Modernisation sociale Explication de vote

Jean-Pierre Chevènement mercredi 13 juin 2001 

 

Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Mes chers collègues,

 

J’interviens au nom des députés du Mouvement des Citoyens. J’indique que les Radicaux de Gauche voteront pour et que les Verts s’abstiendront. 

La vague de licenciements dans les grands groupes, sans aucune justification industrielle, la multiplication des plans dits « sociaux » et des licenciements boursiers, illustrent la dictature  des gestionnaires de fonds qui exigent des taux de rentabilité à deux chiffres. Face à la révolte des salariés concernés, face au large mouvement de solidarité qui s’est exprimé chez les Français, le gouvernement a souhaité apporter une réponse à travers ce projet de loi de modernisation sociale. J’insiste sur le fait que c’est lui-même qui a choisi le vecteur de ce projet de loi. Or, il ne semble en capacité de répondre que par quelques mesurettes destinées à freiner quelque peu la machine à broyer les emplois.

Il faut rappeler que ce sont les gouvernements successifs qui se sont défaits des leviers de commande et qui ont installé la dictature des marchés financiers. Celle-ci n’est pas tombée du ciel.

Elle est le résultat de la libéralisation –sans aucune contrepartie fiscale ou autre- des mouvements de capitaux au début des années quatre-vingt-dix, ou encore du traité de Maastricht qui a interdit toute mesure de politique industrielle contraire au sacro-saint principe d’ « une économie ouverte où la concurrence est libre », et qui constitue une véritable Constitution libérale pour l’Europe : Banque centrale européenne indépendante, Commission de Bruxelles et Cour de justice européenne imposant le respect des dogmes libéraux des traités européens, sans parler de l’OMC transformant la planète en supermarché…, la liste est longue et non exhaustive !

La théorie de la « régulation » cache mal la résignation face à l’absence d’ambition sociale en Europe, symbolisée par la déclaration de Lisbonne.

Dans un tel environnement, l’actionnaire est roi et le citoyen disparaît. Pour combattre la mondialisation libérale il ne suffit pas de demander leur avis aux syndicalistes ou d’en appeler, via le boycott de Danone, au consommateur. Si l’on pense que l’homme ne se réduit pas à sa dimension économique, il faut en appeler au citoyen.

Il ne suffit pas de renforcer les institutions représentatives des salariés face à un patronat aiguillonné par les actionnaires.

On ne peut limiter la lutte contre les licenciements à une procédure de concertation, laissant face à face les chefs d’entreprise et les salariés. Cette vision réductrice peut se comprendre d’un point de vue libéral où n’existent que les facteurs de production, le Capital et le Travail. Elle peut se comprendre du point de vue d’un marxisme primaire où l’Etat est l’instrument du Capital mais non d’un point de vue républicain. Il faut un arbitre. Ce ne peut être que l’Etat dont Jaurès qui avait réalisé il y a un siècle la synthèse du socialisme et de la République disait déjà qu’il lui appartenait de faire entendre la voix d’un intérêt général.

Déclarer aujourd’hui que l’Etat ne peut rien, traduit un aveu d’impuissance devant la loi du Capital mondialisé, c’est-à-dire un retour à l’archéo-libéralisme du dix-neuvième siècle, avec ses inégalités sans cesse croissantes et un monde du travail sans défense.

Le projet de loi que vous avez amendé propose ensuite le recours au juge qui pourra désigner un médiateur. Les avocats, les experts entreront en scène –on imagine bien qui pourra se payer les plus efficaces-. Et après… les licenciements auront lieu quand même. Substituer le pouvoir des juges au pouvoir des citoyens tel qu’il s’exerce à travers un gouvernement responsable devant le Parlement, c’est mettre l’Etat aux abonnés absents.

Il est illusoire de faire croire que ces mesurettes permettront de répondre au défi de la mondialisation libérale ; Il faut parler vrai aux Français, il ne faut pas entretenir d’illusion. Dès lors que la Commission de Bruxelles se borne à constater la conformité des plans de restructuration industrielle avec les lois de la concurrence, les milieux populaires attendent légitimement de l’Etat, garant du long terme et de la cohésion sociale qu’il joue son rôle d’arbitre.

J’ai déposé, avec les députés du MDC, un amendement qui ne propose pas le rétablissement de l’Autorisation Administrative de licenciement dont chacun se souvient que, passé le délai réponse de quinze jours, elle équivalait presque toujours à une approbation tacite. L’amendement que j’ai déposé avec les députés du MDC prévoyait seulement que pour les plans sociaux comportant plus de cinq cents suppressions d’emplois ou pour les opérations de restructurations touchant à un intérêt industriel majeur, l’autorisation de l’administration soit rétablie.

Cet amendement ayant été rejeté, force nous est de constater que ce projet de loi, même améliorant la concertation entre partenaires sociaux, n’est pas à la hauteur des enjeux. Car un Etat simplement garant des règles de la libre concurrence, ne correspond à rien d’autre que la définition qu’en donne le libéralisme.

C’est pourquoi les députés du MDC, comme ils s’étaient opposés en mai 2000 au texte, de même inspiration, portant sur les nouvelles régulations économiques, voteront contre ce texte qui ne fournit pas une réponse à la hauteur des problèmes posés par la mondialisation libérale.

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