Libération lundi 18 juillet 2005
Les amalgames de Sarkozy
Par Georges SARRE premier secrétaire du Mouvement
républicain et citoyen.
A nouveau ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy a annoncé son intention de traiter, comme les deux faces d'une même politique, la «crise du modèle républicain d'intégration», d'une part, et la «question» de l'immigration, de l'autre. Comme si la première était directement liée à la seconde ; comme si, dans un cas comme dans l'autre, il s'agissait de faire face à ce qui serait, en définitive, un «problème d'étrangers»... Et notre ministre d'avancer des formules qu'il pense «iconoclastes» : «discrimination positive», «immigration choisie» et, tout l'art étant d'évoquer la chose sans le mot, «politique des quotas». C'est, en réalité, et délibérément, le règne de l'amalgame.
Tout laisse à penser, en effet, que
derrière la prétention rassurante de relancer l'immigration de travail
Ce qui frappe, c'est l'absence de
dessein général et de cohérence d'ensemble de la politique gouvernementale. En
début d'année, la loi de cohésion sociale fusionnait l'Office des migrations
internationales (OMI) et le Service social d'aide aux émigrants (SSAE) en un
service unique de l'immigration : l'Agence nationale de l'accueil des étrangers
et des migrations (Anaem). Intention louable, mais peu lisible. Il est prévu
que, d'ici au 1er janvier 2006, l'Anaem fonctionne avec 51 bureaux ; les
nouveaux migrants sont invités à s'y rendre afin d'y signer un contrat d'accueil
et d'intégration en vertu duquel ils doivent suivre une journée d'éducation
civique, et peuvent bénéficier de cours de français. Fort bien. Sauf que cela
reste facultatif, et que l'on peut se demander si l'instauration d'un véritable
service public de l'enseignement du français aux primo-arrivants ne gagnerait
pas à s'organiser aux plans national et municipal, comme je le réclame depuis
quelques années. Cette mesure n'en va pas moins dans le bon sens. Mais elle n'a
rien à voir
Et quel intérêt, de surcroît, à relancer le débat sur l'immigration de travail ? La France, dont le taux de natalité s'est un peu amélioré et dont le niveau de chômage, en revanche, oblige (au sens premier du terme) les hommes politiques, a-t-elle vraiment besoin de faire venir, massivement, des travailleurs étrangers ? On peut se poser la question, puisqu'on nous dit qu'il s'agit d'inverser la «proportion» entre l'immigration familiale et l'immigration de travail : dans quelles «proportions», précisément ?
L'historien Patrick Weil, spécialiste de
l'immigration et de la nationalité, a fait remarquer qu'il suffirait, pour faire
face aux besoins d'immigrés qualifiés dans certains secteurs, d'une simple
réforme de l'administration : «En 1998, une
instruction ministérielle de Martine Aubry a suffi pour attirer des
informaticiens en vue du bug de l'an 2000. Cette circulaire a été abrogée par
François Fillon (à l'Emploi) et Nicolas Sarkozy (à l'Intérieur). Sous leurs
auspices, l'immigration qualifiée a en réalité baissé, passant de 8 800 en 2001
à 6 500 en 2003.» (Libération
des 11 et 12 juin 2005). Pourquoi, dès lors, politiser en permanence la question
de l'immigration en exigeant du Parlement de fixer chaque année, catégorie par
catégorie, le nombre de personnes admises à s'installer sur le territoire
français
La politique des quotas n'est pas, en outre, sans poser des problèmes de principe : elle s'affiche, d'abord, comme une politique élitiste ayant vocation à attirer les «cerveaux» des pays pauvres, quoi qu'on en dise ; l'expérience témoigne, ensuite, que les quotas ne sont jamais atteints pour les métiers qualifiés, et qu'ils sont toujours dépassés pour les professions ne nécessitant pas, ou peu, de qualification, d'où un accroissement du nombre des clandestins dont l'Espagne et l'Italie nous ont offert un exemple peu probant.
Nicolas Sarkozy, de toute évidence, nous vend une politique qu'il sait inapplicable. Amalgamant immigration et intégration, immigration familiale et immigration de travail, il ne révèle en réalité qu'une chose : son obsession d'être élu président de la République. L'Elysée ne valant pas une messe, mais tous les compromis, il pense satisfaire à la fois les jeunes issus de l'immigration (en leur vendant une dangereuse et méprisante «discrimination positive»), la frange xénophobe de l'électorat UMP (en lui faisant miroiter une restriction de l'immigration familiale) et les intérêts du patronat (en lui promettant de faciliter l'embauche d'une main-d'oeuvre «employable» et corvéable à merci). En prime, il remet au centre du débat politique entre la droite et la gauche l'immigration que Jean-Pierre Chevènement avait intelligemment éloigné.
C'est dans la logique de sa vision communautaro-publicitaire de la politique ; ce n'est pas dans la logique de la République.