les marchés fonciers sont extrêmement opaques, ne permettant pas aux collectivités locales d'exercer dans des conditions satisfaisantes leur droit de préemption.

Le territoire national est encore très imparfaitement doté d'établissements publics fonciers capables d'être les opérateurs des politiques foncières des collectivités.

Les décisions des collectivités locales de rendre constructibles des terrains sont génératrices de plus value sur lesquelles elles n'ont aucune prise, selon la législation actuelle.

La fiscalité foncière est contre-productive puisqu'elle frappe faiblement la rétention foncière et plus fortement la mutation.

 

II.2 – Organiser les nécessaires solidarités

 

La loi de décentralisation de 1982 avait maintenu à l'Etat la compétence logement ; ce choix était logique : les politiques de l'habitat ne peuvent trouver leur cohérence qu'au niveau des bassins d'habitat. Or, à l'époque, entre le département et la commune, aucun centre de décision ne pouvait servir d'appui opérationnel à la mise en œuvre de telles politiques.

Ce n'est plus le cas depuis la loi Chevènement qui a organisé les territoires autour d'établissements publics de coopération intercommunale.

Bien qu'elles ne soient pas encore abouties, les mutations sont allées beaucoup plus vite que les plus optimistes ne l'avaient prévu : les politiques de l'habitat peuvent désormais être partiellement déléguées aux centres de décision opérationnels que sont en train de devenir les intercommunalités. Dans son principe, la délégation de compétence instaurée par la loi relative aux libertés et responsabilités locales n'est pas contestable, sous la réserve expresse qu'elle soit mise en œuvre dans la clarté des responsabilités et des moyens financiers, l'Etat demeurant garant de la solidarité nationale.

En dépit de l'article 55 de la loi SRU qui a le mérite d'exister, les mécanismes de solidarité intercommunale demeurent notoirement insuffisants.

Le pourcentage de logements sociaux, n'est pas un critère significatif du montant de la dotation globale de fonctionnement … principale ressource des collectivités.

Les exonérations de taxe foncière, consenties à juste titre aux opérateurs de logement social, sont très mal compensées.

L'obligation d'un seuil minimum de logements sociaux dans les opérations nouvelles, y compris quand elles se réalisent sur des terrains libérés par l'Etat ou des opérateurs publics, n'existe pas dans les communes soumises à l'article 55 de la loi S.R.U.

C'est dans ce contexte de solidarité financière intercommunale que doivent être mises en œuvre les délégations de compétence.

 

II.3 – Donner un contenu au droit au logement

 

Quelles qu'en soient les causes : inconfort, surpeuplement, précarité d'occupation, sans oublier les sans domicile fixe, plus de 3 millions de personnes sont mal logées ou non logées et il n'est pas si loin (2000) le temps où sous un gouvernement de gauche, on produisait 38 335 logements sociaux.

La production massive de logements sociaux qui doit notamment contribuer à rattraper les retards accumulés est une condition nécessaire à la mise en œuvre du droit au logement. Les 2 priorités précédentes (offre foncière et solidarité) doivent y contribuer. Un effort financier est également indispensable et la loi de programmation qui fixe des objectifs ambitieux (500 000 logements en 5 ans en métropole) verra ses chances de réussite accrues si les conditions financières de montage des opérations sont améliorées par une aide à la pierre accrue : le plan de relance de 2001 l'a prouvé : l'effet de levier de l'aide à la pierre est élevé. A minima, même à enveloppe financière constante des marges de manœuvre existent : l'Etat investit 25 Mds d'€uros dans le logement dont environ 2 Mds d'€uros pour l'aide à l'investissement locatif privé neuf (Besson, de Robien) qui produit des logements accessibles sans aucune condition de ressources, ce qui relève plus de la politique fiscale que de la politique du logement. Le recalibrage de ce dispositif est générateur de fonds disponibles pour l'aide à la pierre pour le logement social.

Le parc privé existant a toutefois un rôle complémentaire à celui du parc des bailleurs sociaux, sous la réserve expresse qu'il fasse l'objet d'un conventionnement de durée suffisante et que les aides publiques dont il puisse bénéficier soient soumises à des contreparties sociales (plafonds de ressources, plafonds de loyers adaptés aux marchés locaux).

Produire est une condition nécessaire, non suffisante pour garantir le droit au logement : la dérive des aides à la personne, ces dernières années le montre : le décrochage persistant de l'APL par rapport aux loyers pénalise les familles les plus fragiles qui supportent l'explosion des loyers engendrée notamment par la pénurie. Toute politique doit garantir une indexation IDENTIQUE pour les loyers et pour les aides.

Enfin, l'Etat doit assumer ses responsabilités face à des enjeux qui ne peuvent relever que de sa compétence financière : c'est notamment le cas de l'hébergement des demandeurs d'asile dont le nombre de places en centre d'accueil doit être doublé afin de libérer des capacités d'accueil en CHRS (centre d'hébergement et de réinsertion sociale), c'est également le cas de la lutte contre l'insalubrité où l'effort financier de l'Etat est notoirement insuffisant.

 

 

III – Les outils d'intervention

 

Ceux-ci sont regroupés ici en 12 mesures prioritaires, dont certaines sont d'ailleurs actuellement en cours de finalisation dans des projets de loi ou de décrêt :

 

III.1 – Mieux articuler politiques urbaines, politiques de l'habitat et production de logements

 

1 – Dans un contexte de redéfinition des compétences, l'intégration des objectifs des P.L.H; (programmes locaux de l'habitat) dans les outils de planification urbaine (S.C.O.T., P.L.U.) est une priorité absolue.

2 – Accélération de la vente avec décote des terrains de l'Etat en vue d'y réaliser des logements sociaux ; la décote pouvant ouvrir droit à des réservations de logements pour les fonctionnaires.

3 – Mesures incitatives à la mise en place d'établissement publics fonciers E.P.F., outil des collectivités locales en matière de politique foncière.

4 – Révision de la fiscalité foncière dans un sens qui pénalise la rétention des terrains inscrits dans les zones constructibles des POS ou PLU (par exemple hausse du foncier non bâti)

 

III.2 – Organiser les nécessaires solidarités

 

5 – Placer le nombre de logements sociaux dans les critères de calcul de la D.G.F. (source de financement banalisé, de droit commun des collectivités locales, option préférable à une augmentation de la Dotation de Solidarité Urbaine).

6 – Mettre en place un mécanisme significatif de compensation des exonérations de taxe foncière sur les logements sociaux, au bénéfice des communes ou EPCI concernés.

7 – Imposer un pourcentage de logements sociaux dans tous les permis de construire groupés des communes relevant de l'article 55 de la loi S.R.U. et sur les terrains cédés par l'Etat ou par des établissements publics.

8 – Elargir à l'ensemble de la région Ile de France (ou baisser le seuil à 1000 habitants) les exigences de l'article 55 de la Loi S.R.U.

 

III.3 – Donner un contenu au droit au logement

 

9 – Adopter les mêmes mécanismes d'indexation pour les loyers et les aides

10 – Utiliser pour la réussite quantitative du volet logement du plan de cohésion sociale, l'effet de levier d'une aide accrue à la pierre, notamment par réaffectation d'une partie des avantages fiscaux de Robien.

11 – Développer, au niveau des intercommunalités délégataires de la compétence logement, les outils de connaissance des besoins : observatoire de la demande, état de la vacance, évolution de l'offre.

12 – Fixer les étapes et les règles conduisant à un droit au logement opposable au même titre que le droit à l'éducation ou à la santé.