TRIBUNE parue dans Regards (novembre 2004)

Les dits et les non-dits du rapport THELOT : ou comment creuser les inégalités sociales.

Par Eric FERRAND, Adjoint au maire de Paris chargé des Affaires scolaires et conseiller régional d’Ile-de-France et Christophe LEPAGE, Conseiller régional d’Ile-de-France

Que restera-t-il du rapport THELOT ? D’abord le sentiment du renoncement. Après tout ce temps passé à sonder l’âme des français, le résultat décourage même ses plus fervents supporters. Il manque une ambition, un projet mobilisateur, capable de redonner à l’école l’élan qui lui manque et dont elle a tant besoin pour demain. 

« Les Français ont souhaité, au cours du débat, que tous les établissements scolaires offrent les mêmes chances et les mêmes résultats ». C’est le rapport lui-même qui l’affirme ! Mais guidé par un mot d’ordre, à la baisse toute, le rapport Thélot invente pour toute réponse à cette attente forte d’égalité dans l’accès aux savoirs, « le socle de l’indispensable », soit le plus petit commun dénominateur appliqué à l’éducation.  

Baisse des ambitions, baisse des exigences, puisque que l’école est à la peine ne gardons que l’essentiel – l’indispensable, et pour le reste laissons faire le …marché par exemple. L’égalité devant le savoir était un mythe, il est vain de continuer à «entretenir le mythe ». Voilà en substance le discours des libéraux en matière d’éducation depuis plus de 20 ans et le rapport sur l’avenir de l’école s’inscrit d’abord dans cette continuité. 

Les missions de l’école, comme les valeurs qui la fondent, sont très vites dénoncées comme des incantations, dont il convient de se prémunir afin de mieux « jouer la carte d’une acceptation tranquille de la singularité de l’école ». La formule laisse songeur. En fait, il s’agit « d’asseoir plus fermement l’école sur son fonctionnement ». Et-là, tout est dit. Du fonctionnement oui, pour l’investissement… on verra plus tard. Et pourtant notre école a d’abord besoin d’investir sur son avenir, c’est à dire d’être capable de se projeter à 10 ou 20 ans, et ce autrement que dans le démantèlement programmé.  

Car les conséquences de cette politique « malthusienne » sont lourdes. Et le rapport Thélot n’en dit évidemment pas un mot.

Quelques exemples symbolisent la logique profondément inégalitaire qui est à l’œuvre.  

Nous avons une école maternelle de grande qualité, animée par des enseignants très compétents. Nous savons clairement que la scolarisation précoce est d’une grande efficacité dans la prévention et la lutte contre les échecs scolaires par la préparation à l’acquisition des savoirs fondamentaux et la maîtrise de la langue. 

La proposition de la commission Thélot, d’avancer l’âge de l’obligation scolaire à 5 ans serait un progrès si dans un même temps les missions de l’école maternelle étaient réaffirmées et l’utilité sociale d’une scolarisation précoce reconnue. Mais ce n’est pas le cas, c’est même tout le contraire !  

Cette proposition en réalité menace sérieusement l’école maternelle. Depuis plus 3 ans, le gouvernement n’a cessé de supprimer des heures d’enseignement, des postes d’enseignants et de retarder la scolarisation des plus jeunes.  Certains pédiatres, appelés en appui, ont même tenté de faire croire que la scolarisation précoce produisait des enfants violents, voire délinquants. A Paris, cette politique nous conduit à accuser un retard considérable, puisque seulement 4% des enfants de moins de 3 ans sont scolarisés, contre 35% en moyenne nationale.  

Voilà bien l’idée que le rapport Thélot vient valider en y apportant sa caution intellectuelle: l’indispensable commence à 5ans. Et avant… à charge pour les collectivités locales d’organiser la pré-scolarisation, la garderie d’enfants, selon ses besoins, selon ses moyens, bien entendu. C’est une nouvelle version de la décentralisation selon Jean-Pierre Raffarin qui n’est en fait qu’une privatisation déguisée, qui creuse toujours un peu plus la fracture scolaire et donc aggrave les risques d’inégalités sociales.  

Et « l’indispensable » s’arrête toujours à 16 ans. Vient alors le temps des « partenaires ». Le « statut rémunéré pour les lycéens » de l’enseignement professionnel,  s’il était mis en œuvre, non seulement découragerait d’abord les jeunes - en particulier des milieux défavorisés - de tenter les filières générales pour un gain immédiat, mais constituerait une nouvelle victoire pour le secteur marchand dans sa conquête résolue du secteur de l’éducation.

La voie professionnelle doit être revalorisée, mais cela passe par une exigence des formations afin d’offrir et garantir des perspectives de poursuite d’études dans l’enseignement supérieur.

Plutôt que de créer un « SMIC lycéen professionnel », il serait temps de mettre en place de vraies bourses d’études qui permettent, aux enfants de milieux modestes qui le souhaitent, de s’engager dans des études longues.  

Le « socle des indispensables », ouvre grandes les portes de l’école à plusieurs vitesses, de l’école à la carte, confortant ainsi le consumérisme éducatif dans ses stratégies de conquête. 

Les inégalités scolaires se nouent dès les premières années de la vie, avec la massification de l’éducation, elles sont aussi visibles plus tard. C’est pourquoi il apparaît plus que jamais nécessaire – à rebours des préconisations de ce rapport, de porter notre effort, dès le plus jeune âge et tout au long de la scolarité, en assumant les objectifs démocratiques que nous nous sommes fixés, il y a 20 ans, de faire accéder 80% d’une classe d’âge au baccalauréat.  

En 10 ans, entre le début des années 80 et le début des années 90, la proportion de bacheliers a été multipliée par deux. Ce phénomène est sans équivalent dans l’histoire de notre pays. Il doit nous servir de repère, y compris pour réduire les inégalités nouvelles qu’il a pu engendrer ou différer.

Il faut également prendre à bras le corps la question de l’échec scolaire à l’université. Le cinquième d’une génération quitte l’enseignement supérieur avec un diplôme de niveau égal ou supérieur à la licence. C’est notoirement insuffisamment. Mais évidemment de cette question essentielle le rapport Thélot ne dit rien. Nous avons besoin d’une « nouvelle frontière » éducative. De même qu’il faut rompre avec la logique du « baccalauréat des riches » face au « baccalauréat des pauvres », il faut enfin se fixer des objectifs ambitieux en matière de réussite à l’université. 

Notre système éducatif souffre d’une profonde crise de confiance. Malheureusement, le message subliminal du rapport Thélot sera reçu cinq sur cinq par les familles : l’école doit réduire son périmètre, pour le reste à chacun de mettre en œuvre sa propre conduite pour la réussite scolaire de ses enfants, en fonction de ses besoins et de ses moyens. Il est de ce fait en grande cohérence avec la politique menée depuis 3 années, qui a creusé les inégalités, découragé les enseignants, fait entrer l’école un peu plus dans le droit commun des services ouverts à la concurrence, tel que les souhaite l’Organisation Mondiale du Commerce.  

Face à l’obsession qui anime les libéraux de réduire l’école à une peau de chagrin, la gauche doit construire une alternative, en se défaisant de ses vieilles querelles, et en replaçant l’égalité d’accès et l’égalité des chances, au cœur de son projet éducatif. L’école doit retrouver sa capacité d’intégration, être véritablement une référence pour les familles, jouer son rôle d’ascenseur social pour les citoyens en devenir que sont les élèves à qui l’on doit réaffirmer,pour tous,le droit à leur propre réussite.