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Libération lundi 18 juillet 2005

Les amalgames de Sarkozy
Par Georges SARRE premier secrétaire du Mouvement républicain et citoyen.
 

A nouveau ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy a annoncé son intention de traiter, comme les deux faces d'une même politique, la «crise du modèle républicain d'intégration», d'une part, et la «question» de l'immigration, de l'autre. Comme si la première était directement liée à la seconde ; comme si, dans un cas comme dans l'autre, il s'agissait de faire face à ce qui serait, en définitive, un «problème d'étrangers»... Et notre ministre d'avancer des formules qu'il pense «iconoclastes» : «discrimination positive», «immigration choisie» et, tout l'art étant d'évoquer la chose sans le mot, «politique des quotas». C'est, en réalité, et délibérément, le règne de l'amalgame.

Tout laisse à penser, en effet, que derrière la prétention rassurante de relancer l'immigration de travail  effective dans des proportions réduites : 7 111 entrées en 2004 , par la mise en oeuvre d'une politique inspirée de celle du Canada, c'est-à-dire une politique d'«immigration choisie» qui ciblerait en priorité les travailleurs qualifiés (créateurs d'entreprise, chercheurs, universitaires, etc.), ce sont le regroupement familial et le mariage avec des étrangers, voire la politique d'asile, qui sont dans la véritable ligne de mire de M. Sarkozy. En quoi, d'ailleurs, il ne se sépare pas (plus ?) de son Premier ministre, lequel, on s'en souvient, s'était livré avant le 29 mai à des déclarations fracassantes sur le thème de la lutte contre l'immigration illégale ou, plus précisément, contre le détournement des procédures d'émigration les plus utilisées (asile, regroupement familial, mariage), laissant augurer, par exemple, un contrôle tatillon du libre consentement du conjoint français pour les mariages effectués à l'étranger... C'est donc un recul des libertés républicaines qui se prépare.

Ce qui frappe, c'est l'absence de dessein général et de cohérence d'ensemble de la politique gouvernementale. En début d'année, la loi de cohésion sociale fusionnait l'Office des migrations internationales (OMI) et le Service social d'aide aux émigrants (SSAE) en un service unique de l'immigration : l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations (Anaem). Intention louable, mais peu lisible. Il est prévu que, d'ici au 1er janvier 2006, l'Anaem fonctionne avec 51 bureaux ; les nouveaux migrants sont invités à s'y rendre afin d'y signer un contrat d'accueil et d'intégration en vertu duquel ils doivent suivre une journée d'éducation civique, et peuvent bénéficier de cours de français. Fort bien. Sauf que cela reste facultatif, et que l'on peut se demander si l'instauration d'un véritable service public de l'enseignement du français aux primo-arrivants ne gagnerait pas à s'organiser aux plans national et municipal, comme je le réclame depuis quelques années. Cette mesure n'en va pas moins dans le bon sens. Mais elle n'a rien à voir  du moins dans un premier temps  avec le problème de l'intégration ou des discriminations : il s'agit là d'un problème qu'il faut poser en termes de participation égalitaire à la société française, afin de faire en sorte que tous les Français, peu importe leur origine ethnique ou leur localisation territoriale, bénéficient de la même chance de choisir leur destin. Défi qui n'est pas mince, et dont on voit mal le gouvernement actuel se saisir...

Et quel intérêt, de surcroît, à relancer le débat sur l'immigration de travail ? La France, dont le taux de natalité s'est un peu amélioré et dont le niveau de chômage, en revanche, oblige (au sens premier du terme) les hommes politiques, a-t-elle vraiment besoin de faire venir, massivement, des travailleurs étrangers ? On peut se poser la question, puisqu'on nous dit qu'il s'agit d'inverser la «proportion» entre l'immigration familiale et l'immigration de travail : dans quelles «proportions», précisément ?

L'historien Patrick Weil, spécialiste de l'immigration et de la nationalité, a fait remarquer qu'il suffirait, pour faire face aux besoins d'immigrés qualifiés dans certains secteurs, d'une simple réforme de l'administration : «En 1998, une instruction ministérielle de Martine Aubry a suffi pour attirer des informaticiens en vue du bug de l'an 2000. Cette circulaire a été abrogée par François Fillon (à l'Emploi) et Nicolas Sarkozy (à l'Intérieur). Sous leurs auspices, l'immigration qualifiée a en réalité baissé, passant de 8 800 en 2001 à 6 500 en 2003.» (Libération des 11 et 12 juin 2005). Pourquoi, dès lors, politiser en permanence la question de l'immigration en exigeant du Parlement de fixer chaque année, catégorie par catégorie, le nombre de personnes admises à s'installer sur le territoire français  ce qu'il serait, il faut le dire, bien incapable de faire ?

La politique des quotas n'est pas, en outre, sans poser des problèmes de principe : elle s'affiche, d'abord, comme une politique élitiste ayant vocation à attirer les «cerveaux» des pays pauvres, quoi qu'on en dise ; l'expérience témoigne, ensuite, que les quotas ne sont jamais atteints pour les métiers qualifiés, et qu'ils sont toujours dépassés pour les professions ne nécessitant pas, ou peu, de qualification, d'où un accroissement du nombre des clandestins dont l'Espagne et l'Italie nous ont offert un exemple peu probant.

Nicolas Sarkozy, de toute évidence, nous vend une politique qu'il sait inapplicable. Amalgamant immigration et intégration, immigration familiale et immigration de travail, il ne révèle en réalité qu'une chose : son obsession d'être élu président de la République. L'Elysée ne valant pas une messe, mais tous les compromis, il pense satisfaire à la fois les jeunes issus de l'immigration (en leur vendant une dangereuse et méprisante «discrimination positive»), la frange xénophobe de l'électorat UMP (en lui faisant miroiter une restriction de l'immigration familiale) et les intérêts du patronat (en lui promettant de faciliter l'embauche d'une main-d'oeuvre «employable» et corvéable à merci). En prime, il remet au centre du débat politique entre la droite et la gauche l'immigration que Jean-Pierre Chevènement avait intelligemment éloigné.

C'est dans la logique de sa vision communautaro-publicitaire de la politique ; ce n'est pas dans la logique de la République.