Intervention de
Georges Sarre
Conférence de
presse
des députés du
Mouvement des Citoyens
sur le projet de loi de
financement de la Sécurité Sociale pour 2002
Assemblée
nationale – 23 octobre 2001
Mesdames,
Messieurs,
En
principe, nous devrions tous nous féliciter d’avoir à examiner le projet de
loi du gouvernement relatif au financement de la Sécurité Sociale.
Cette
loi de financement, introduite en 1996 dans le débat parlementaire, est censée
renforcer le contrôle exercé par la Représentation Nationale sur les comptes
de la Sécurité Sociale. Et cela dans l’intérêt de nos concitoyens,
contribuables et assurés sociaux.
La
Sécurité Sociale est un édifice assez complexe, objet de nombreuses réformes
qui n’ont pas toujours, loin s’en faut, contribué à simplifier sa compréhension.
Notre rôle bien
entendu est de veiller à la clarté et à la transparence des comptes, ainsi
qu’à la bonne utilisation des ressources :
chaque année, les sommes en jeu avoisinent les 2.000 milliards de francs, soit
plus que le budget de l’Etat.
L’enjeu est donc
considérable et justifie que le Parlement et le Gouvernement s’associent pour
éviter les deux écueils de cet exercice de gestion : l’opacité et le
manque de rigueur.
L’examen du projet
de loi de financement de la sécurité Sociale n’est pas de pure forme :
il suppose de notre part sincérité et exigence, car, en dernier ressort,
c’est la qualité de la prise en charge des assurés sociaux qui est en
question. C’est pourquoi nous sommes en droit d’attendre un débat de bonne
foi.
Or
nous sommes au regret de constater que le Gouvernement n’a pas offert toutes
les garanties nécessaires. Tout indique que les objectifs de la loi de
financement – transparence et rigueur – n’ont absolument pas été pris en
compte.
Les
conditions de financement de la Sécurité Sociale sont moins lisibles que
jamais, tant varie d’une année sur l’autre la géométrie du bilan recettes
/ dépenses. C’est un véritable jeu de construction.
Le
Gouvernement met toute son industrie à déployer des jeux de paravents qui
masquent difficilement l’absence de toute réforme structurelle permettant de
penser à long terme la pérennité du système d’assurance sociale français.
Il se contente d’une gestion à court
terme des équilibres comptables, sans doute plus intéressé par la présentation
de son bilan que par une action réelle.
La loi de
financement devait à l’origine être un instrument de stabilisation des
structures comptables de la Sécurité Sociale, un exercice pédagogique de réforme.
Notre ambition devrait être d’aboutir à un système clair et établi où
certaines recettes sont nécessairement affectées à certaines dépenses
Cela
uniquement permettrait de repérer intelligemment les déficits et excédents et
de pratiquer une gestion efficace, n’excluant aucunement une solidarité de la
trésorerie. Au lieu de cela, le
Gouvernement, soucieux uniquement de présenter des comptes exempts de déficits,
et renonçant à l’organisation rationnelle du système, se contente d’opérer
des transferts conjoncturels de recettes fiscales.
En somme, il cherche
à donner le change en mobilisant toutes les ressources disponibles au moment de
l’élaboration de la loi de financement, et en les affectant à la
compensation des déficits les plus visibles : ainsi le FOREC, déficitaire
de 18 milliards de francs, sera mis en équilibre en partie grâce au transfert
depuis l’assurance maladie de près de 12 milliards de francs de droits sur
les alcools et de taxes sur les véhicules à moteur.
Quel
rapport existe-t-il entre ces taxes, qui concernent la santé publique, et la réforme
des cotisations patronales ? Absolument aucun. Or il n’est pas acceptable
que l’impératif d’équilibre comptable détache à ce point l’origine des
recettes de leur légitime affectation. Cette démarche est incohérente, autant
du point de vue politique qu’économique.
En
outre, tout l’argent utilisé pour compenser les déficits existants est a
priori inutilisable pour d’autres dépenses. La relative homogénéité de
la trésorerie ne suffit pas à masquer l’absence
de marges de manœuvre concernant des dépenses nouvelles dans les branches
maladie, vieillesse ou famille.
Pour toutes ces
raisons, nous considérons comme contraires à l’esprit de la loi de
financement les manœuvres du Gouvernement pour simuler un équilibre des
comptes. Elles ne répondent ni à l’exigence de transparence qui est celle du
Parlement, ni à l’obligation de rigueur budgétaire qui est celle du
gouvernement.
L’équilibre
des comptes de la Sécurité Sociale ne peut être obtenu par une politique de
précarité consistant à favoriser la fluctuation des ressources pour masquer
les insuffisances du système. Si l’on admet pas que les branches et les fonds
spéciaux doivent porter une exigence de rentabilité, on ne parviendra pas à
engager les réformes nécessaires, notamment en ce qui concerne la branche
maladie, chroniquement déficitaire.
Contrairement
à certaines idées reçues, en ce qui concerne la santé, cette exigence de
rentabilité n’est pas détachable de l’exigence de qualité : il faut
organiser l’efficacité des filières par une politique volontaire, car le
laisser-faire ne peut être que coupable.
Et
le Gouvernement est responsable en effet d’avoir laissé faire. Privilégiant
la seule réduction du temps de travail, il a laissé de côté son rôle
incontournable de régulateur du secteur social. La croissance économique, à 3
% et plus, de ces dernières années était pourtant une occasion inespérée de
mobiliser les fonds nécessaires à la restructuration.
Or aujourd’hui,
aucun chantier d’envergure n’a été lancé. Pourtant le médicament, les
retraites, la politique familiale etc. sont des questions dont le traitement ne
devrait pas souffrir de délais. Toujours est-il que rien n’est venu justifier
une hausse importante des dépenses. Et dans le même temps, avec la croissance
économique, les recettes – cotisations, CSG et CRDS – ont considérablement
augmenté.
Comment dans ces
conditions pourrions nous féliciter le gouvernement, qui au prix
d’innombrables contorsions fiscales, d’ailleurs sévèrement critiquées par
la Cour des Comptes, parvient de justesse à présenter un bilan qui ne soit pas
déficitaire ?
Le Ministère de l’Emploi et de la Solidarité annonce pour l’exercice 200
– 2001, en droits constatés pour le régime général, un excédent de
seulement 2 milliards de francs, moins qu’en 1999 (3,2) et 2000 (4,4).
Le régime général
devrait être très largement excédentaire,
ou bien les Français devraient être mieux pris en charge, ou encore le système
de Sécurité Sociale devrait avoir été réformé de fond en comble. Mais rien
de tout cela n’a été entrepris.
Alors, où est passé
le bénéfice de la croissance ?
Dans le financement
des 35 heures. Plus précisément dans le FOREC, le fonds
de financement de la réforme des cotisations patronales de Sécurité Sociale,
lequel est très largement financé par des recettes fiscales normalement destinées
aux différentes branches de l’assurance.
En effet
le FOREC est gravement déficitaire en raison du niveau excessif d’exonérations
de charges patronales consenties par le Gouvernement :
celles-ci ont augmenté de 43 % depuis 1999, alors que dans le même temps, la
contribution sociale sur les bénéfices des sociétés ne rapportait que 3,8
milliards de francs en 2000, et que le prélèvement de 2 % sur les revenus du
patrimoine ne rapportait que 10 milliards de francs.
Il
apparaît de plus en plus que la part patronale dans le financement de la sécurité
Sociale ne cesse de décroître alors que la part salariale, elle, s’accroît.
Or le Gouvernement n’a pas tenu à s’interroger sur ce phénomène,
puisqu’il n’a commandé aucune étude, aucune expertise sur la question.
Sans insister sur la complaisance témoignée à l’égard du
patronat, on ne peut pas accepter le principe d’un financement indirect des 35
heures par la Sécurité Sociale. Madame
Guigou a précisé que le FOREC ne servait pas uniquement à financer les 35
heures ; c’est du moins son rôle principal, et cela suffit.
C’est
un véritable détournement de l’argent destiné à l’origine à la
prestation de services aux assurés sociaux. La réduction du temps de travail
est une mesure souhaitable en soi, mais les fonds de la Sécurité Sociale
n’ont pas vocation à la financer, surtout à travers le FOREC, qui fonctionne
comme une véritable « structure-écran » pour le compte de l’Etat.
Le FOREC n’a été créé que pour faire sortir le financement
des 35 heures du budget de l’Etat. Les critères de convergence du traité de
Maastricht ne permettaient en effet pas de consentir l’effort budgétaire nécessaire.
Pour autant, le Gouvernement ne devait
pas ponctionner comme il le fait les caisses de Sécurité Sociale, en
particulier la branche famille, qui est la plus régulièrement excédentaire.
Il est temps que l’Etat français et la sécurité Sociale
cessent d’entretenir des relations de suzerain à vassal : les fonds
propres des caisses d’assurance ne sont pas des biens à saisir ; depuis
1945, ces caisses ont trop souvent été placées sous la coupe du Gouvernement.
C’est
le rôle du parlement, à travers l’examen de la LFSS, que de défendre, dans
le respect évident des critères de service public, l’autonomie de gestion de
ces caisses.
Car il n’est pas juste que les excédents financiers dégagés du seul fait de
leur bonne gestion soient en dernier ressort pénalisés par la politique
abusive du Gouvernement, lequel, de son côté n’assume pas son rôle de régulateur
du système.
Nous ne
pouvons pas laisser se poursuivre cette politique de précarisation du système
français de Sécurité Sociale. Une politique qui consiste à laisser persister
un certain nombre de dysfonctionnements, faute de courage politique, dans la
branche maladie par exemple, et à mettre la main sur les ressources là où
elles se trouvent, dans la branche famille en particulier.
Cette politique est inadaptée à deux titres :
La
branche famille, la chose est connue, renoue depuis plusieurs exercices avec les
excédents. Pour
quelles raisons ? Parce que les recettes ont augmenté du fait de la
croissance bien sûr, mais aussi parce que les dépenses sont restées à un
niveau très faible, par la faute d’une
politique familiale timorée.
Chaque
année, le Gouvernement annonce une relance de la politique familiale. Qu'en
est-il en vérité ?
La
principale mesure « familiale » du PLFSS 2002 sera l'instauration du
congé de paternité.
Cette mesure contribuera bien entendu à réaffirmer le rôle du père dans la
famille ; elle présente surtout l'avantage d’être peu onéreuse. Son coût
peut être évalué pour la première année à 700 millions de francs, si 40%
des pères concernés prennent effectivement ce congé, proportion moyenne
observée dans les pays européens où cette mesure existe déjà.
A ces
700 millions, il faut ajouter le milliard et demi d'abondement du fonds
d'investissement pour la petite enfance (FIPE) , une somme dérisoire au regard
de l'augmentation des naissances et de la pression sur les crèches depuis
l'adoption de mesures restrictives sur l'AGED. Quant à la poursuite de la réforme
des barèmes des aides au logement, chiffrée à 6 milliards il y a deux ans,
elle devrait aboutir pour cette année à une dépense nouvelle de 1 milliard de
francs.
Seulement
voilà ! Lorsque le gouvernement
donne de la main droite ces quelques 3 ou 4 milliards, il en reprend bien
davantage de la main gauche à la branche famille, qui continue d'être la
variable d'ajustement des dépenses sociales. Sous couvert d'une « rationalisation »
des dépenses, une partie des majorations de pension pour trois enfants lui sont
transférées, alors que ces dernières dépendaient jusqu'ici du Fonds de
Solidarité Vieillesse.
Ponctionnée
à hauteur de 2,9 milliards de francs l'an dernier, elle le sera de 5,8
milliards cette année.
A titre de comparaison, je signale que ces 5,8 représentent exactement la somme
qui serait nécessaire pour élever à 22 ans l'âge limite de versement des
allocations familiales, mesure prévue dans la loi du 4 juillet 1994 qui a été
abrogée en décembre 1999.
Sur
cette voie, et dans la même perspective dite de « rationalisation »,
on pourrait demain voir « basculer » les 2 annuités validées à
chaque naissance. Ce sont à terme plus de 40 milliards de charges, qui ne
seraient en rien des dépenses nouvelles, qui pourraient venir lester la branche
famille. On prend mieux la mesure de
l'indigence des annonces gouvernementales pour une prétendue « relance »
de la politique familiale !
Une
politique familiale se juge essentiellement à l’aune des dépenses.
L'investissement dans le champ familial est un baromètre infaillible, qui révèle,
en dépit des discours d’affichage, ce qu'un pays veut faire de lui-même,
s'il entend ou non se préserver du vieillissement et du renoncement collectif. De ce point de vue, les annonces gouvernementales
ne nous laissent pas augurer d’un renouveau démographique éclatant.
Les
gouvernements successifs, depuis trente ans, ont jusqu'ici mené une politique
familiale en trompe-l'œil à coup de bricolages fiscalo-sociaux, se limitant
aux décisions de court terme et négligeant l'avenir. La part de la branche famille dans le PIB n'a cessé de décroître et
la mise en équilibre des comptes sociaux s'est faite essentiellement au détriment
des masses financières affectées aux familles.
Même
si notre pays parade avec des taux de natalité moins calamiteux que ses
voisins, la France, globalement,
n’assure pas la relève de ses générations. A un problème d’une telle
ampleur, il faut aujourd'hui apporter une réponse politique de grande
envergure, volontaire et ambitieuse.
Dans
ces conditions, vous comprendrez aisément que les députés du Mouvement des
Citoyens ne votent pas la loi de financement de la Sécurité Sociale.