Journal l'Humanité Rubrique Tribune libre
Article paru dans l'édition du 18 novembre 2003.
Système de soins et politique de santé Par Élie
Arié, secrétaire national à la santé du MRC, cardiologue (*).
La surmortalité due à la canicule n'impose pas, contrairement à ce qu'on peut
lire partout, une augmentation des fonds publics consacrés à l'hôpital public,
dans un pays qui consacre déjà 11 % de son PIB au système de soins, c'est-à-dire
plus que tous les autres pays développés en dehors des États-Unis. En effet, ce
phénomène n'a pas été observé dans d'autres pays dont les hôpitaux sont moins
bien dotés (Italie, Grèce, Espagne où il y a un scandale à cause d'une
surmortalité... de 130 personnes) ni dans certaines régions (Marseille), qui
sont plus habituées à la chaleur que nous, et qui ont pragmatiquement mis en
oeuvre depuis longtemps les mesures, d'ordre social, et non médical, destinées à
lutter contre ce phénomène : il n'y a pas besoin d'un médecin, d'une infirmière,
d'un hôpital, pour faire boire les personnes âgées, leur faire prendre des
douches, les mettre dans des pièces fraîches, etc., ce qui évite d'avoir à les
adresser, souvent trop tard, dans des services d'urgence de pointe à environ 230
euros la journée.
Mais cela suppose un maillage social destiné à s'occuper des personnes fragiles
isolées et socialement défavorisées (il n'y a pas eu de surmortalité parmi les
professeurs et les médecins âgés) et d'instituer des normes de qualité et de
ratios de personnel dans les maisons de retraite, actuellement insuffisants ou
non respectés. La critique à formuler vivement envers ce gouvernement est
d'avoir diminué le montant de l'APA (aide pour l'autonomie), qu'il faut, au
contraire, augmenter.
Le problème de l'engorgement généralisé des urgences est qu'on demande à ces
services de pallier toutes les insuffisances de notre système de soins, mais
aussi de notre système d'assistance sociale, ce qui les condamne à l'impuissance
éternelle.
Le problème des urgences doit être traité par leur désengorgement en amont et en
aval. En amont : 60 % des patients qui s'y présentent ne relèvent d'aucune
urgence ; ils ne sont là qu'à cause de la fermeture de plus en plus précoce des
cabinets de ville, du refus (phénomène récent et illégal) des médecins de ville
d'assurer un système de gardes, et aussi par l'attirance exercée par le tiers
payant (les patients n'y payent que le ticket modérateur). Il faut donc, comme
certaines municipalités ont commencé à le faire, créer des maisons de garde
médicale (cabinets de consultation ouverts la nuit, les week-ends et jour
fériés), et généraliser le tiers payant, comme dans tous les autres pays
européens. En aval : les urgences sont engorgées par les malades qu'elles
doivent garder, faute de lits suffisants de moyen et long séjour, dont nous
manquons cruellement, alors que nous avons plus de lits de court séjour qu'il
n'en faut.
On voit, en conséquence, que se contenter d'augmenter les crédits des services
d'urgence sans rien faire d'autre ne ferait qu'y attirer davantage de monde et
les engorger davantage, dans une course sans fin au " toujours plus de moyens "
sans aucune action sur l'organisation et l'efficience du système. Cela témoigne
de l'erreur que constitue l'approche exclusivement médicale, dans notre pays, de
ce problème politique et social qu'est le système de soins (...). Tout le monde
de reprendre en effet la même antienne : " Ce sont le vieillissement de la
population et les nouvelles techniques médicales qui sont responsables du
dérapage des dépenses de soins ", alors qu'ils n'expliquent que 5 % de ce
dérapage, les 95 % restants relevant du mode d'organisation du système. Et
chacun de brandir les deux mêmes repoussoirs étrangers selon qu'on est libéral
ou non, en se gardant bien d'aller regarder ailleurs : Suède, Canada... et
Japon, qui a une population plus âgée que la nôtre, de meilleurs indicateurs de
santé et notamment d'espérance de vie, utilise plus largement que nous les
nouvelles techniques (4 fois plus d'appareils de RMN par rapport à la
population) et consacre 30 % de moins que nous de son PIB au système de soins.
Face à ces postures, fausses mais admises par tous, les politiques, à quelques
rares exceptions près, se sont bornés à essayer de faire en sorte que les
dépenses et les recettes s'équilibrent à peu près. Mais les modèles
d'organisation ont été évacués du débat ou, plutôt, confiés à des médecins dont
ce n'est pas le métier. Cette démission du politique est d'ailleurs illustrée
par le fait que droite et gauche confient en général le ministère de la Santé -
ou les réflexions sur la santé lorsqu'elles sont dans l'opposition - à des
médecins (Mattei, Kouchner, Barzach, Dubernard, Préél, Le Guen, Pigement, etc.)
: même le secrétaire national de la santé du MRC est un ex-médecin ! Cette
démission du politique est d'autant plus étonnante que la santé (pas les soins)
constitue la première des préoccupations des citoyens des sociétés
modernes, avant même le chômage (ce qui contribue à l'élargissement du fossé
entre politiques et citoyens), le meilleur indicateur de l'état général d'une
société, un des derniers éléments restants de cohésion sociale nationale et,
probablement, un des meilleurs éléments de discrimination entre régimes
ultralibéraux et régimes sociaux-démocrates. Bref, ce dont
manque notre système de santé, c'est de politisation.
(*) Enseigne l'économie et la gestion des services de santé au Conservatoire des
arts et métiers (CNAM).