Remonter

 

Intervention de Jean-Pierre Chevènement

 

Université d’été du Mouvement Républicain et Citoyen

 

Perpignan, le 28 août 2005

 

 

Avec 500 participants notre Université d’été est un beau succès. C’est aussi une gifle pour tous ceux qui prétendent nous enterrer. Ils auront encore demain avec qui compter. Je veux remercier les organisateurs d’abord, particulièrement Margarita Modrono, Marinette Bache, Odile Tissot, Chantal Decosse, et bien sûr aussi le secrétariat national, en premier lieu Georges Sarre et Jean-Marie Alexandre, ainsi que les intervenants extérieurs qui nous ont fait le plaisir d’être parmi nous. Ce matin André Gérin du PCF, Marc Dolez et Liem Hang-Ngnoc du PS. La qualité des interventions et des rapports présentés tout à l’heure par des militants jeunes mais déjà aguerris montre la vitalité du MRC et sa capacité à fournir un cadre d’orientation et de réflexion performant.

 

 

I – Après le 29 mai.

 

Le 29 mai, le peuple français a rejeté massivement à près de 55 % des voix, non pas l’idée européenne, mais la manière dont l’Europe a été faite dans le dos des peuples. Il a fait éclater l’hypocrisie des classes dirigeantes qui ont entendu, à chaque phase, le placer devant le « fait accompli », sans lui indiquer l’objectif vers lequel elles voulaient le conduire. Trois jours plus tard le peuple hollandais a écarté encore plus massivement le projet de Constitution européenne. Les peuples refusent une organisation fondamentalement libre-échangiste qui ne les défend pas dans une compétition mondiale sans règles. Ils veulent avoir barre sur les décisions qui les concernent.

 

Le 29 mai a posé avec force le problème de la démocratie et de la République. Cette victoire du non, le MRC peut en être légitimement fier, non seulement par la contribution qu’il y a apportée, en menant campagne en faveur du « Non républicain », mais surtout parce que sans la bataille conduite depuis 1992 contre le traité de Maastricht, jamais le « non de gauche » et même le « non socialiste » ne seraient devenus majoritaires en France. Nous avons résisté, préférant quitter le parti socialiste plutôt que d’y laisser étouffer notre voix et nous avons bien fait car notre combat si longtemps solitaire, n’aura pas été vain. Pour autant, rien  n’est définitivement acquis.

 

L’Establishment, sonné, n’a pas renoncé à son projet de mise en tutelle de la volonté populaire : les ratifications ont été seulement suspendues jusqu’à la fin de 2007, après les élections présidentielles et législatives françaises.

 

Une chose doit être claire en effet : il ne saurait être question de réintroduire par la fenêtre ce qui a été sorti par la grande porte par le suffrage universel : l’idée même d’une Constitution européenne. Vingt-cinq peuples n’ont pas besoin d’une Constitution. De bons traités suffisent. Une « Constitution » ne saurait être aujourd’hui qu’un carcan pour l’expression de la volonté populaire et le paravent de manipulations antidémocratiques. La seule priorité doit être la renégociation des traités existants : liberté des coopérations renforcées entre peuples volontaires et mise sur pied d’un « gouvernement économique » de la zone euro. Pour en convaincre les peuples concernés, le gouvernement français a un devoir essentiel à assumer : c’est là-dessus que notre peuple devra se prononcer. Tel est le sens que doit revêtir la prochaine élection présidentielle.

 

L’idée d’une « Constitution européenne » n’a pas de sens du point de vue de la démocratie car elle correspond à l’idée d’un peuple européen unique qui n’a pas de réalité, dans l’état actuel des choses : la volonté de ne faire qu’un seul peuple n’existe pas dans une Europe dont on ne connaît même pas les contours. L’idée d’une Assemblée Constituante impliquerait une révolution des esprits et une convergence des volontés parallèle au sein des vingt-cinq peuples composant l’Union européenne. Cette idée, séduisante sur le papier, n’est pas réaliste. Aucun peuple en Europe n’est aujourd’hui prêt à renoncer à sa souveraineté. L’Europe doit se construire avec les peuples réellement existants et non pas contre eux, voire sans eux.

 

Ainsi l’idée que propose François Hollande de transformer le Parlement européen, qui sera élu en 2009 en Assemblée Constituante, relève-t-elle du subterfuge : elle vise, par une démarche captieuse, à imposer aux peuples ce que, pris séparément, ils refuseraient.

 

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C’est donc un changement de méthode que nous proposons pour permettre à la construction européenne de progresser avec la volonté populaire, telle qu’elle est exprimée par les peuples et non pas contre elle. Ce changement de méthode est la conséquence directe du 29 mai. Plus rien en Europe ne doit jamais être comme avant. Le temps est fini où l’Europe servait de justification pour passer aux peuples une camisole de force. L’Europe doit se construire dans le prolongement des nations, car celles-ci sont les seules réalités historiquement constituées à l’intérieur desquelles la souveraineté populaire peut s’exercer et où la loi de la majorité s’impose naturellement. Il faut non pas nier les nations, cadres irremplaçables de démocratie et de solidarité, mais les associer dans un projet partagé, bref les solidariser. C’est dans cette entreprise que l’actuelle construction européenne a échoué, par excès et précipitation : excès, car les immenses pouvoirs qui ont été transférés à Bruxelles ont été détournés à des fins de mise en conformité avec les règles faussées d’une mondialisation libérale dans laquelle les peuples ne peuvent se reconnaître. Précipitation, car l’extension continue de l’Europe vers l’Est n’a pas correspondu à une volonté d’indépendance européenne, mais à la soumission de l’Europe à une volonté extérieure, celle des Etats-Unis, seulement désireux d’assurer leur leadership sur l’Europe pour dominer l’Eurasie tout entière.

 

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Pour autant maints problèmes se posent aujourd’hui à une échelle qui dépasse les nations : mais la mondialisation, qui ne date pas d’hier, n’est pas une raison suffisante pour dissoudre les nations et faire litière de la volonté des peuples : on peut très bien concevoir des délégations de compétences à un échelon supranational, qu’il soit européen ou mondial, dès lors que ces délégations de compétences sont convenablement ciblées et demeurent contrôlées démocratiquement. La mondialisation ne périme nullement les luttes sociales et politiques. Mais ces luttes sont-elles jamais restées confinées à l’intérieur d’un seul pays ?

 

L’organisation d’un pouvoir européen doit aussi permettre un nouvel équilibre du monde. Mais rien de tel n’a été réellement entrepris. Ainsi le pouvoir monétaire a-t-il été transféré en totalité et sans aucun contrôle à une Banque Centrale Européenne indépendante qui ne manifeste aucun souci de la croissance, de l’emploi, et même du rééquilibrage de la puissance du dollar à l’échelle mondiale. Aucun contrôle populaire ne peut s’exercer sur sa politique. Toute influence d’une instance élue par le suffrage universel est même solennellement prohibée par le texte des traités européens.

 

1.        Nous sommes des euroréalistes : nous tenons compte du fait que les choses ne sont plus aujourd’hui ce qu’elles étaient en 1992 : l’euro existe, même si son cours reflète passivement les orientations de la politique monétaire américaine, et si ses règles de fonctionnement reposent sur des mécanismes aveugles (le pacte de stabilité budgétaire). La zone euro est une zone dépressionnaire au plan économique. Le réalisme aujourd’hui commande de la doter des institutions et des politiques qui permettront une relance durable de son économie. La zone euro (300 Millions d’habitants) avec en son cœur le noyau fondateur des Six (225 Millions d’habitants) est la locomotive dont l’Europe entière a besoin, aussi bien les pays restés en dehors de l’euro (Grande-Bretagne, Suède, Danemark) que les PECOs ou que les partenaires proches (Russie, Maghreb, etc.). Une instance politique informelle – l’Eurogroupe – réunit les ministres des Finances des Douze (les Six plus l’Espagne, le Portugal, la Grèce, l’Autriche, l’Irlande, la Finlande). Dès lors que les statuts de la Banque Centrale seraient réformés, l’Eurogroupe associant les chefs d’Etat et de gouvernement pourrait se voir attribuer, par un nouveau traité, une compétence en matière monétaire et de politique de change, un rôle de coordination budgétaire se substituant au pacte de stabilité et une compétence en vue d’assurer une convergence fiscale et sociale progressive entre les Douze.

 

Dès lors que les compétences de l’Eurogroupe et de la Banque Centrale auraient été ciblées par la définition d’objectifs clairs (croissance, emploi, rôle international de l’euro), il devrait être admis que, sous le contrôle des Parlements nationaux, les décisions pourraient s’y prendre selon des règles de majorité qualifiée. Cette mise en commun, qui  peut être critiquée du point de vue d’un intégrisme souverainiste qui n’est pas le nôtre, se justifie doublement : elle serait un réel progrès par rapport à la situation actuelle. Par ailleurs, l’Eurogroupe embrayerait sur le noyau homogène de l’Europe, celui à l’intérieur duquel les hommes ont depuis des siècles l’habitude de travailler étroitement ensemble.

 

En troisième lieu, un « droit de sortie » serait accordé à chaque pays, au cas où il jugerait ses intérêts vitaux compromis : il faut parier qu’une telle clause ne sera jamais utilisée, la participation à une monnaie mondiale, avec les avantages qui en découleraient, apparaissant préférable à un statut de dépendance monétaire. Notre dernier Congrès, dit de la Bidassoa, a d’ailleurs expressément prévu la nécessité de renforcer les pouvoirs de l’Eurogroupe. Il convient donc de ne pas durcir excessivement les oppositions qui existent dans la gauche sur ce sujet mais d’en débattre de manière constructive et approfondie. Le bon sens finira par triompher.

 

 

2.        Par ailleurs, l’assouplissement radical des coopérations renforcées qui pourraient se nouer entre un petit nombre de pays, dès lors qu’elles respecteraient les acquis communautaires et resteraient ouvertes à d’autres pays, permettrait de construire un acteur européen stratégique à géométrie variable à l’échelle mondiale. Rien n’interdit non plus en matière de politique étrangère et de défense notamment, ou de coopération énergétique ou économique, la conclusion d’accords intéressant les partenaires de la politique dite « de grand voisinage » (Russie-Maghreb).

 

Ainsi l’Europe avancerait en s’appuyant sur la volonté des peuples. Ceux qui mettent en avant le risque de voies divergentes au sein de l’Union européenne sont en réalité les tenants de l’hégémonie américaine. Il n’y a aucun inconvénient bien au contraire, à laisser se construire, pas à pas, une organisation de l’Europe diversifiée qui tende à affirmer son indépendance, non pas contre les Etats-Unis mais indépendamment d’eux. C’est même la seule voie réaliste qui permette, à l’opposé des chimères supranationalistes, l’émergence d’un acteur stratégique européen indépendant. Certes, cela prendra du temps : mais il y a plus d’un demi-siècle que la construction européenne a été engagée et il s’agit aujourd’hui de la réorienter avec ceux de nos partenaires qui le souhaiteront. Cette réorientation sera favorisée par l’inévitable distanciation des Etats-Unis par rapport à l’Europe dans les années qui viennent, du fait de leurs engagements dans d’autres parties du monde. Ainsi la République pourra-t-elle affirmer une dimension à la fois française et européenne sans déroger aux principes de la souveraineté populaire et de la démocratie. Cette démarche implique seulement de privilégier le contenu par rapport à la forme, et de faire passer le projet avant la mécanique institutionnelle.

 

 

 

II – Remettre la France dans l’axe de la République.

 

Dans le désert des grandes ambitions collectives, face à la sourde désespérance que nourrit dans l’esprit public la vacuité des perspectives offertes par les grands partis dits « de gouvernement », dont les directions ont été sèchement désavouées par le suffrage universel, plus que jamais il importe de faire retour à la République. C’est elle qui, depuis deux siècles, donne sens à notre Histoire et aux luttes pour la démocratie politique, le progrès social, l’indépendance nationale et la fraternité internationale des peuples qui ont fait et font le meilleur de la France. Dans ce monde injuste, violent, manipulé, voué par des prophètes de malheur au « choc des civilisations », la voix de la République, qui est aussi celle de la France, doit parler pour l’Humanité. Encore faut-il faire retour aux principes car aucune politique ne portera loin si elle ne s’enracine pas dans des valeurs simples et claires.

 

 

A)    Réaffirmer les principes républicains

 

1.    Foi dans l’Homme et dans la raison humaine d’abord, sans laquelle rien n’est possible et qui est l’âme même de la démocratie issue des Lumières. Telle est la mystique républicaine qu’on ne saurait confondre avec un rationalisme étriqué ou un ratiocinement politicien. C’est cette généreuse confiance dans la capacité de l’Esprit humain à s’affranchir de l’ignorance et de la superstition qui constitue le socle de la République. Cette croyance en la vérité et en la justice est le repère qu’une démocratie vivante doit être capable de maintenir envers et contre tout : conditionnement de l’opinion et manipulations en tous genres (Jaurès : « Par la constance de notre désintéressement, fatiguer le doute de nos concitoyens »). Si ce repère venait à s’effacer, ce serait la fin de la République elle-même, une véritable capitulation devant les forces de l’obscurantisme, toujours promptes à se maquiller aux couleurs de la modernité.

 

2.    Souveraineté populaire.

 

Le peuple est le creuset de la « volonté générale ». La République française marche au projet, et c’est ce projet que le débat républicain doit faire vivre dans le Peuple. Le Peuple souverain est, en République, la source de tout droit. Aucun organe ne peut s’attribuer un monopole d’interprétation de la loi ou des droits fixés par elle. En dernier ressort, c’est toujours au Peuple souverain qu’il appartient de trancher. Ce rappel est nécessaire pour contrebattre le rôle des instances juridictionnelles non élues aussi bien que des institutions internationales auxquelles des « abandons de souveraineté » ont été consentis dans la plus totale opacité. Le peuple souverain peut reprendre les compétences qu’on lui a soustraites. La souveraineté nationale et la souveraineté populaire ont contracté en France un mariage séculaire.

 

Cela signifie-t-il qu’en dehors du peuple français constitué par l’Histoire, aucune mise en commun de compétences juridiques ne puisse s’effectuer et donc aucun pouvoir légitime s’exercer ? Telle n’est pas ma thèse, mais une  délégation de compétences ciblée et démocratiquement contrôlée et de surcroît révocable ne peut pas être confondue avec un transfert de souveraineté irrévocable. La souveraineté du Peuple ne se transfère pas, sauf à dissoudre le peuple lui-même. Notre première responsabilité, qui ne nous dispense pas des autres, nous l’assumons devant le Peuple français.

 

Nous sommes des patriotes. Nous croyons à la nation : déjà nous sentons le souffre ! Nous sommes attachés à la Marseillaise et même nous refusons de faire à nouveau monter Jeanne d’Arc sur le bûcher : il n’en faut pas davantage pour nous faire taxer de lepénisme. Pourtant les choses sont claires et nous entendons maintenir le repère essentiel qui est la nation républicaine.

 

On ne peut faire litière de l’Histoire et des nations qu’elle a constituées. Renan a donné de la nation la plus forte définition dans sa Conférence de 1882 : « un principe spirituel… à la fois legs de souvenirs partagés et volonté de faire fructifier l’héritage reçu indivis ». On oppose trop souvent la nation idéale selon Rousseau, « ensemble de citoyens en corps » et la nation réelle, telle que l’Histoire l’a façonnée. Cette opposition est sommaire, et pour tout dire réductrice. Aucune nation n’existe dans le ciel des idées. Mais il faut éviter de confondre le concept d’une nation définie par l’ethnicité ou une culture fermée et la nation républicaine, capable d’agréger sans cesse de nouveaux citoyens. Si l’héritage – le passé - reste « structurant », l’idée de la citoyenneté est motrice, car l’avenir d’une nation dure plus longtemps que son passé. La souveraineté populaire s’enracine ainsi dans la réalité des peuples, mais ouvre naturellement sur l’Universel.

 

Cette conception « républicaine » et ouverte de la nation ne fait pas obstacle, bien au contraire, à des formes poussées de coopération internationale. Renan évoquait lui-même en 1882 l’idée d’une « Confédération européenne ». Cette conception implique le renforcement du contrôle des Parlements nationaux sur l’exercice par les institutions européennes ou internationales des délégations qui leur ont été confiées. 

 

On peut aussi chercher à fortifier un « espace commun de débat » à l’échelle de l’Europe, tel que l’évoque Habermas, en sachant qu’un tel espace se constate et ne se suppose pas. L’Europe doit se faire avec ses nations, c’est-à-dire à géométrie variable, au rythme et selon les modalités voulues par chacune d’elle.

 

3.    La souveraineté populaire a pour corollaire la citoyenneté : chacun en République est une parcelle du Souverain. Seule une citoyenneté active peut nourrir l’élan de la démocratie. La citoyenneté implique une liberté entière d’expression. Elle confère des droits. Elle implique aussi des devoirs. Il n’y a pas de citoyenneté sans responsabilités. La citoyenneté constitue donc un équilibre indissociable de droits et de devoirs. Rien n’est plus opposé à la citoyenneté que l’idée d’un assistanat généralisé.

 

4.    Nourrie par le débat républicain, la citoyenneté s’exerce dans un espace laïc soustrait à l’empire des dogmes. La laïcité n’est pas dirigée contre la religion, quelle qu’elle soit. Elle fait confiance à la raison naturelle pour que tous les citoyens, quelle que soit leur appartenance religieuse ou philosophique, ou leur origine sociale ou ethnique, puissent se déterminer ensemble sur le contenu du « bien commun ». La laïcité s’oppose naturellement à toutes les formes d’intégrisme ou de repli communautariste.

 

5.    Tous les citoyens sont égaux devant la loi. L’autorité de la loi, égale pour tous, est la base même de la République. Celle-ci est un régime de liberté puisque la loi, expression de la volonté générale, est collectivement délibérée et qu’en dehors de la loi, « la liberté est la règle ». Mais si la République est un régime de liberté, elle n’est pas un régime de faiblesse. Le droit à la « sûreté », aussi bien vis-à-vis d’un Etat oppressif que vis-à-vis des atteintes délictueuses aux biens et aux personnes doit être garanti. La « sûreté » est la condition de l’exercice de toutes les libertés. L’ordre républicain ne se confond ni avec l’idéologie sécuritaire ni avec l’angélisme. Une police républicaine veille à la fois à la prévention et à la répression des délits et des crimes. Elle rejette les démagogies opposées du « tout répressif » et du « tout éducatif ». Le gouvernement actuel a vidé de l’essentiel de son contenu la police de proximité. C’est cela qu’il faudra corriger, car le rapport de la police et de la population doit être en République un rapport de confiance. Cette police de proximité n’est nullement incompatible avec la réduction des « noyaux durs » de la délinquance. De même, aucune faiblesse ne devra se manifester à l’égard des menées terroristes, d’où qu’elles viennent.

 

6.    La citoyenneté implique l’Ecole.

 

Au cœur de la République, il y a le citoyen éclairé par l’Ecole. Telle est la mission de l’Ecole laïque rendue plus nécessaire par la dérive des médias : former le citoyen et l’esprit critique en transmettant le savoir et la culture et en faisant, pour le pays tout entier, le pari sur l’intelligence. La transmission des savoirs doit être remise au centre de l’Ecole. L’acquisition des savoirs, notamment des savoirs fondamentaux, et d’abord du français  à l’Ecole primaire, ne va jamais sans effort. Une Ecole exigeante est dans l’intérêt des enfants issus des couches populaires, car ils ne peuvent trouver ailleurs les soutiens nécessaires. L’idée d’une Ecole au rabais, se contentant de faire acquérir aux élèves un « socle commun de connaissances », n’est pas une Ecole républicaine. Celle-ci doit permettre à chacun d’aller au bout de ses possibilités, assurer, selon la formule de Paul Langevin, « la formation de tous et la sélection des meilleurs », formule qui définit exactement « l’élitisme républicain ». La loi Fillon devra, à cet égard, être réformée. Ce dont l’Ecole républicaine a besoin, c’est d’une véritable révolution culturelle au sein même des structures administratives de l’Education Nationale, excessivement pénétrées par une idéologie « pédagogiste », dont l’échec est avéré depuis longtemps. Cette révolution ne pourra venir que des enseignants, de leurs associations et de l’Etat républicain lui-même. L’instruction civique et morale devra enfin être relancée. Nos jeunes doivent se pénétrer de l’esprit de la loi républicaine, règle délibérée en raison qui affranchit des dogmes et libère de la loi du plus fort.

 

7.    L’égalité est le cœur de la devise républicaine : En chacun sommeillent d’immenses potentialités. La République sociale implique que l’égalité des chances devienne pour tous réalité. Le droit au travail, le droit à la formation tout au long de la vie, le droit au logement doivent être garantis. Les intérêts du monde du travail et les intérêts du pays ne sont pas substantiellement différents. La revalorisation du travail est la première priorité. J’avais proposé en 2002 que les charges patronales glissent vers la TVA et les charges salariales vers la CSG. Cette proposition est toujours d’actualité pour nourrir une forte augmentation des salaires directs. Il est temps de rétablir le lien entre la productivité et les rémunérations et de rétablir la part des salaires dans le PNB. Le droit au travail doit être réhabilité, l’ascenseur social remis en marche. L’inégalité sociale devant les études doit être énergiquement combattue par une politique de bourses et par des préparations aux concours de la Fonction publique rémunérées, sur le modèle des IPES, dès lors que les intéressés s’engageront à servir l’Etat pendant une période de dix ans. Ce sera le moyen d’assurer l’accès de tous sur la base du seul mérite aux emplois publics. La République sociale doit aller de pair avec une économie dynamique. C’est pourquoi politique sociale progressiste et politique économique active sont indissociables (cf. mobiliser tous les atouts de la France :(C).

 

 

B)            Rééquilibrer les institutions : un régime présidentiel rationalisé.

 

1.    Tirer toutes les conséquences de l’instauration du quinquennat.

 

La situation actuelle est profondément insatisfaisante. La Constitution de 1958 prétendait instaurer un « parlementarisme rationalisé ». La pratique a débouché sur un régime présidentiel déséquilibré. L’adoption du quinquennat a abouti à une concentration des pouvoirs encore accrue. Pour revaloriser le rôle du Parlement, il faut aller dans le sens d’un régime présidentiel rationalisé, où le Premier ministre et le gouvernement seront nommés par le Président de la République et ne procèderont plus d’une majorité parlementaire. Il faut, à cet égard, mettre le droit en conformité avec la réalité. Il ne paraît pas possible en effet de revenir sur l’élection du Président de la République au suffrage universel ni de le confiner, comme certains le proposent, à un rôle purement honorifique. Mieux vaut aller dans le sens d’un régime présidentiel en faisant procéder la nomination du Premier ministre et de son gouvernement du Président de la République, et en supprimant l’article 49-3 de la Constitution qui permet l’adoption d’un texte de loi, sauf adoption d’une motion de censure par l’Assemblée Nationale. Mais comme il faut éviter que le système ne se bloque, le droit de dissolution (à la disposition du Président de la République) et la motion de censure du Parlement à l’égard du gouvernement seraient maintenus comme deux soupapes de sécurité. Mais la Constitution, dans cette hypothèse, devrait prévoir que l’un comme l’autre, en cas de conflit, soient renvoyés simultanément devant le suffrage universel. Ainsi le Président de la République et le gouvernement d’une part et le Parlement d’autre part seraient-ils incités à coopérer et le peuple serait assuré de trancher les conflits en dernier ressort. Les pouvoirs de contrôle du Parlement pourraient ainsi être renforcés. Ce ne serait pas une VIème  République, mais une Vème rééquilibrée.

 

2.    Parallèlement le mode de scrutin pour l’élection des députés serait réformé, de façon à rendre l’Assemblée Nationale plus représentative : un mode de scrutin à l’allemande, combinant l’élection dans le cadre de circonscriptions et une dose de proportionnelle permettrait de parvenir à cet objectif, sans faire des députés les simples délégués des partis politiques.

 

 

C)           Mobiliser tous les atouts de la France.

 

Jean-Yves Autexier a, hier matin, développé excellemment le projet républicain exigeant du MRC. Je me bornerai à reprendre quelques points :

 

1.    La réforme des prélèvements obligatoires doit servir un double objectif d’efficacité économique et de justice sociale.

2.    L’égalité homme-femme doit être promue systématiquement.

3.    L’épargne doit être détournée des placements spéculatifs et canalisée vers l’investissement productif.

4.    La hausse des taux d’activité sera encouragée par la mise en œuvre d’une retraite progressive et par une politique permettant aux femmes de pouvoir mieux concilier une activité professionnelle avec leur désir d’enfants (crèches, assistantes maternelles, etc.). On sait que ce désir est aujourd’hui loin d’être satisfait.

5.    Appuyée sur l’épargne collective et sur un secteur public redynamisé, la politique industrielle sera relancée.

6.    La politique agricole sera maintenue et réformée, dans un sens favorable aux exploitations moyennes.

 

 

D)           Les services publics seront revalorisés et leurs missions redéfinies.

 

Les services publics sont le socle de la compétitivité  d’un pays moderne.

 

1.    La priorité ira à l’éducation, à la formation continue, à l’université qui en a grand besoin et à la recherche.

2.    Une politique énergétique répondant aux besoin du pays et respectueuse de l’environnement mettra l’accent sur les énergies nouvelles, y compris les réacteurs nucléaires de nouvelle génération (EPR, puis réacteurs hybrides), la biomasse, les économies d’énergie et la recherche concernant le traitement des déchets nucléaires ultimes et les énergies du futur (hydrogène, fusion). Une politique gazière sera élaborée à l’échelle européenne, en coopération avec la Russie et les pays du Maghreb.

3.    La priorité à la réduction des gaz à effet de serre doit également se décliner en matière de transports (nouvelles infrastructures fluviales et de chemins de fer, lignes à grande vitesse, développement du ferroutage).

4.    La politique de santé mettra l’accent sur la prévention et l’éducation à la santé.

5.    La retraite par répartition sera maintenue.

6.    L’immigration, quand elle est définitive, doit aller de pair avec l’intégration républicaine. Elle suppose l’accès égal à la citoyenneté et le respect de ses valeurs et de ses règles. Des migrations temporaires peuvent et doivent faire l’objet d’une politique de coopération avec les pays d’origine.

 

Toutes ces politiques permettront de marquer les repères de la citoyenneté, ceux d’une République forte.

 

 

 

III – La France a besoin d’un projet national en Europe et dans le monde.

 

Ce n’est pas parce que notre pays ne compte que 62 millions d’habitants qu’il est devenu  une puissance négligeable, comme on nous le serine depuis M. Giscard d’Estaing. La France, par sa géographie, son histoire, sa culture, garde un pouvoir d’orientation majeur en Europe et dans le monde. On l’a vu dans l’affaire irakienne où le bien-fondé de la politique étrangère impulsée par le Président de la République n’est plus contesté alors que ce malheureux pays sombre dans la violence et dans le chaos. On le voit dans la construction de l’Europe où l’impulsion de la France depuis un demi-siècle a été et reste décisive.

 

 

A)    En Europe.

 

Le coup d’arrêt mis le 29 mai à la dérive libérale et bureaucratique de la construction européenne n’est pas le refus de l’Europe. Il impose de repartir sur des bases nouvelles, en s’appuyant sur la volonté des nations. Redynamiser l’économie européenne, resserrer les solidarités au sein de l’Europe, affirmer l’émergence d’un acteur européen stratégique indépendant dans le monde multipolaire de demain, tels sont les trois objectifs d’une politique française redressée, s’appuyant sans réticence sur la volonté populaire. On attend du gouvernement français qu’il prenne l’initiative d’un mémorandum qui traduise en termes politiques clairs les exigences du suffrage universel, tel qu’il a été exprimé le 29 mai. Il ne suffit pas d’évoquer « un gouvernement économique » de la zone euro. Il faudra placer chaque pays partenaire devant des propositions concrètes et initier un débat à l’échelle européenne. Or ni le gouvernement ni la direction actuelle du parti socialiste ne prennent ce chemin. Nous refusons l’immobilisme : l’Europe et la France n’ont pas de temps à perdre. Il ne saurait être question de rester l’arme au pied jusqu’à la fin 2007.

 

 

B)     Dans la mondialisation

 

La pensée dominante nous présente la mondialisation actuelle comme une nécessité à laquelle on ne pourrait se dérober. A peine François Hollande, dans sa contribution, a-t-il évoqué la nécessité d’une « régulation internationale visible et cohérente ». La Hollande est un pays plat. On dit « le plat pays » mais elle ne manque pas de caractère – on l’a vu le 1er juin -. Nous aurions aimé que François Hollande retienne le caractère plutôt que la platitude ! Certes Laurent Fabius pose-t-il clairement un choix entre un « réformisme d’accompagnement voire même de résignation face au libéralisme et à ses dégâts » et « un réformisme de transformation » … « visant à gouverner la mondialisation ». Mais le moins qu’on puisse dire est que l’analyse de la mondialisation chez les principaux leaders socialistes est inexistante, ou superficielle. Les analyses socialistes font l’impasse sur les contradictions du capitalisme globalisé (domination de marchés financiers essentiellement spéculatifs, déficit structurel massif de la balance commerciale américaine, fragilité du dollar, etc.), et plus encore sur les impasses de la politique américaine actuelle caractérisée par une fuite en avant irresponsable dans une stratégie de domination à l’échelle mondiale, notamment par le contrôle des sources d’énergie, qui débouche aujourd’hui sur un enlisement spectaculaire au Moyen-Orient.

 

Rien n’est dit sur les dangers de la politique extérieure de l’Hyperpuissance et le risque qu’elle entraîne l’Europe à sa suite dans une « guerre des civilisations ». Il est certes juste de dire que « le capitalisme financier veut coloniser la planète ». Mais il faut bien davantage mettre en valeur les marges de manœuvre que nous offrent les contradictions du système capitaliste globalisé pour avancer des propositions concrètes nous permettant d’échapper à la domination des marchés financiers et aux oukazes de l’Hyperpuissance. Enfin, il est regrettable que les socialistes s’avèrent généralement incapables d’établir un bilan des vingt dernières années écoulées et de la part qu’ils ont prise dans l’établissement d’un capitalisme mondialisé asservi à la seule logique des marchés financiers. Certes nous ne demandons pas un acte de repentance mais seulement une prise de conscience permettant d’opérer sur des bases solides les redressements nécessaires :

 

1.      Refus d’engager l’Europe derrière les Etats-Unis dans une politique d’escalade militaire au Moyen-Orient qui rendra plus difficile la solution des problèmes actuellement pendants (Proche-Orient, Irak).

2.      Renforcement du « camp de la paix » à l’échelle mondiale.

3.      Promotion du rôle de l’euro comme monnaie de réserve internationale en coopération avec la Russie, la Chine, et l’ensemble des pays soucieux de combattre la « dollarisation du monde ».

4.      Remise en cause de la théorie de « l’acquisition de la valeur pour l’actionnaire » et contrôle des marchés financiers :

·        Contrôle des OPA à l’échelle européenne, sinon nationale ;

·        Développement, au plan national, des noyaux d’actionnaires stables à travers l’intervention d’organismes comme la Caisse des Dépôts et Consignations, un secteur public restauré et la montée en puissance de l’actionnariat salarié dans le capital des entreprises selon des modalités à déterminer. L’affirmation franche d’un « patriotisme économique » se heurtera toujours à l’hostilité des milieux financiers et des sociétés multinationales qui entendent seulement mettre en concurrence les territoires et les mains d’œuvre pour mieux exploiter la force de travail. Raison de plus pour promouvoir cette idée dans les opinions publiques.

5.      Il faut penser une « alliance des productifs » à l’échelle des pays anciennement industrialisés pour lutter contre les délocalisations.

6.      Une réforme de l’entreprise devrait permettre de mieux marquer le rôle qu’y jouent les actionnaires stables et d’associer le personnel dans la durée.

7.      L’introduction d’une clause sociale et d’une clause environnementale à l’OMC devrait permettre de rééquilibrer la mondialisation. Une « concurrence libre et non faussée » n’a pas de sens avec des pays qui ne reconnaissent pas le droit de grève, la liberté syndicale, la journée de huit heures, l’existence d’un salaire minimum ou qui refusent de signer et d’appliquer le protocole de Kyoto. Pas davantage avec un pays qui finance sa croissance et ses déficits avec la planche à billets. Il y a là des thèmes puissants de mobilisation à l’échelle internationale dont on s’étonne que les syndicats et les partis de gauche n’aient pas encore pris l’initiative.

8.      Il faut revaloriser l’OIT (organisation internationale du travail), créer une organisation mondiale de l’environnement, réformer le FMI et la Banque Mondiale pour qu’ils financent le développement au lieu de garantir aux banques américaines, et plus généralement occidentales, les prêts inconsidérés qu’elles font à des taux prohibitifs à des pays structurellement débiteurs et régulièrement défaillants. Cette réforme de la « gouvernance mondiale » qu’il faudrait idéalement placer sous l’égide de l’ONU sera certes difficile à obtenir rapidement. Mais il n’y a pas de raison de ne pas engager dès maintenant ce combat.

9.      A plus court terme, il faut privilégier l’organisation du monde par grandes zones économiques et monétaires, étape indispensable pour parvenir à nouveau à un système monétaire équilibré, mettant fin à l’hégémonie du dollar et aux concurrences déloyales qui sont à la base de l’actuelle mondialisation.

 

 

 

Conclusion.

 

Nous avons proposé, au lendemain du 29 mai, l’organisation d’« Etats généraux de la gauche sans exclusive ni tabou » de façon à pouvoir confronter les analyses et les propositions. Le parti socialiste a pour le moment donné la priorité à ses règlements de compte internes. Les trois flèches, symbole de la SFIO, ne volaient pas très vite. Mais il semble qu’elles aient rattrapé le PS et l’ait cloué au sol depuis quelques années. Espérons qu’il saura s’en relever ! Nous le souhaitons profondément car sa réorientation commande les chances de la gauche à l’horizon 2007 Le parti communiste, quant à lui, peut être tenté de s’accommoder d’une répartition des rôles entre un PS social-libéral dominant et lui-même, censé fédérer les oppositions à cette orientation mais le souci d’une politique réellement alternative est ce qui doit nous guider. C’est ce guide le MRC et c’est ce qui fonde notre proposition d’Etats généraux de toute la gauche.

 

Disons clairement qu’il nous paraîtra difficile de soutenir un candidat socialiste qui n’aurait pas pleinement tiré les enseignements du vote intervenu le 29 mai. Nous ne voulons pas préparer à la gauche et au peuple français de nouvelles et amères déconvenues.

 

Nous sommes prêts à un débat loyal et argumenté.

 

Nous n’accepterons pas de soutenir dans le noir un candidat dont le projet serait vide de sens. Or, les dirigeants actuels du PS – François Hollande en tête – entendent avant tout éviter le débat politique de fond qui doit concerner d’abord la mondialisation. Ils préfèrent fuir dans l’invective, la caricature ou le procès d’intention.

 

Le peuple français attend qu’on lui propose des perspectives de mobilisation  fortes et convaincantes. Il n’attend pas des promesses inconsidérées. Il exige qu’on lui parle le langage de la vérité. Il est prêt à l’effort qui sera en tout état de cause nécessaire. Mais face à une droite dont l’aile libérale et atlantiste s’apprête ouvertement à relayer un chiraquisme qu’elle décrit elle-même comme étant à bout de souffle, la gauche doit pouvoir incarner l’espérance républicaine. Nous sommes disponibles pour ce débat décisif.

 

Le Mouvement Républicain et Citoyen est un marqueur d’espérance. Il ne se dérobera pas et pèsera dans les échéances de 2007. Il reste peu de temps à la gauche pour se mettre à leur hauteur.

 

Nous avons gagné une grande bataille le 29 mai, une bataille défensive, une bataille défensive comme il y en a eu beaucoup dans notre Histoire. Il faut maintenant passer à l’offensive. Car il ne suffit pas de gagner une bataille : il faut gagner la guerre.

 

Une dynamique nouvelle peut se créer dans les mois et les années qui viennent dans le pays. Comme après le Congrès d’Epinay de 1971. Bien sûr, au-delà des combinaisons de congrès et des confrontations d’idées nécessaires, cette dynamique doit se créer dans le pays lui-même.

 

Le MRC sera pour cela présent au rendez-vous ! A vous de le mettre en état de jouer ce rôle éminent de catalyseur de la victoire !